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Matière transfigurée

Jean-Pierre Prudent

Le texte qui suit est le résumé de l'un des thèmes centraux développés dans le recueil qui porte précisément le titre de "matière transfigurée". L'ensemble de l'ouvrage apporte cependant un éclairage un peu différent du propos réduit ci-dessous. Par la présence d'autres questionnements d'abord, mais surtout par le choix de la poésie et de la scène comme vecteurs permettant d’exprimer le ressenti au delà de ce qu'une écriture qui se voudrait savante et hermétique permet de transmettre.  D'abord je suis pas un universitaire et les mots compliqués qui vont bien, je les connais pas. De plus, je pense qu'en dehors de sujets purement techniques il n'est nul besoin d'un vocabulaire obscur accessible aux seul initiés, pas plus que de phrases qui font trois pages et où, lorsqu’on arrive au point final, à bout de souffle et le regard perdu, on ne sait plus d'où on était parti. Comme Boileau, je pense que tout ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. Ce n'est pas toujours facile et au bout du compte je ne suis pas certains que mes propos soient simples et limpides. Mais si ce n'est pas le cas soyez assurés que je le fais pas exprès, c'est juste que je suis pas écrivain …

 La vie, qu'elle soit animale ou végétale, est un phénomène unique auquel j'appartiens. Elle prend place dans un univers où tout est contingence et qui est indifférent à l'existence, ou l'absence, de toute chose et où ne se dessine ni morale ni dieu. Dans cette réalité qui nous semble extérieure dominent l'indifférence et la rationnelle fonctionnalité, de même la question d'un éventuel principe créateur ne se pose pas. Tout y est vide de sens. Pour être, chaque individu devra se construire.

Si j'observe alors le monde qui m'entoure et me contient, pour le comprendre, la meilleure approche est celle de la science. Mais celle-ci définit une réalité unique, indépendante de toute conscience et, finalement, existant hors de toute vie. Cette réalité n'est pas celle de mon vécu, même si être adulte dans un environnement baigné de positivisme implique d'adhérer à cette idée d'une vérité qui s'impose, et où il faut distinguer l'action concrète, suivi d'effets tangibles au plan matériel, du rêve improductif. Mais je ne deviens un être qui dépasse et sublime la matière de son corps, ou le résultat du fonctionnement de son cerveau, qu'en se recréant d'immatériel. Ce qui m'entoure n'est plus alors uniquement ce qui est, mais correspond à ce que j'en perçois à l'issue de ma construction, résultat des choix innombrables qui m'amènent à l'instant présent. Dans ce cadre je suis alors pleinement libre et, de fait, responsable. La réalité vécue est alors multiple, faite d'intersubjectivités, et surtout différente de l'image rendue par la science. Le rêve autant que les dieux peuvent y prendre place, le devenir peut s'y envisager librement. On peut alors changer le cours des choses en bâtissant une éthique de l’anti-nature en ce sens où rien ne nous oblige à perpétuer et copier dans nos comportements les règles indifférentes et vides de sens qui on permis à l'évolution de nous créer. Cette idée s'oppose alors à certaines tendances observées dans nos sociétés actuelles où la recherche d’efficacité, de performance, de compétition observée dans nos politiques, notre économie, nos modes de vie, reproduit ces lois inhumaines de la nature.

 La métaphysique est alors simple et consiste à dire qu'esprit et matière ne sont qu'une seule et même chose. L'esprit, qui serait en ce sens une âme, ne s'incarne pas plus en la matière qu'il n'en est un simple épiphénomène. La pensée ne peut exister que par, et dans, la matière. L'univers est d'abord vacuité et il faut nous y définir. Je ne suis moi que si j'ai réellement vécu, je ne préexiste nullement à mon incarnation. Mais quand la conscience émerge , c'est elle qui fait, ou plutôt refait, le monde. Pas d'esprit sans matière, pas non plus de matière sans esprit. Pour évoquer un monde sans conscience il faut se placer sous l'angle du la pure logique mathématique, et c'est un point de vue acceptable. Mais pour les êtres pensants de chair et de sang que nous sommes, Il n'y a pas de matière sans esprit en dehors de notre imaginaire. L'un et l'autre sont intimement liées dans l'unique expérience que nous faisons de la vie.

 La matière nous engendre, corps et âme, et, cela étant, aucune réalité n'existe en dehors de nous.

Nous ne sommes finalement  ni les enfants de dieu, ni les marionnettes du néant. Il n'y a pas de père tantôt bienveillant, tantôt réprobateur, juge sans pitié qui nous observe et estime la valeur de nos actes, et même s'il y a des tringles et des fils tissés par un univers déterministe qui ordonnent, selon un destin apparemment tracé, le moindre de nos gestes, c'est nous, et nous seuls, qui donnons du sens à ces gestes. De ce point de vue, qui prend place dans notre expérience quotidienne, nous sommes totalement libres. Il est temps de nous dire adultes, autonomes et responsables. Sortir des obscurantismes et autres religions ou dogmatismes, accepter l'ignorance, apprendre encore et bâtir. Personne ne nous surveille d'en haut et aucun mécanisme ne nous guide entièrement. C'est à nous de construire un chemin qui n'est pas encore tracé. Le prix à payer est l'absence de toute certitude. Il nous faut forger un univers encore vide. La matière me contient et me détermine entièrement, quand j'invente la réalité vécue où je suis libre.

 L'univers n'a pas de sens. C'est nous qui le construisons via l'expérience matérielle de la vie. Nous en sommes responsables de part notre libre arbitre inscrit dans cette réalité vécue. Notre vision du monde est bien une illusion, mais qui constitue notre réalité. Peu importe alors ce qu'il pourrait y avoir derrière cette illusion, si tant est qu'il y ait quelque chose. En effet, notre observation de l'univers nous montre qu'il n'y est pas besoin de quelqu'un pour le faire avancer. La seule application des lois de la nature suffit à tout. Nous avons émergé au sein d'un système fermé et totalement auto-suffisant. Tout, y compris notre conscience, y est inclus et a pu y apparaître sans projet initial. Mais c'est au sein de cette illusion que nous nous construisons. Ce que nous y expérimentons avec la vie engendre bien notre réalité. Une fois encore, peu en importent les mécanismes, peu importe l'absence ou la présence éventuelle d'un plan, peu importe l'existence possible ou non d'un "extérieur", d'un créateur ou d'un malin génie. L'expérience unique de notre vie est là, et cette réalité, quel qu'en soit le contexte, est alors notre réalité vécue. C'est bien là, et seulement là, qu'au travers de toutes nos illusions, et comme éléments intimement liés au tout, inclus à cette illusion elle même, que réside la substance de notre monde. La vie est là et il nous faut l'éprouver. Notre conscience y est adaptée et nous pouvons nous y construire, et nous y épanouir, en donnant du sens à un univers qui n'en a pas.

 Notre réalité vécue ne nous limite pas aux définitions que nous donne la science. Celles-ci nous sont absolument indispensables si nous voulons comprendre l'univers où nous vivons. Seule cette base solide nous permet d'appréhender ce que nous sommes vraiment. En effet, les mythes donnent des réponses qui peuvent aider à vivre, mais qui nous obligent aussi à jouer la politique de l'autruche. Rien ne nous contraint cependant à la seule vision objective de la science. Notre esprit n'a pas à fonctionner de manière univoque. Dans notre réalité vécue : c'est nous qui donnons du sens, et nous restons entièrement libres de le définir. Ainsi cette réalité peut prendre différents visages, devenant alors une inter-subjectivité. C'est à cela que tient notre libre arbitre.

Notre conscience émerge du fonctionnement de notre cerveau, lui même issu d'un long mécanisme d'évolution. Certes, la conscience n'est pas le cerveau. Par la réalité vécue qu'elle peut appréhender et expérimenter elle sait, en quelque sorte, inventer l'immatériel. Elle est strictement régie par le déterminisme chimique et biologique de l'encéphale, mais dès qu'elle a atteint un certain degré de développement elle peut dépasser de loin ce cadre restreint. C'est un peu comme si l'artiste était emprisonné dans sa propre toile. Il ne peut en sortir, mais il peut la redessiner constamment. Toute notre pensée, jusqu’à ce que nous définissons comme étant nous mêmes, résulte alors de phénomènes déterminés où il n'y a apparemment plus de place pour le libre choix. Mais notre vie reste ce que nous percevons et éprouvons immédiatement. A ce niveau s'affirme bien la possibilité de se construire avec le monde. Encore une fois, peu importe que tout ne soit peut-être qu'images imposées. Nous n'avons de toutes façons pas accès à ce qui pourrait être alors une sorte de sur-réalité détenant la vérité profonde. Et c'est donc bien dans cette expérience vécue immédiate que tout se passe. Et là, qui peut dire que nous ne sommes pas libre de nos actes ?

 Finalement se définit une sorte de phénoménologie. Le monde n'est en rien une image de notre conscience, celle-ci étant même clairement une propriété émergente de la matière, mais sans elle l'univers serait nul et non avenu. Si rien ni personne ne pouvait le percevoir il n'existerait simplement pas. Notre réalité vécue n'est alors pas exactement le monde décrit par la science. Matière et esprit ne forment qu'un seul tout. Le phénomène est unique, mais la vision de la science exclut toute la subjectivité du monde vécu par l'observateur, pour qui sa vision unique et particulière de la vie est cependant la seule réalité.

 En acceptant de dire que ce qui constitue le réel est une sorte d'illusion, il faut aussitôt poursuivre en précisant que le déterminisme rigoureux qui régit l'univers en fait également partie. Tout est alors auto-référence où aucun absolu n'existe. Les lois décrites par la science ainsi que toute la chaîne des causes à effets, qui part de l'explosion initiale et aboutit à maintenant, permettent à la conscience d'émerger et la réalité vécue d'advenir. Toute cette logique qui ressemble à un destin inexorablement fermé est le nécessaire cheminement aboutissant à moi. Mais par ce que j'éprouve immédiatement je donne du sens et je fais exister le monde, et dans ce cadre je suis libre, tout concoure à m'en donner le sentiment et en cet instant je suis bien ce que je ressens. Un univers vide de toute conscience n'existe alors pas, à moins que je ne l'imagine. Ainsi, qui pourrait dire qu'après la mort vient le néant. Même le néant n'a de sens et de réalité que si j'en ai conscience. Pas de conscience, pas de néant, ni rien d'autre d'ailleurs, seulement de l'ignorance.

 Quel est le monde qui m'entoure et duquel j'ai l'impression d'être extérieur ? Pourquoi suis-je dans la vie, et finalement tout cela a t-il un sens ? Ces première interrogations (ou interrogations premières) amènent à la métaphysique, et viennent alors la question de dieu, de l'esprit ou de l'âme autant que celle d'un au delà possible. Mais au vu des connaissances scientifiques actuelles et dès que l'on écarte le dogme des religions, le mythe, le surnaturel et autre paranormal, ces réflexions mènent bien vite à une impasse. Il ne sert à rien non plus de mystifier la science en lui faisant dire ce qu'elle ne dit pas. Il me semble vain de se réclamer, par exemple, d'une mécanique quantique qui de part son approche difficile et exotique permettrait de dire n'importe quoi en venant servir d'équation aux théories les plus farfelues. D'ailleurs, n'en doutons pas, si j'ai marché dans un crotte de chien en sortant ce matin  c'est la faute à la physique cantique.

 Quelques certitudes émergent toutefois. Ma conscience n'est pas hors de la matière, mais elle en est issue tout en y étant pleinement immergée. Dans le phénomène de la vie, univers, corps et esprit sont intimement liés au sein d'une expérience unique. Je ne suis pas mon cerveau, mais c'est bien lui qui me produit, plongé dans une longue histoire d'évolution qui commence avec le big-bang. Mais tout animal ayant atteint, comme l'homme, un degré d'intelligence suffisant dépasse, par son esprit, le cadre qui le contient. Il obtient la possibilité de créer le monde à son image en adaptant son environnement matériel à ses besoins autant qu'en inventant des dieux, des paradis ou des fantômes. La réalité vécue par une conscience évoluée n'est plus un univers vide de signification et indifférent. Et si un déterminisme évident régit la matière qui nous fait, notre libre arbitre est entier dans la vie quotidienne qui est notre lieu de sens.

 La boucle est alors, en apparence, bouclée. Je suis inclus à l'unique réalité de la matière sans pouvoir en sortir. Il n'y a alors pas de réponse objective à toute question impliquant un "au delà". Toute métaphysique se résume à un double constat d'ignorance. D'abord la science n'est pas aboutie, et il reste peut-être à découvrir plus encore que tout ce que nous savons déjà, sans toutefois que cette limite remette fondamentalement en cause les connaissances actuelles. Ensuite nous ne saurons jamais, sur un plan expérimental, s'il peut y avoir un dehors à l'univers, non pas d'autres univers, eux aussi matériels, mais autre chose, un autre plan de réalité. Car c'est de cela dont il est question. La foi peut enfanter cet ailleurs qui se réalisera pour le croyant, mais celui qui ne parvient pas vivre avec le mythe sera contraint de dire "Je ne sais pas".

 La question première devient alors : comment me construire et bâtir la réalité. Que voulons nous être, dans quel monde voulons nous vivre, n'y a-t-il qu'une seule voie possible et des conceptions différentes peuvent-elles cohabiter. Ici tout bascule dans l'intersubjectivité. Se dessinent alors plusieurs strates où la réflexion peut se porter, chaque opinion ne valant ici ni plus ni moins qu'une autre tant que l'éthique est respectée. Finalement, le monde c'est chacun le sien, mais tous ensembles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La conscience fait intégralement partie de l'univers matériel. Les particules ont constitué les premiers atomes, l'univers est en expansion et l’entropie augmente, les galaxies se forment et les étoiles vivent et meurent, la chimie organique peut se développer sur certaines planètes, la vie peut ensuite évoluer vers des formes de plus en plus complexes et la conscience peut alors émerger. Les essais de la nature pour y parvenir peuvent être multiples, d'une multiplicité qu'un esprit humain a du mal à concevoir au fil des milliards d'années, des milliards de galaxies et peut-être même des milliards d'univers. Finalement, au vu de cette immensité, la naissance d'êtres conscients du monde et d'eux mêmes n'apparaît plus comme miraculeuse mais simplement probable. Et l'organe cerveau a pu se développer pour fabriquer tous les mécanismes électro-chimiques permettant la mise en œuvre de réseaux neuronaux complexes qui construisent la pensée. Cette pensée est donc entièrement produite par la matière.

Rappelons le, dès qu'elle atteint un certain degré de développement, la conscience dépasse de loin ce cadre matériel qui l'engendre, et dans la réalité quotidienne expérimentée de tous le libre arbitre est entier. Il n'est limité que par les lois de la nature. Et chacun est bien maître en sa maison. En effet, d'une part l'inconscient exprime souvent des mécanismes ancestraux protecteurs indispensables à l'existence d'individus équilibrés, et d'autre part il reste possible de canaliser les comportements inconscients seul, avec l'aide d'un psychologue ou de substances chimiques. L'homme n'est pas contraint à une réalité extérieure indifférente et vide de tout sens. Il peut créer le monde à son image, toute perception ne prenant sa signification que dans un large contexte référentiel biologique, culturel, social et personnel. Le passage par la matière et le corps restant indispensable à la définition des moi.

 

 

La conscience est donc effectivement davantage un "mécanisme", une fonction, qu'une chose. Elle opère dans un environnement où elle donne du sens.

Si l'on considère maintenant que la matière ne constitue en rien un absolu éternel et que, de plus, la connaissance que l'on en a aujourd'hui montre que ce que nous en percevons est en grande partie illusoire, il n'existe plus aucune réalité intangible et "solide", et ma pensée produite dans ce contexte perd tout fondement certain. Ce n'est alors pas parce que je pense que je peux être assuré que je suis. je ne sais pas.

 

Ne vient alors que le constat d'ignorance : nous ne savons pas tout et l'image du réel que nous avons aujourd'hui est peut-être fausse ou très incomplète. Enfin il restera probablement toujours des questions sans réponse. Quoi qu'il en soit, dans la réalité vécue il y a sens et liberté, et indéniablement j'y existe. Mais rien ne vient assurer une vérité absolue et extérieure à ma propre conscience, à cette réalité vécue. Je construit ma vérité, peut-être par ignorance, dans un contexte fait de néant et d'illusion.

Cette vérité peut alors être définie comme étant l'état de l'ensemble de l'univers à une position d'espace temps, elle même incluse dans la suite de ces positions déterminée par les lois de la nature. Cette vérité nous étant inaccessible elle devient, à notre échelle, l'inter-subjectivité des consciences dans ce présent spatio-temporel. A à un niveau individuel cela peut être l'ensemble de ce que je perçois et crois, mais cette vérité là n'appartient qu'à moi et ne peut être partagée qu'à la condition d'être acceptée de l'autre.

Mais enfin, seule la conscience que j'en ai permet a l'univers d'exister. Sans la conscience de lui même qu'il engendre il n'est que néant, une énergie qui se dissipe dans le vide. Et un néant ne sachant pas qu'il existe n'est rien. Un univers sans conscience n'est rien.

Le temps est lié à l'espace. Ce que nous en percevons est une illusion : il ne coule pas. C'est bien moi qui me transforme, avec l'univers entier qui m’englobe, et non le temps qui passe. La flèche du temps correspond précisément à cela. L'augmentation de l'entropie permet les transformations d'un état N à un état N+1 selon des règles fixées. Ce que nous percevons comme un écoulement n'est que la succession dans l'ordre (que nous dirons chronologique) des transformations de l'ensemble de la matière et de nous mêmes. La chronologie vécue est donc une construction illusoire de notre conscience. La question ultime est alors de savoir s'il est besoin d'autre chose que ce néant apparent qui n'est rien d'autre que l'éternité. La réalité vécue pourrait alors se suffire à elle même et j'aurai pour "au delà", si j'en ressens le besoin, tout que j'y aurai bâti en ce sens …

 

 

Voilà, j'ai dit l'essentiel. Si le cœur vous en dit vous pourrez maintenant en trouver davantage dans "Matière transfigurée" disponible sur LULU.

Enfin, je voudrais conclure en précisant que j'ai souhaité rédiger cet article et le proposer ici en forme de remerciement pour ce site où j'ai beaucoup appris et où je suis souvent venu chercher des pensées, textes et autres analyses qui m'ont aidé à progresser.

 

 

Jean Pierre Prudent