Philosophie et spiritualité


Dossier : La spiritualité

Par Julien Saiman


     La notion de spiritualité est devenue à ce point étrangère à notre société qu’on la confond couramment avec ce qui n’en est que la caricature : les sectes qui abusent de la crédulité des gens en réduisant les symboles et techniques de traditions millénaires à des clichés, ou bien encore la pensée magique du « new age ». Cette occultation de la spiritualité (et les aberrations qu’elle entraîne) est un aspect de la laïcisation des sociétés occidentales dont les causes sont multiples. Elle est liée à l’histoire complexe des rapports de la raison (c’est-à-dire de la philosophie et de la science) avec la religion. En effet, la philosophie s’est progressivement détournée de la sagesse pour ne plus chercher qu’un savoir, ce qui a permis à la religion de s’approprier en quelque sorte la spiritualité.

      La notion de spiritualité désigne à la fois le « caractère des choses de l’esprit » et « la vie selon l’esprit » (définition du Robert). C’est à cette dernière que nous allons plus particulièrement nous intéresser même si elle n’est pas sans rapport avec la première. Une première question s’impose : cela a-t-il un sens de parler de spiritualité au singulier ou bien y a-t-il plusieurs formes de spiritualité sans point commun les unes avec les autres ? On peut en effet distinguer trois formes de spiritualité : spiritualité de l’amour dans l’union à un dieu personnel (remarquons à ce sujet que le christianisme n’en a pas l’exclusivité et qu’il existe en Inde un fort courant de mystique dévotionnelle); spiritualité de la connaissance où le sujet connaissant dépasse la dualité sujet-objet ; spiritualité « poétique » où le sujet qui contemple s’absorbe dans la nature qu’il contemple.

     Une réflexion soucieuse de vérité doit ici adopter une double approche si elle veut bien cerner son objet : approche historique, extérieure, mais aussi approche conceptuelle et intérieure. Si on s’en tient à une approche historique, il y a de fortes chances que l’on ne perçoive que les cadres métaphysico-religieux dans lesquels les différentes formes de spiritualité ce sont manifestées, on en percevra donc que ce qui les distingue. Il ne s’agit pas de gommer les différences, mais il apparaît assez clairement –en s’en tenant aux textes eux-mêmes- que la spiritualité ne se réduit pas aux discours tenus sur l’esprit, Dieu ou la nature. Parallèlement à l’approche historique il faut mener une réflexion sur le concept de spiritualité même si celle-ci ne saurait suffire...   

     Remarquons que l’idée d’une vie selon l’esprit suppose un mode de vie dont la particularité serait précisément de répondre d’abord et fondamentalement aux exigences de l’esprit. En quoi ce mode de vie est-il lié aux croyances religieuses ? N’y a-t-il de spiritualité que religieuse?

     Dans la croyance, le sujet se donne sa « vérité » à lui-même, il n’a pas à changer sa façon de voir ; le fait que les choses lui paraissent conformes à sa façon de voir lui suffit pour croire être dans le vrai. Or ce qui semble caractéristique de la spiritualité quelle que soit la religion, la philosophie ou la culture à laquelle elle se réfère c’est l’idée que l’accès à la vérité demande une conversion du regard, conversion qui implique une transformation du sujet lui-même. Ainsi, Michel Foucault (L’herméneutique du sujet p.16) définit-il la spiritualité comme « la recherche, la pratique, l’expérience par lesquelles le sujet opère sur lui-même les transformations nécessaires pour avoir accès à la vérité. » La vérité ne serait pas à disposition, elle demanderait au sujet qu’il se rende disponible à elle, encombré qu’il est par tout un tas d’autres choses.

     Mais il semble ici y avoir un cercle : comment savoir, avant même de connaître la vérité, que celle-ci demande qu’on se transforme pour la connaître? Cela n’est assurément pas possible, mais il nous est, par contre, tout à fait possible de nous rendre compte de notre aveuglement (c’est à dire de la vérité de celui-ci). Il nous est aussi possible de voir que d’autres sont plus sages que nous. De plus se met-on jamais à chercher ce dont on a absolument aucune idée ? Ceci éloigne la spiritualité de la croyance mais la rapproche de la foi. En effet elle semble supposer une certaine foi (dans le sens de confiance[1]) en l’esprit.

     Cette foi est-elle adhésion à une certaine conception de l’esprit ? On pourrait croire que spiritualité et spiritualisme (doctrine qui pose la supériorité et l’indépendance de l’esprit par rapport à la matière) sont forcément liés. Or si la spiritualité est recherche de vérité, elle ne l’est pas que sur un plan théorique, elle est recherche d’une vérité libératrice. La spiritualité lie connaissance de soi et dépassement de l’individualité parce qu’elle n’est pas que connaissance intellectuelle mais observation portée sur « celui » qui observe.

     La spiritualité consiste à se savoir esprit au delà de tel ou tel état d’esprit particulier, les états d’esprit cachent l’esprit (d’où l’insistance sur l’expérience du vide, quelle que soit la tradition spirituelle). Elle est un retournement de l’esprit sur lui-même, « conversion » au sens littéral. Ce « savoir » est avant tout une expérience, qui, si elle n’exclut pas le discours et la raison, ne saurait s’y réduire. La spiritualité n’est pas d’abord une saisie conceptuelle de ce qu’est l’esprit de façon objective, mais plutôt de ce qu’il est de l’« intérieur » pour lui-même, une « science de la première personne » (selon le titre d’un ouvrage de D. Harding). Ce qui explique que l’on trouve des spiritualités qui vont se référer à des cadres théoriques différents voir antinomiques (spiritualistes ou matérialistes ; se référant à un Dieu personnel et transcendant, à un Absolu immanent non qualifié, ou à la nature), mais qui pourtant se rejoignent d’un point de vue pratique : même insistance sur la présence, sur le retournement de l’attention, sur le lâcher-prise, l’acceptation de ce qui est, etc.

     Avant d’être la croyance à tel ou tel dogme, la première des exigences de l’esprit n’est-elle pas de rentrer en soi-même afin de découvrir, par soi-même, quelles sont justement ces exigences ?

     Spiritualité serait donc synonyme de travail sur soi, est-ce que cela la rapproche du « développement personnel » ou des psychothérapies ? Si elles peuvent être proches par les moyens qu’elles utilisent (que l’on pense à la psychologie des profondeurs développée par le Bouddhisme ou le yoga hindou), elles n’ont pas le même but. Les secondes visent un équilibre psychique, la (re)construction du moi afin d’affronter la réalité sociale, alors que la première vise toujours d’une façon ou d’une autre à un dépassement des limites de la conscience ordinaire centrée sur le « moi » et le « mien ».

                                                                                                                       Julien Saïman

 


 

[1] Voir texte de G. Richard pour un atelier précédent sur la foi sur le site http :philo.pourtous.free.fr

Atelier Philosophie de l’association Ouverture 2 rue Maureil, Perpignan, le 21 mai à 20h45

 

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