The Fontain
Darren Aronofsky
INTRODUCTION :
Tout homme
désire échapper à son destin qui le mènera inéluctablement à une mort
certaine à laquelle il ne peut raisonnablement pas espérer échapper.
Cependant, comme beaucoup de mythes, celui de la fontaine de Jouvence qui
attribue à l’eau une importance régénératrice et fondamentale (elle est
d’ailleurs chez Thalès le principe cosmique, fondateur comme le sera le feu
chez Héraclite par exemple) répond à cette angoisse liée au destin
inéluctable de la mort, en présentant cette fontaine comme remède à la mort,
comme moyen de rajeunissement perpétuel. Ce mythe répond donc au besoin de
l’homme de concevoir la possibilité de l’immortalité et la fontaine de vie,
appelée de Jouvence promet d’y mener celui qui la trouvera. Or force est de
constater que ce besoin n’a nullement quitté l’homme à travers les âges et
qu’au contraire, si le mythe est délaissé, voire oublié, et si à juste titre
personne ne cherche plus la fontaine de Jouvence, ce mythe cependant se
profile toujours derrière de nombreuses pratiques médicales, chirurgicales,
voire même commerciales qui lui font écho, démontrant qu’il semble toujours
présent, du moins, de façon inconsciente et à titre symbolique.
Depuis des siècles, le secret de l’éternelle
jeunesse semble être le l’objet de recherches, depuis la mystique pierre
philosophale de la philosophie occulte des alchimistes, jusqu’au pratiques
de chirurgies esthétiques destinées à combler les rides, en passant par la
commercialisation de cosmétiques ou teintures. Il apparaît même (où
peut-être n’est-ce la qu’un fantasme) que la recherche médicale, en tentant
de percer le secret du génome humain espère un jour parvenir à inverser le
processus de vieillissement humain. D'ailleurs, aux États-Unis, de nombreux
tests et recherches sont réalisés sur des souris ou encore des singes pour
déceler la cause du vieillissement et pour tenter de la stopper . Ils ont
ainsi découvert que réduire l'apport de nourriture dans un régime bas en
calories et réduire la quantité de nourriture ingérée pouvaient donner des
effets positifs sur l'organisme; les singes se portaient en très grande
forme, tiraient le maximum de leur alimentation et vivaient plus longtemps.
On ne veut plus vieillir, plus grandir pour ne plus mourir.
Or la science peut-elle vaincre le vieillissement et a
fortiori, la mort ? Et d'ailleurs, si tel était le cas, cela ne
retirerait-il pas tout sens à la vie ? Savoir et accepter surtout l'idée que
la mort est l'horizon voilé de toute vie n'est-ce pas un bien meilleur moyen
que d'atteindre la paix de l'âme plutôt que de chercher à contrer cet état
de fait ? C'est la que s’inscrit The Fountain, film réalisé par Darren
Aronofsky (Requiem for a Dream, Pi…), sorti en 2006, classé (injustement ?)
dans la catégorie de science fiction, et qui dans un récit à l’imagerie
proche de la poésie, et très original, pose la question de l’acceptation de
la mort.
1. SYNOPSIS :
The
Fountain est une odyssée qui raconte le combat millénaire d'un homme Tomas,
(Tommy ou Tom Creo selon les époques, interprété par Hugh Jackman) pour
sauver la femme Isabelle, Izzi Creo (interprétée par Rachel Weisz) qu'il
aime. Le film se construit et se laisse voir comme un puzzle formé de trois
récits, qui une fois assemblés mènent, comme à travers un labyrinthe non pas
spatial mais temporel, vers une seule et même vérité ; accepter, dans une
logique stoïcienne, la mort, et trouver la paix face à la vie, l'absence de
l'être aimé, la mort,
acceptation qui peut mener, allégoriquement, vers une renaissance.
Le premier des trois récits se déroule en Espagne au temps des Conquistadors
et nous montre le conquistador Tomas qui part en quête de la légendaire
Fontaine de Jouvence sous l'ordre de la reine Izzi dont il tombe amoureux,
fontaine qui est censé apporter l'immortalité. Le second volet se situe dans
notre époque contemporaine, dans ce qui est notre présent d'aujourd'hui, et
nous montre un scientifique nommé Tommy Creo, qui en fait n'est autre que
Tomas, et qui cherche désespérément le traitement capable de guérir le
cancer qui ronge son épouse, Izzi. Le dernier temps de ce voyage temporel
nous emmène au XXVIème siècle, dans un futur lointain, où Tomas est devenu
un astronaute qui voyage à travers l'espace et prend peu à peu conscience
des mystères qui le hantent depuis un millénaire.
2. LE POINT COMMUN ENTRE TOM,
THOMAS ET TOMMY.
T omas,
conquistador, reçoit de la reine à laquelle il offre ses services l'ordre de
retrouver l'Arbre de Vie tel qu'il est décrit dans la Bible, celle-ci étant
sur le point de se faire assassiner par le Grand Inquisiteur Silecio qui
tente d'annexer ses territoires dans le but de lui ravir le contrôle de
l'Espagne en exécutant pour cela ses partisans. Cet arbre se situe dans le
nouveau monde, au sommet d'une pyramide maya. Alors que tous ses compagnons
conquistadors se font tuer lors du périple qui les mène à cette pyramide,
seul Tomas survit, mais il se fait rapidement désarmé par les guerriers
mayas qui l’y attendent, préservant l’arbre de vie. Forcé par les guerriers
à monter les marches de la pyramide à la suite du prêtre maya, il arrive au
sommet où en lieu et place de l’arbre de vie, il trouve un sort effroyable
puisqu’aveuglé par les flammes que tient le prêtre, il se fait blesser à
l’abdomen.
Tommy Creo quant à lui est chercheur en cancérologie et est un scientifique
moderne. Tout comme Tomas, il tente de trouver le moyen de guérir le cancer
du cerveau grâce à des expérimentations sur des singes, tentant ainsi de
guérir sa femme Izzie elle-même atteinte du cancer. Après l'échec des tests
effectués sur un singe nommé Donovan, Tommy trouve l'inspiration et prend le
risque d'utiliser un composé non testé provenant d'un arbre du Guatemala.
Tout d'abord, le traitement ne stoppe pas l'évolution de la tumeur mais
entraîne toutefois le rajeunissement du singe, soigne ses blessures et
améliore ses capacités cognitives. Cependant, malgré ses recherches, les
efforts de Tommy sont vains, et sa femme décède, ayant quant à elle accepté
la fatalité de la mort qui des lors perd son caractère angoissant. Au moment
même où sa femme meurt, et c’est là le lien qui unit Tommy à Thomas, son
associée lui révèle que le composant de l’arbre du Guatemala, centre de la
culture maya au passage, a réussi à faire régresser la tumeur. Cet arbre est
donc un arbre qui permet de rajeunir le singe, et qui permet de guérir du
cancer, ce qui fonde l’espoir de Tommy de vaincre la mort qui lui apparaît
alors comme une maladie comme une autre. En effet, aux funérailles d'Izzi,
Tommy déclare à son associée : « La mort est une maladie, comme n'importe
quelle autre. Et il y a un remède. Et je le
trouverai. » L’arbre du
Guatemala apparaît donc comme le remède à la maladie, il procure la jeunesse
et semble même être à même de guérir la mort : est-ce alors l’arbre de la
vie que Tomas le conquistador recherchait ?
C’est le futur qui permet de répondre à la question,
nous présentant Tom, cette fois spationaute, qui voyage vers une nébuleuse
dorée dans un vaisseau sphérique où se trouve également un arbre vivant
devant lequel il médite et auquel il parle, comme s’il le confondait avec sa
femme disparue dont il est hanté par le souvenir. Mais l'arbre meurt aussi.
Tom plonge alors dans une vision où il voit Izzie qui l'encourage à finir
d'écrire la fin d’un livre qu’elle a commencé, et qui raconte l’histoire
d’un conquistador : ce livre s’intitule « The Fountain ». Tom faisant face à
sa peur de la mort accepte de mourir, ce qui lui permet d'écrire la fin du
livre, qui boucle à la fois la recherche de Tomas le conquistador mais aussi
celle de Tommy le scientifique.
Le film se termine alors par un retour à l’histoire originale du
conquistador, retour qui narre comment Tom a décidé de terminer l’histoire
qu’a commencée sa femme. Ainsi, reprenant là où s’achève l’histoire du
conquistador, il modifie l’histoire et au lieu de se faire tuer, le prêtre
maya reconnaît en lui le Père Originel, la divinité qui se sacrifia pour
créer le monde. Le prêtre se présente alors lui-même en sacrifice et Tomas
lui tranche la gorge. Le conquistador trouve ensuite l'arbre de vie et en
extrait la sève pour l'appliquer sur sa blessure. Voyant la blessure
soignée, il boit avidement la sève. Des bouquets de fleurs sortent alors de
son corps, le recouvrant sous l'arbre. Le Tom du futur est ensuite montré
passant dans le cœur de la nébuleuse, en paix avec l'idée de sa mort
prochaine, tandis que l'étoile explose et que l'arbre fleurit de nouveau. Le
Tommy du présent est enfin montré plantant une graine d'arbre sur la tombe
d'Izzi.
3. L’ENSEIGNEMENT QUE L’ON PEUT
EN TIRER :
Tout d’abord, aussi bien dans le film que dans la
symbolique, la fontaine d’eau vive, de Jouvence, d’immortalité se situe
toujours au pied d’un arbre, qui est l’Arbre de Vie, et qui par exemple dans
la Genèse, se situe au centre du Paradis terrestre. L’eau qui sort de cette
fontaine se divise en quatre fleuves qui coulent en quatre directions
différentes (les 4 directions de
l’espace, Nord, Est, Ouest, Sud). Elle symbolise donc un perpétuel
rajeunissement, qui permet d’abolir la condition temporelle (et spatiale),
qui permet de « sortir du temps ». Elle symbolise la régénération et la
purification. Mais c’est allié à la symbolique de l’arbre que l’eau prend
toute sa force. Celui-ci symbolise en effet la force de la vie et ses
origines, l'importance des racines et le développement de la Vie. Rappelons
d’ailleurs que l’eau de la fontaine de Jouvence circule dans la sève de
l’arbre qui guérira Tom de ses blessures et donnera vie à des fleurs à
travers son corps. Toute la symbolique du film est donc liée.
Mircea
Eliade consacre son ouvrage Images et Symboles à la symbolique de l’eau, de
l’Arbre de vie qu’il inscrit dans la symbolique indienne du temps, et
surtout du moyen de la sortie du temps. L’arbre selon lui s’apparente au
centre cosmique, puisque il met en communication trois niveaux du cosmos :
ses racines touchent le monde inférieur, le tronc, la terre, notre monde
intermédiaire, et, sa cime avec ses branches touche le ciel, et est attirée
par la lumière, alors que ses pieds reposent dans les ténèbres. Il relie
donc ciel et terre et possède à ce titre un caractère central : il est l’axe
du monde, puisque la fontaine à ses pieds institue les pôles de l’espace. A
l’Arbre de Vie du film que l’on aperçoit la première fois dans le futur,
avec Tom l’astronaute, fait écho la bulle du vaisseau qui le fait voyager,
bulle qui rappelle, toujours d’après Mircea Eliade l’œuf cosmique, qui lui
est centre de l’univers par excellence. Ainsi, dans la philosophie
bouddhiste, « l’arbre de la Boddhi, sous lequel le Bouddha atteignit
l’illumination, est encore un Arbre du Monde et un Arbre de vie, il
représente, dans l’iconographie primitive, le bouddha même. Ses racines, dit
une inscription d’Angkor, sont Brahmâ, son tronc Civa, ses branches Vishnu.
C’est une représentation classique de l’axe du monde. » (p63, article «
Arbre » Dictionnaire des Symboles).
Pour revenir au film, nous pourrions dire que Tom se trouve donc au « centre
du monde », là où est possible la rencontre entre les trois zones cosmiques.
Or, dans son vaisseau, Tom se rapproche de plus en plus d’une nébuleuse
dorée, qui fait penser à un soleil, et qu’il va même jusqu’à traverser à la
fin du film. Le soleil, pour Mircea Eliade représente le Temps, le sommet de
la voûte céleste, et il reste immobile. C’est l’homme, les planètes, Tom
dans son vaisseau qui s’en rapproche et se meuvent autour, ce n’est pas le
soleil qui se meut. Le Soleil est donc principe d’immobilité, et le
rejoindre, c’est atteindre cette immobilité, c’est « réaliser le miracle de
la sortie du Temps ». « Le nunc fluens se transforme paradoxalement en nunc
stans » et comprendre que le temps, dans une perspective très pan-indienne,
n’est pas, qu’on peut le dépasser, c’est se délivrer. De plus, Tom se trouve
au centre Cosmique, et ce « Centre » est le « lieu paradoxal de la rupture
des niveaux, le point où le monde sensible peut être transcendé. Mais par le
fait même qu’on transcende l’Univers, le monde créé, on transcende le temps,
la durée, et on obtient l’éternel présent intemporel ».
Or le sage est celui qui se tient dans l’intemporel, et l’on voit d’ailleurs
Tom méditer en position du lotus (appelée aussi padmasana) qui dans
l’hindouisme permet d’atteindre la sagesse en voyant la vraie nature de la
réalité. Cette sagesse apparaît donc dans la sérénité nouvelle du personnage
(qui s’apparente à l’ataraxie) qui se situe bien loin de l’homme affligé par
la mort de sa femme. Il a donc comme accepté la mort tout comme sa femme
l’avait accepté, et cette acceptation de la mort transparaît comme une façon
de la vaincre puisque dès lors qu’il meurt, son corps donne vie à des fleurs
sous l’arbre de la Vie.
Ce dernier apparaît donc dans le film comme le symbole de l’acceptation de
la mort : la vraie immortalité se situe dans la compréhension que la mort
est la fin nécessaire de la vie, qu’elle n’est pas une fatalité, une maladie
mais un résultat nécessaire. L’arbre de vie qui confère l’immortalité est en
fait à trouver en soi, par la méditation et la sagesse, par l’apprivoisement
de l’idée de la mort plus qu’il n’est à trouver à l’extérieur, dans le monde
concret.
Pour répondre à la question que Tommy pose : « la mort est une maladie,
existe-t-il un remède ? », nous pourrions dire que oui, à la façon des
stoïciens, ce remède est l’acceptation de l’ordre du monde car pour Épictète
« ce n'est pas la mort qui est terrible, c’est l’idée que je m’en fais » (cf
le Manuel).
CONCLUSION
Si la science parvenait vraiment à vaincre la mort, comme tel est le souhait
de Tommy le scientifique, il est fort à parier que d’une part cela ne
répondrait pas à l’angoisse de la disparition, du néant, bref, aux questions
métaphysiques de l’homme car qu’est-ce que cela serait de supprimer la mort
sinon supprimer le problème philosophique plutôt que le résoudre ? D’autre
part, la vie n’a un sens que dans sa cessation qu’est la mort, et toutes les
tentatives modernes de repousser ses traces ne peuvent pas mener à la
réconciliation de l’âme et ne font que la laisser dans un trouble peu
propice à l’ataraxie. Ce film recèle donc une vraie réflexion sur notre
rapport à la mort et au temps.
Fiche préparée par
Eva MARAZEL
© Philosophie et spiritualité, 2009.
E-mail : philosophie.spiritualite@gmail.com
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