Fiches biographiques

Michel Henry


       P A R C O U R S    C H R O N O L O G I Q U E  DE   L’OEUVRE

 

 1954 : Le jeune officier : roman (Gallimard)

 1963 : L’essence de la manifestation (PUF). Près de 900 pages d’une densité impressionnante en font une œuvre hors du commun. C’est, du point de vue henryen, le livre fondateur, celui qui contient, explicitement ou en germe, tout l’œuvre à venir. En rendre compte en quelques lignes relève évidemment de l’impossible. Disons simplement que s’y trouve exposée l’intuition directrice qui a guidé la pensée de Michel Henry et lui a conféré sa particularité : à l’opposé de l’attitude naturelle, de la science, de la philosophie occidentale dans sa quasi-totalité qui attribuent  la  capacité de révélation universelle à la seule transcendance, c'est-à-dire à ce pouvoir de poser à distance quelque chose qui apparaît alors comme un ob-jet, il découvre et analyse un mode de donation bien plus fondamental et sans lequel cette transcendance ne pourrait pas même advenir. Avant tout déploiement du monde, toute distanciation possible, toute relation objective, la vie s’est déjà révélée en effet dans l’immanence qui est ce pouvoir de se sentir soi-même avec lequel elle se confond. La vie s’éprouve à chaque instant intégralement, sans échappée possible hors d’elle-même, de telle façon qu’avant toute connaissance, toute pensée, toute conscience, c’est d’abord l’affectivité, le sentiment, qui nous renseigne sur la réalité authentique, la seule vérité immédiate, celle de notre qualité de vivant. Un vivant qui est nécessairement un je, un sujet, dès lors qu’ « on ne sent pas », que c’est toujours moi qui éprouve ce qu’il éprouve, dont la vie est une suite d’expériences affectives jamais interrompue.

     A partir de cette intuition c’est toute l’histoire de la philosophie occidentale, toute notre culture, toutes nos représentations du monde, qui vont être repensées et totalement renversées pour être reconduites à leur origine réelle et vivante : ce sera la finalité de tous les travaux qui suivront.

 1965 : Philosophie et phénoménologie du corps (PUF). Rédigé avant L’essence de la manifestation dont il constitue en réalité une partie, il est publié séparément pour de simples raisons éditoriales. Rejoignant les analyses de Maine de Biran qui est un de ses rares précurseurs reconnus, Michel Henry y expose sa théorie du corps subjectif. Je n’ai pas un corps, je suis mon corps. Mon corps n’est pas d’abord un de ces éléments du monde que peuvent étudier physique, chimie ou biologie, mais l’ensemble des pouvoirs dont dispose ma subjectivité vivante. Le problème fameux de l’union de l’âme et du corps, le dilemme idéalisme/matérialisme, purement théoriques, sont dépassés par cette analyse d’une expérience unitaire affective en laquelle se trouve résolue effectivement  toute opposition,  qui est tout à la fois et inséparablement celle de moi-même et celle du monde qui, résistant à mon effort, se révèle ainsi en lui et par lui.

 1976 : Marx : 1 : une philosophie de la réalité ; 2 : une philosophie de l’économie (Gallimard). Dix ans de travail et à nouveau près de 1000 pages. Cette somme qui prend en compte la totalité des écrits de Marx étonnera par son ampleur et par sa vision radicalement novatrice (j’allais dire « révolutionnaire ») du philosophe allemand. Michel Henry retrouve chez lui un fondement méta-historique de l’histoire, méta-économique de l’économie, qui est précisément l’individu vivant dont le travail, identifié d’abord à la réalité subjective d’un corps s’affrontant à la nécessité de subvenir à ses besoins, constitue le moteur de toute organisation sociale. Ici réside la réalité véritable dont les superstructures idéologiques, économiques, théoriques, ne sont que les traductions abstraites, les projections déshumanisées sous forme de lois, statistiques, schémas, qui sont tous oublieux de leur généalogie réelle et fondatrice. Lu de cette manière Marx apparaît alors comme un philosophe de première grandeur, celui qui a su voir, sous  les vicissitudes mondaines historiques et les travestissements théoriques, la vérité originaire de la praxis humaine comme relevant du domaine de l’épreuve affective de sujets vivants dont elle exprime les désirs, les besoins et leurs tentatives de résolution, qui manifeste les pouvoirs d’un corps subjectif  aspirant à sa propre exaltation et, d’abord, à sa simple perpétuation…

 1976 : L’amour les yeux fermés : roman (Gallimard). Prix Renaudot

 1981 : Le fils du roi : roman (Gallimard)

 1985 : Généalogie de la psychanalyse : le commencement perdu (PUF). Une fois encore la pensée de Michel Henry est, au sens propre, renversante : la psychanalyse, loin d’introduire une conception novatrice de l’être de l’homme s’inscrit au contraire dans la ligne tracée, au moins depuis Descartes, par la pensée occidentale et comme son ultime avatar. Le concept d’inconscient est en effet la conséquence d’une définition défaillante et tronquée de cette révélation absolue qu’est la vie, réduite à ce qui est susceptible d’apparaître à une conscience, dans la lumière du monde. De Descartes à Freud en passant par Kant, Schopenhauer et Nietzsche, le livre raconte l’histoire de cette occultation récurrente de la réalité vivante, parfois aperçue mais jamais pensée pour elle-même, qui se confond avec notre culture écartelée entre l’idéal d’une élucidation exhaustive à jamais inatteignable et le constat d’une réalité  obscure, inconsciente, négative, qui n’en est que le reflet inversé. In-conscient devient alors le nom que la théorie attribue à la vie qui la déborde de toute part et dont elle est par nature incapable de rendre compte.

 1987 : La barbarie (Grasset ; 1988 : Le livre de poche ; 2001 : PUF). Ce sera le plus gros succès commercial et médiatique de Michel Henry. Là où  certains n’ont voulu ou pu voir qu’une charge passéiste contre le progrès scientifique se poursuit la dénonciation angoissée de l’élimination multiforme de ce qui fait la réalité de nos existences : remplacement du travail vivant par des processus machiniques, de la décision humaine par des algorithmes de calcul, de la culture authentique par la logorrhée abêtissante et itérative des médias, de l’université humaniste par la mainmise des idéologies scientistes. Ce n’est pas la science en tant que telle qui est alors dénoncée mais l’autonomie monstrueuse des  dispositifs techniques qu’elle rend possibles et leur prolifération jusque dans des domaines relevant autrefois de la libre volonté, de l’éthique, de l’art, de la philosophie…Il n’est sans doute pas utile de faire remarquer combien ces analyses demeurent ô combien actuelles !

 1988 : Voir l’invisible : sur Kandinsky ( François Bourin ; PUF : 2004). Michel Henry aimait à contempler et côtoyer les œuvres d’art. Elles étaient pour lui l’occasion de sentir plus intensément ces forces et ces affects que l’artiste leur a confiés et que le spectateur retrouve en elles. Ce livre centré sur l’innovation profonde introduite par Kandinsky dans l’histoire de la peinture lui permet de mettre à l’épreuve ses intuitions face au défi de l’analyse esthétique. Refuge de la vie dans ce qu’elle a de plus intérieur, de plus indépendant du monde des objets et des concepts, l’art non figuratif le plus essentiel révèle précisément ce qui constitue le fondement de toute œuvre : non la représentation des éléments du monde mais l’affleurement de ces contenus subjectifs qui  constituent la chair intime de nos vies et dont lignes et couleurs figurent comme le sillage dans l’univers visible. Généalogie vivante de l’art que le spectateur saisit intuitivement du fait même que ces lignes et ces couleurs, avant d’être ce qu’elles semblent être sur la surface matérielle du support, sont d’abord et ultimement des impressions pathétiques qui se donnent à nous comme expériences internes radicalement invisibles.

 1990 : Phénoménologie matérielle (PUF). Sous ce titre qui est aussi celui que Michel Henry a souhaité donner à l’ensemble de sa pensée, se trouve minutieusement exposée la confrontation avec le fondateur de la phénoménologie, Edmund Husserl, et les raisons qui l’ont conduit à remettre en cause ses fondements mêmes pour établir une phénoménologie nouvelle qui ne soit plus seulement formelle, abstraite, idéelle, mais une phénoménologie de la vie concrète, celle que nous éprouvons immédiatement comme sentiments, sensations, émotions, affects, désirs, pensées, dans un présent vivant qui se distingue du temps ex-tatique décrit par Husserl puis Heidegger, lequel n’en est que pure et simple représentation dans l’horizon du monde.

     Le livre contient également la première formulation de la théorie henryenne des relations intersubjectives, fondée non sur la reconnaissance d’autrui comme rencontre d’une altérité dans le milieu du monde, comme chez Husserl ou Lévinas, mais en tant que communauté affective fondée sur l’unité de la vie en laquelle tout vivant trouve son fondement.

 1990 : Du communisme au capitalisme : théorie d’une catastrophe (Odile Jacob). Synthèse abrégée du  Marx ce livre, le plus circonstanciel de tous, parait peu de temps après la chute du mur de Berlin et de l’empire soviétique dont il voit les causes ultimes dans  un effondrement économique dicté par la négation théorique et pratique des individus qui sont pourtant la source réelle de toute richesse sociale. Cette première catastrophe va se doubler d’une seconde : la perpétuation de cette négation, sous d’autres formes, par un capitalisme conquérant que son union avec le développement effréné des techno-sciences a rendu radicalement inhumain.

     On y lira aussi avec grand intérêt des pages décisives sur la nature du fascisme compris comme l’essence de tout pouvoir politique fondé sur la négation déjà évoquée, c'est-à-dire, au fond, sur l’exaltation des forces de mort.

 1995 : Le cadavre indiscret : roman (Albin Michel)

 1996 : Vie et révélation (Université Saint Joseph, Beyrouth / Cariscript). Rassemblés sur l’initiative du Centre d’études Michel Henry de Beyrouth, ce livre est un recueil de sept textes précédemment publiés dans diverses revues et

qui abordent différents aspects de la pensée henryenne. Comme tel il constituera une excellente introduction pour qui voudrait la découvrir rapidement. 

 1996 : C’est moi la vérité : pour une philosophie du christianisme (Ed. du Seuil). De même que L’essence de la manifestation il s’agit là d’un de ces livres qui marquent une date décisive dans l’histoire de la pensée. Contrairement à certaines interprétations qui voudraient faire croire à un « tournant théologique de la phénoménologie française » dont Michel Henry serait un éminent exemple, ce travail rigoureusement philosophique se déroule dans le droit fil des analyses précédentes dont il affine et amplifie les intuitions. Chacun de nous est un sujet vivant mais sans l’avoir voulu, sans aucun pouvoir d’y accéder ni de nous y maintenir. Cela n’est possible que dans la mesure où nous sommes portés par le mouvement d’autorévélation de la Vie absolue, elle-même habitée par un premier Soi qui fait précisément d’elle une vie et non un de ces quelconques êtres indéterminés qui caractérisent l’univers matériel. En langage chrétien : nous ne sommes qu’en tant que fils d’un Père, en tant que fils dans le Christ compris comme ce premier Soi sans lequel aucun autre ne serait possible. Car Michel Henry découvre dans les paroles christiques rapportées dans l’évangile de Jean une pensée de la vie fulgurante dont il va donner une interprétation largement inouïe et qui s’accorde avec ses propres intuitions. A l’écart d’une large part de la pensée occidentale, philosophique et scientifique, se découvre  une notion de vérité indépendante de celle du monde, non objective, immédiatement accessible aux plus humbles d’entre nous : c’est que, transis par la Vie absolue qui est la chair même de notre vie affective, nous avons tous part au banquet d’une révélation qu’il nous est donnée d’expérimenter dans l’ici et maintenant de chacun de nos vécus.

 1997 : Le bonheur de Spinoza (Université Saint Joseph, Beyrouth / Cariscript ; rééd. PUF, 2004). Cet écrit appelle un commentaire, voire un avertissement, tout particulier : il s’agit du Mémoire de fin d’études supérieures de Michel Henry consacré au philosophe hollandais, rédigé pendant les années de guerre, et donc son premier texte important. Son intérêt est grand pour qui s’intéresse à la

 genèse de l’œuvre mais il conviendra de garder à l’esprit son caractère de texte de jeunesse, pré-phénoménologique, qui l’excluait, aux yeux mêmes de son auteur, de ce qui devrait être considéré comme faisant partie intégrante de son  œuvre complète.

 2000 : Incarnation : une philosophie de la chair (Ed. du Seuil). Après avoir réaffirmé dans une brillante synthèse son dépassement d’une phénoménologie

historique qui, de Husserl à Merleau-Ponty, lui semble incapable de penser la phénoménalité immanente de la vie, Michel Henry réaffirme combien celle-ci est pour lui la réalité/vérité même. Le thème de la corporéité est évidemment le plus à même d’en apporter pour nous une illustration concrète et immédiate. A la notion de corps qui s’applique aussi bien à chaque objet du monde, il oppose celle de chair qui, elle, ne peut concerner qu’un sujet vivant. En réalité elle n’est même rien d’autre que son être le plus essentiel, le milieu de révélation en lequel s’origine et prend place chacune des expériences dont la somme constitue notre vie. En elle et par elle se trouve réalisée dans le plus humble de nos gestes une participation  effective à l’histoire de l’absolu comme identique à celle de l’auto développement de la vie et  c’est cette conception qui permet au philosophe de croiser une fois encore la  tradition chrétienne qui affirme avec vigueur le caractère réel de l’incarnation du Verbe et fait de la chair le lieu du salut autant que du péché.

     Identifiée à la notion de vie subjective, invisible dans la lumière du monde, la chair est pour nous la vérité première et dernière. Antérieure et excédant  tout langage, toute théorie, philosophique ou théologique, elle est « la gnose des simples » donnée à tous également et sans distinction, la soumission de tout savoir devant le surgissement de ce qui se manifeste en nous comme l’Apparaître même de tout apparaître.

 2002 : Paroles du Christ (Ed. du Seuil) : Ce qui constitue donc les ultimes paroles de Michel Henry revient sur la problématique de C’est moi la vérité sur un mode sans doute accessible à un public plus large. S’y trouve réaffirmée avec force la coïncidence profonde des intuitions de la phénoménologie de la vie avec le contenu des paroles du Christ quant à la condition des hommes et à sa propre nature. Pour ce faire le philosophe s’appuie largement sur une distinction entre deux formes de langage : celui du monde qui nous parle des choses, de tout et n’importe quoi mais toujours de ce qui n’est pas nous (que seul notre tradition connaît) et celui de la vie qui, en deçà du précédent et avant lui, parle constamment de cette révélation que nous sommes en chacune de nos expériences, immédiatement, sans recours à l’usage du langage articulé, dans la fulgurance de son surgissement. Parole première et ultime, identifiée au Verbe de l’évangile de Jean et dont le Christ vient rappeler aux hommes le caractère essentiel, indépassable, déterminant. Une parole que leur condition de fils, d’êtres incarnés nés dans et de la vie, leur donne en partage comme celle que

leur parle sans cesse et en silence le plus humble de leurs vécus en tant que cette épreuve de soi irrécusable et qu’il leur est impossible de refuser.

     Congédiant à la fois toute philosophie et toute pensée religieuse comprises en

un sens étroit en tant qu’ ensemble de constructions théoriques, de dogmes ou d’actes de foi, Michel Henry peut alors réinterpréter les notions de mal et de péché comme  ces attitudes enracinées dans notre abandon à l’extériorité du monde, à la séduction des choses, dans notre orgueil égoïste nous laissant accroire que nous sommes à l’origine des pouvoirs dont disposent notre corps et notre esprit, alors qu’ils  nous sont donnés  comme ce don gratuit qui nous constitue précisément comme sujets. Le salut, dès lors, ne viendra pas d’un quelconque Dehors, il n’est pas la récompense d’un cheminement moral ou philosophique : il s’agit « simplement » de faire retour à notre condition intérieure et  invisible, de redécouvrir, sous le tumulte du monde, le murmure de cette Vie qui nous engendre et nous porte et que le Christ désigne sous le nom de Père.

 2003 : Auto-donation : entretiens et conférences (Prétentaine ; nouv. éd. augmentée, Beauchesne, 2004). Il s’agit là du premier volume véritablement posthume de l’œuvre henryenne. Grâce au travail de l’équipe de la revue Prétentaine ont été mis en forme et rassemblés d’importants textes d’entretiens et conférences dont beaucoup étaient demeurés inédits jusqu’à ce jour. Abordant tous les thèmes majeurs ils éclairent utilement les grands ouvrages dont nous venons de rendre compte et peuvent être considérés comme une initiation de premier ordre à la pensée de Michel Henry. A quoi s’ajoutent un entretien avec Anne Henry et un cahier de photographies qui apportent de précieux éléments biographiques pour éclairer dans une juste mesure l’existence d’un homme pour qui pudeur et discrétion avaient valeur de vertus cardinales.

 2003 : Entretiens (Sulliver) : Réunion d’entretiens dont plusieurs étaient jusqu’alors inédits. La variété des thèmes et le caractère très pédagogique de la plupart d’entre eux font de ce recueil un bon moyen d’aborder l’œuvre ou d’en compléter la compréhension.

 2003-2004 : Phénoménologie de la vie : I De la Phénoménologie ; II De la subjectivité ; III De l’art et du politique ; IV Sur l’éthique et la religion (PUF). Ces quatre volumes regroupent, sous la forme thématique qu’annoncent leurs

titres, nombre de textes courts précédemment publiés en tant qu’articles de revues ou contributions à des ouvrages collectifs. Leur importance théorique et leur échelonnement chronologique couvrant l’ensemble du parcours henryen en font des compléments indispensables des ouvrages rédigés par Michel Henry.

 2004 : Phénoménologie et christianisme chez Michel Henry (Ed. du Cerf). Le grand intérêt de ce livre consiste en la publication des réponses apportées par Michel Henry aux critiques et objections de divers théologiens concernant les

 thèses exposées dans C’est moi la vérité. Il s’agit de textes denses, parfois mordants, qui nous montre le philosophe dans la plénitude de sa pensée et fournissent une pièce essentielle dans le débat que certains entendent mener autour du « christianisme » henryen.

                                                        Roland Vaschalde

                                            Montpellier : octobre 2006

 

Bienvenue| Cours de philosophie| Suivi des classes| Fiche auteur| Liens sur la philosophie| Nos travaux| Informations E-mail :  philosophie.spiritualite@gmail.com