Fiches cinéma et philosophie   

Rencontre avec Joe Black  de Martin Brest


  Notions:  la mort

  Sur le passage de la mort

 Joe est Le passeur de la mort, exactement comme la figure de Yama dans la mythologie de l’Inde. C’est un des aspects ou des pouvoirs du Divin. Attention, ce n’est pas du tout le " diable " opposé à Dieu, mais celui qui occupe la fonction cosmique d’assurer la transition entre l’ici-bas et l’au-delà. Le film ne le présente pas du tout de manière manichéenne. Il joue son rôle dans la Création et il dit avoir beaucoup de travail. Il a décidé cependant de prendre quelques vacances en rendant visite aux humains. C’est un dieu, pas un homme, il se tient en lui-même de sa propre autorité, il a l’autorité de l’absolu, donc une indépendance totale vis-à-vis des hommes et de leurs opinions. Il reste étranger parmi les humains.

   Parish est l’homme accompli, l’homme qui a fait le parcourt du cycle de sa vie et qui doit affronter la rencontre de la mort .Il doit passer par des étapes : le refus, la lutte, puis enfin l’acceptation. Ce sont ces sentiments qui vont alterner dans ses relations avec Joe. Noter que dans la version française Joe dit " tu " tandis que Bill Parish dit "vous " à la mort. Il va comprendre que la vie vaut non pas par sa durée, mais par son achèvement. Il est prêt à mourir, parce qu’il est mûr comme un blé qui peut-être fauché. Il dira que ce qui importe, c’est de pouvoir dire un jour " j’ai fait ce que je devais faire, il ne reste rien, ma vie est accomplie ". Un homme doit pouvoir un jour se lever le matin en disant cela. C’est qu’il est prêt à mourir.

    La vieille femme qui est à l’hôpital reconnaît Joe dans sa véritable identité " obéa que fais tu ici ? tu viens me chercher ". Elle voit qu’il est le passeur de la mort, celui que l’on ne voit normalement que de l’autre côté et qui est venu de ce côté. Sa présence dans le monde des vivants est anormale : que les dieux restent là où ils sont et laissent les hommes tranquilles. " tu violes les lois de l’univers en venant ici ". Les hommes ne verront en Joe qu’un être humain alors qu’il est un Pouvoir qui les dépasse, c’est une tromperie. Elle dira de la relation avec Suzanne " elle sait qui tu es ? C’est mauvais pour toi, pour moi aussi, pour elle. Ici tu n’es pas à ta place ". Elle n’a pas peur de lui, elle sait qu’elle repartira dans ses bras, elle en a assez de souffrir de sa tumeur. " emmène moi, maintenant j’ai assez de jolies images, je veux retourner chez toi ".

     Suzanne est la figure de l’innocence et de la beauté, celle qui appelle l’amour et la passion. Elle ne veut pas, elle est conduite, fascinée par l’apparition que représente Joe. Elle est d’abord séduite par le premier Joe, troublée par la rencontre. La relation au second Joe, qui est la mort est différente, c’est la relation à celui qui est étranger, qui est la personnification d’un mystère, mais qui dégage une présence à laquelle elle ne peut pas résister. Elle va comprendre implicitement qui est le second Joe, elle acceptera tout, la passion et le renoncement. On se demande tout de même de qui elle a été amoureuse, si c’est de la vie ou du mystère.

     Alison, la seconde fille de Parish, est sophistiquée, elle n’est pas naturelle, mais on comprend qu’elle en fait trop, parce qu’elle voudrait retenir l’amour de son père, elle voudrait le reconquérir, car elle a toujours représenté moins que sa sœur à ses yeux. Derrière cette apparence guindée, il y a en fait beaucoup de sensibilité, un amour qui se montre et se donne.

     Queens est le looser du film, un homme qui s’est toujours considéré comme un raté qui a été sauvé par sa femme. Il lui voue un amour sincère, dévot presque. Ce sera lui qui va incarner la nécessité de " vider son sac " quand la fin approche. La vérité doit apparaître, car on ne peut tricher avec la mort. Il est au fond honnête, il a une vraie conscience morale, même si ce n’est pas un homme brillant.

   Le brillant second de Parish est un requin du monde des affaires, un manipulateur habile sans aucun scrupule : pas la moindre trace de sens moral chez lui, car tout en lui est calcul intéressé, il ne connaît que les relations de domination et de pouvoir, l’attrait de l’argent et l’ambition. C’est le seul personnage qui soit aussi tranché, il est tout à fait diabolique en un sens - ce que n’est pas Joe -. La mort, ce n’est pas le mal.

   L’esthétique de la lenteur du film permet de rentrer dans une ambiance ou la mort est approchée dans la beauté, la grandeur d’âme, dans la sérénité. " dois-je avoir peur ? ", " non pas toi Bill ". Le pont que traversent Joe et Parish est symbolique, c’est le passage de la vie à la mort.

 

  © Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan. rédigé en collaboration avec la classe de TL2 de l'année 2002-2003.

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