Fiches cinéma et philosophie   

Le fabuleux destin d'Amélie Poulain   de Jean Pierre Jeunet


 Notion : le bonheur

 Sur l'art de vivre

     Intervenir dans la vie des autres pour tenter de dénouer les nœuds de leurs souffrances, ou rester seul dans son coin à ne s'occuper que de sa vie, cela semble opposé. A moins que finalement la solitude ne soit elle-même une souffrance nouée dans le cœur et que la seule façon de s'y confronter, c'est d'aller à la rencontre d'autres solitudes nouées elles aussi autour d'une souffrance. Amélie est restée une petite fille qui a grandi toute seule. Elle se retrouve avec son père, après la mort de sa mère, un père qui tourne en pensée autour de la perte de sa femme, un père rivé à son appartement d'Engein, et au monument élevé en souvenir de sa femme. Amélie réinvente sa vie dans l'imaginaire.

      Mais il y a un déclic. Un jour Amélie décolle un carreau de la salle de bain pour trouver un trésor, la boîte à souvenir d'un enfant qui devait habiter là dans les années 50. Dans l'existence terne d'Amélie, c'est une étincelle de sens. Et si il était possible de retrouver cette personne? lui rendre la boîte? Retrouver une boîte comme celle là, c'est retrouver tout un passé, les souvenirs d'enfant. Tremper la madeleine dans le thé comme Proust. Ce serait donner un petit bonheur. Et c'est là que le film est très important : la vie est faite de petites choses, de petits plaisirs : sentir un galets dans sa poche, le garder pour faire des ricochets, caresser une endive, ranger un sac à main ou une boîte à outils etc. Il y a des petites choses qui  sont des rituels de réconciliation avec soi, des petits plaisirs que l'on se donne qui donnent à la vie quelques moments d'abandon. Amélie prépare donc un stratagème pour que la boîte retrouve son propriétaire. Un stratagème, c'est toute une mise en scène qui fait entrer du mystère, une sorte de magie dans la vie. Il y a la magie de la coïncidence incroyable, il y a la magie de la farce - incroyable aussi. Cette magie là, avec un peu d'imagination, on peu la provoquer, l'introduire dans la vie. Il suffit d'aller à la rencontre des désirs d'autrui. Et puis tout s'enchaîne : après la boite dans la cabine du téléphone, c'est le voyage du nain de jardin, la cabale de l'appartement de l'épicier, Georgette et ses amours, l'homme de verre et la peinture, l'inconnu des photomatons.

      Il y a un fil conducteur implicite : chacune de nos vie tourne autour d'un nœud irrésolu, d'un drame intérieur qui engendre son lot de souffrance et polarise l'existence. La concierge ne se remet pas de l'abandon de son mari, comme le père d'Amélie n'en finit pas de ritualiser la perte de sa femme. Amélie décide de porter un remède là où ça fait mal. Composer une fausse lettre pour la concierge. Inciter son père à voyager pour oublier le passé Résoudre l'énigme de l'inconnu du photomaton etc. Donner du bonheur en satisfaisant un grand désir. Il y a en nous tous un farfadet, un farceur qui sommeille. Il y a en nous un farfadet amoureux des jeux de pistes qui vous mènent à un trésor. Mais le farfadet est resté dans l'enfant. Amélie l'a ramené en elle, pour donner des moments de bonheur.

    Mais et Amélie dans tout cela? Où est son nœud personnel à elle? C'est magnifique de jouer à  ce jeu pour les autres. Mais Amélie? Elle n'est évidemment pas différente des autres. Veut-elle enfin oser vivre et aimer? Faut-il qu'elle reste dans le repli, qu'elle ignore son propre nœud personnel, ou venir enfin au grand jour?

     La leçon d'Amélie est une leçon sur le bonheur. Le bonheur est une plénitude d'être d'où le sentiment du manque est absent. Une blessure, un désir peut recouvrir  la plénitude et installer une routine de la souffrance, un conditionnement de malheur. Il y a dans nos existences un besoin de trouver une réconciliation avec soi, avec le soi dont nous nous sommes séparé en nous identifiant à un manque. La leçon  d'Amélie, c'est aussi le bonheur minimaliste, le goût des petites choses, le plaisir de caresser le canif au fond de la poche selon Philippe Delerm. Ce n'est pas tant la petitesse qui compte en fait que la valeur de l'instant. Instant à faire de jolis ricochets sur l'eau, instant à coller des photos d'inconnu, etc. Si nous pouvions trouver que chaque instant est précieux, que chaque instant est une jouissance, pour peu que nous y soyons présent, nous pourrions au moins nous autoriser d'être heureux. Ce n'est pas loin. Ce n'est pas si difficile. Il n'est pas indispensable de passer son temps à rêver la vie au lieu de la vivre. Il est possible de ne plus avoir besoin de compenser indéfiniment. Si je suis ici, maintenant, si je suis pleinement présent, savourant chaque instant, il devint inutile de compenser. Le retour des choses va aire que ceux là qui ont reçu les cadeaux d'Amélie vont vouloir lui retourner sa propre leçon. Allez, il faut faire le saut : désire donc ton désir le plus cher. Suis la pente de l'amour que tu as toi-même voulu offrir : d'où cette ivresse de la balade en mobylette de la fin avec son amant qui conclut le film.

    Pourquoi le succès de ce film? Pas seulement pour le brio esthétique. Non. Il y a dans ce film, la poésie de la vie dans sa simplicité, il y a dans ce film, un frémissement de joie très communicatif. On se dit qu'au fond, les autres sont très bien tels qu'ils sont, uniques, originaux et qu'il suffit des les aimer tels quels, au lieu de toujours vouloir les juger et les corriger

© Philosophie et spiritualité, 2002, Philippe Dénouézil. 

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