Mon oncle d'Amérique d'Alain Resnais
François Brooks a eu la bonne idée de retranscrire le texte du film de Henri Laborit, je trouve que c'est une bonne façon de revenir à la source de cette pensée claire et qui nous porte toujours à de bonnes réflexions ... Dominique.
(1980 dans le film d’Alain Resnais) > par Henri Laborit > > La seule raison d’être d’un être, c’est d’être. C’est-à-dire, de maintenir > sa structure. C’est de se maintenir en vie. Sans cela, il n’y aurait pas d > être. > (…) > Remarquez que les plantes peuvent se maintenir en vie sans se déplacer. > Elles puisent leur nourriture directement dans le sol, à l’endroit où elles > se trouvent. Et grâce à l’énergie du soleil, elles transforment cette > matière inanimée qui est dans le sol en leur propre matière vivante. > (…) > Les animaux, eux, donc l’homme qui est un animal, ne peuvent se maintenir en
> vie qu’en consommant cette énergie solaire qui a donc déjà été transformée > par les plantes. Et ça, ça exige de se déplacer. Ils sont forcés d’agir à l > intérieur d’un espace. > (…) > Pour se déplacer dans un espace, il faut un système nerveux. Et ce système > nerveux va agir, va permettre d’agir, sur l’environnement et dans l > environnement. Et toujours pour la même raison : pour assurer la survie. Si > l’action est efficace, il va en résulter une sensation de plaisir. > (…) > Ainsi, une pulsion pousse les êtres vivants à maintenir leur équilibre > biologique, leur structure vivante, à se maintenir en vie. Et cette pulsion > va s’exprimer dans quatre comportements de base : > 1) Un comportement de consommation. C’est le plus simple, le plus banal. Il > assouvit un besoin fondamental : boire, manger, copuler. > 2) Un comportement de fuite > 3) Un comportement de lutte > 4) Un comportement d’inhibition > (…) > Un cerveau ça ne sert pas à penser, mais ça sert à agir. > ____________________________________ > Professeur Henri Laborit. > Né le 21 novembre 1914 à Hanoi, Indochine. > Père : médecin des troupes coloniales. > Lycée Carnot à Paris. > École principale du service de santé de la marine et faculté des médecines > de Bordeaux. > Docteur en médecine, interne des hôpitaux, chirurgien des hôpitaux, maître > de recherche du service de santé des armées. > Introduit en thérapeutique l’hibernation artificielle, la chlorpromazine, le > premier tranquillisant, ainsi que d’autres drogues à action psychotrope. > Travaux sur la réaction de l’organisme aux agressions qui ont apporté des > solutions nouvelles à l’anesthésie et à la réanimation. > Dirige, à Paris, les laboratoires d’eutonologie. > Auteur de nombreux ouvrages sur la biologie du comportement. > Marié, 5 enfants. > Prix Albert Lasker de l’American Health Association. > Sport : équitation, voile. > Légion d’Honneur > Croix de Guerre 1939-45 > Palmes Académiques. > Il faut ajouter aussi qu’il est d’origine vendéenne. La Vendée est ce pays > auquel on a imposé la liberté l’égalité et la fraternité, la fraternit > surtout, en y faisant 500,000 morts. Il est cependant abonné au gaz et à l > électricité de France, ce qui montre ses sentiments nationalistes, et d > autre part il est parfaitement adapté à une socioculture dont il a largement > profité. > > [10 min.] > ____________________________________ > > L’évolution, l’évolution des espèces, est conservatrice. Et dans le cerveau > des animaux on trouve des formes très primitives. > Un premier cerveau que Paul Maclean a appelé le cerveau reptilien. C’est > celui des reptiles, en effet, et qui déclenche des comportements de survie > immédiate sans quoi l’animal ne pourrait pas survivre. Boire, manger, ce qui > lui permet de maintenir sa structure, et copuler, ce qui lui permet de se > reproduire. Et puis, dès qu’on arrive aux mammifères, un second cerveau s > ajoute au premier. Et d’habitude on dit, avec Maclean encore, que c’est le > cerveau de l’affectivité. Je préfère dire que c’est le cerveau de la > mémoire. Sans mémoire de ce qui est agréable, de ce qui est désagréable, il > n’est pas question d’être heureux, triste, angoissé ; il n’est pas question > d’être en colère ou d’être amoureux. On pourrait presque dire qu’un être > vivant est une mémoire qui agit. Et puis un troisième cerveau s’ajoute aux > deux premiers. On l’appelle le cortex cérébral. Chez l’homme, il a pris un > développement considérable. On l’appelle un cortex associatif. Ce que ça > veut dire? Ça veut dire qu’il associe. Il associe les voies nerveuses > sous-jacentes et qui ont gardé la trace des expériences passées ; il les > associe d’une façon différente de celles où elles ont été impressionnées par > l’environnement au moment même de l’expérience. C’est-à-dire qu’il va > pouvoir créer, réaliser un processus imaginaire. Dans le cerveau de l’ homme, > ces trois cerveaux superposés existent toujours. Nos pulsions sont toujours > celles très primitives du cerveau reptilien. > > [14 min.] > > (…) > Ces trois étages du cerveau devront fonctionner ensemble. Et, pour ce faire, > ils vont être reliés par des faisceaux. L’un, on peut l’appeler le faisceau > de la récompense, l’autre, on peut l’appeler celui de la punition. C’est lui > qui va déboucher sur la fuite et la lutte. Un autre encore est celui qui va > aboutir à l’inhibition de l’action. Par exemple, la caresse d’une mère à son > enfant, la décoration qui va flatter le narcissisme d’un guerrier, les > applaudissements qui vont accompagner la tirade d’un acteur, et bien tout > cela libère des substances chimiques dans le faisceau de la récompense et > aboutira au plaisir de celui qui en est l’objet. > > [18 min.] > > (…) > J’ai parlé de la mémoire. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que, au début de > l’existence, le cerveau est encore, disons, immature. Donc, dans les deux ou > trois premières années de la vie d’un homme, l’expérience qu’il aura du > milieu qui l’entoure sera indélébile et constituera quelque chose de > considérable pour l’évolution de son comportement dans toute son existence. > Et finalement, nous devons nous rendre compte que ce qui pénètre dans notre > système nerveux depuis la naissance, et peut-être avant in utero, les > stimulus qui vont pénétrer dans notre système nerveux nous viennent > essentiellement des autres. Nous ne sommes que les autres. Quand nous > mourons, c’est les autres que nous avons intériorisés dans notre système > nerveux, qui nous ont construits, qui ont construit notre cerveau, qui l’ ont > rempli, qui vont mourir. > > [21 min.] > > (…) > Ainsi nos trois cerveaux sont là. Les deux premiers fonctionnent de façon > inconsciente. Nous ne savons pas ce qu’ils nous font faire : pulsions, > automatismes culturels. Et le troisième nous fournit un langage explicatif > qui donne toujours une excuse, un alibi, au fonctionnement inconscient des > deux premiers. Je crois qu’il faut se représenter l’inconscient comme une > mer profonde et ce que nous appelons le conscient, comme l’écume qui naît, > qui disparaît, renaît à la crête des vagues. C’est la partie très très > superficielle de cet océan qui est écorché par le vent. > > [25 min.] > > (…) > On peut donc distinguer quatre types principaux de comportement : > 1) Comportement de consommation, qui assouvit les besoins fondamentaux. > 2) Comportement de gratification. Quand on a l’expérience d’une action qui > aboutit au plaisir, on essaie de la renouveler. > 3) Comportement qui répond à la punition ; soit par la fuite qui l’évite ; > soit par la lutte qui détruit le sujet de l’agression. > 4) Comportement d’inhibition : on ne bouge plus, on attend en tension. Et > on débouche sur l’angoisse. L’angoisse c’est l’impossibilité de dominer une > situation. > > [30 min.] > > (…) > > [1h11 min.] > > On prend un rat et on le met dans une cage à deux compartiments, c > est-à-dire, dont l’espace est séparé par une cloison dans laquelle se trouve > une porte. Le plancher est électrifié intermittemment. Avant que le courant > électrique passe dans le grillage du plancher, un signal prévient l’animal > qui se trouve dans la cage que, quatre secondes après, le courant va passer. > Mais il ne sait pas au départ. Il s’en aperçoit vite. Au début, il est > inquiet et très rapidement il s’aperçoit qu’il y a une porte ouverte et il > passe dans la pièce d’à côté. La même chose va se reproduire quelques > secondes après. Mais il apprendra aussi très vite qu’il peut éviter la > «punition» du petit choc électrique dans les pattes en passant dans le > compartiment de la cage où il était au début. Cet animal, qui subit cette > expérience pendant une dizaine de minutes par jours pendant sept jours > consécutifs, au bout de ces sept jours, va être en parfait état, en parfaite > santé : son poil est lisse, il ne fait pas d’hypertension artérielle ; il a > évité, par la fuite, la «punition» ; il s’est fait plaisir ; il a maintenu > son équilibre biologique. > (…) > Mais ce qui est facile pour un rat en cage est beaucoup plus difficile pour > un homme en société. En particulier, certains besoins ont été créés par > cette vie en société et cela depuis son enfance. Et il est rare qu’il > puisse, pour assouvir ses besoins, aboutir à la lutte lorsque la fuite n’ est > pas efficace. > (…) > Quand deux individus ont des projets différents ou le même projet et qu’ ils > entrent en compétition pour la réalisation de ce projet, il y a un gagnant, > un perdant. Il y a établissement d’une dominance de l’un des individus par > rapport à l’autre. La recherche de la dominance dans un espace qu’on peut > appeler le territoire est la base fondamentale de tous les comportements > humains, et ceci, en pleine inconscience des motivations. > (…) > Il n’y a donc pas d’instinct de propriété ; il n’y a donc pas non plus d > instinct de dominance. Il y a simplement l’apprentissage, par le système > nerveux d’un individu, de la nécessité pour lui de conserver à sa > disposition un objet ou un être qui est aussi désiré, envié, par un autre > être. Et il sait, par apprentissage, que, dans cette compétition, s’il veut > garder l’objet ou l’être à sa disposition, il devra dominer. > (…) > Nous avons dit déjà que nous n’étions que les autres. Un enfant sauvage > abandonné loin des autres ne deviendra jamais un homme. Il ne saura jamais > marcher ni parler. Il se conduira comme un petit animal. Grâce au langage, > les hommes ont pu transmettre de générations en générations toute l > expérience qui s’est faite au cours des millénaires du monde. Il ne peut > plus maintenant, et déjà depuis longtemps, assurer à lui seul sa survie. Il > a besoin des autres pour vivre. Il ne sait pas tout faire ; il n’est pas > polytechnicien. > Dès le plus jeune âge, la survie du groupe est liée à l’apprentissage chez > le petit de l’homme de ce qui est nécessaire pour vivre heureux en société. > On lui apprend à ne pas faire caca dans sa culotte, à faire pipi dans son > pot. Et puis, très rapidement, on lui apprend comment il doit se comporter > pour que la cohésion du groupe puisse exister. On lui apprend ce qui est > beau, ce qui est bien ; ce qui est mal, ce qui est laid ; on lui dit ce qu > il doit faire et on le punit ou on le récompense, quel que soit sa propre > recherche du plaisir, on le punit ou on le récompense suivant que son action > est conforme à la survie du groupe. > > [1h21 min.] > > (…) > Le fonctionnement de notre système nerveux commence à peine à être compris. > Il y a une vingtaine ou une trentaine d’années que nous sommes capables de > comprendre comment, à partir des molécules chimiques qui le constituent, qui > en forment la base, s’établissent les voies nerveuses qui vont être codées, > imprégnées par l’apprentissage culturel. Et tout cela dans un mécanisme > inconscient. C’est-à-dire que nos pulsions et nos automatismes culturels > seront masqués par un langage, par un discours logique. > > [1h24 min.] > > (…) > Le langage ne contribue ainsi qu’à cacher la cause des dominances, les > mécanismes d’établissement de ces dominances et à faire croire à un individu > qu’en oeuvrant pour l’ensemble social, il réalise son propre plaisir alors > qu’il ne fait, en général, que maintenir des situations hiérarchiques qui se > cachent sous des alibis langagiers, des alibis fournis par le langage, qui > lui servent en quelque sorte d’excuses. > > [1h26 min.] > > (…) > […de retour à l’expérience du rat dans la cage à deux compartiments…] > Dans cette seconde situation, la porte de communication entre les deux > compartiments est fermée. Le rat ne peut pas fuir. Il va donc être soumis à > la punition à laquelle il ne peut pas échapper. Cette punition va provoquer > chez lui un comportement d’inhibition. Il apprend que toute action est > inefficace, qu’il ne peut ni fuir ni lutter. Il s’inhibe. Et cette > inhibition qui s’accompagne chez l’homme de ce que l’on appelle l’ angoisse, > s’accompagne aussi dans son organisme de perturbations biologiques > extrêmement profondes. Si bien que si un microbe passe dans les environs, s > il en porte même sur lui-même, alors que normalement, il aurait pu les faire > disparaître, là, ne le pouvant pas, il fera une infection. S’il a une > cellule cancéreuse qu’il aurait détruite, il va faire une évolution > cancéreuse. Et puis ces troubles biologiques aboutissent à tout ce qu’on > appelle les maladies de «civilisation» ou psychosomatiques. Les ulcères de l > ’estomac, les hypertensions artérielles, ils aboutissent à l’insomnie, à la > fatigue, au mal-être. > Dans cette troisième situation, le rat ne peut pas fuir. Il va donc recevoir > toutes les «punitions» mais il sera en face d’un autre rat qui lui servira d > ’adversaire. Et, dans ce cas, il va lutter. Cette lutte est absolument > inefficace. Elle ne lui permet pas d’éviter la «punition». Mais il agit. Un > système nerveux ça ne sert qu’à agir. Ce rat ne fera aucun accident > pathologique de ceux que nous avions rencontrés dans le cas précédent. Il va > être en très bon état et pourtant, il aura subi toutes les «punitions». Or, > chez l’homme, les lois sociales interdisent généralement cette violence > défensive. L’ouvrier qui voit tous les jours son chef de chantier dont la > tête ne lui revient pas. Il ne peut pas lui casser la figure parce qu’on lui > enverrait les agents ; il ne peut pas fuir parce qu’il serait au chômage. Et > tous les jours de la semaine, toutes les semaines du mois, tous les mois de > l’année, toutes les années, quelquefois, qui se succèdent, il est en > inhibition de l’action. > L’homme a plusieurs façons de lutter contre cette inhibition de l’action. Il > peut le faire par l’agressivité. L’agressivité n’est jamais gratuite. Elle > est toujours en réponse à une inhibition de l’action. On débouche sur une > explosion agressive qui est rarement rentable mais qui, sur le plan du > fonctionnement du système nerveux, est parfaitement explicable. > > [1h32 min.] > > (…) > Ainsi, répétons-le, cette situation dans laquelle un individu peut se > trouver d’inhibition dans son action, si elle se prolonge, commande à toute > la pathologie. Les perturbations biologiques qui l’accompagnent vont > déchaîner aussi bien l’apparition de maladies infectieuses que tous les > comportements de ce qu’on appelle les maladies mentales. Quand son > agressivité ne peut plus s’exprimer sur les autres, elle peut encore s > exprimer sur lui-même de deux façons. Il somatisera. C’est-à-dire qu’il > dirigera son agressivité sur son estomac ; il y fera un trou, un ulcère d > estomac. Sur son coeur et ses vaisseaux il fera une hypertension artérielle. > Quelquefois même des lésions aiguës qui aboutissent aux maladies cardiaques > brutales : les infarctus, les hémorragies cérébrales ; ou les urticaires ou > les crises d’asthme. Il pourra aussi orienter son agressivité contre > lui-même d’une façon encore plus efficace : il peut se suicider. Et quand on > ne peut pas être agressif envers les autres, on peut, par le suicide, être > agressif encore par rapport à soi. > > [1h34 min.] > > (…) > — C’est comme la plupart des gens qui passent leur vie à
attendre le bonheur > comme on attend un héritage, quelque chose qui vous est d > > [1h44 min.] > > (…) > [2h02 min.] > L’inconscient constitue un instrument redoutable non pas tellement par son > contenu refoulé, refoulé parce que trop douloureux à exprimer, car il serait > «puni» par la socioculture, mais, par tout ce qui est, au contraire, > autorisé et quelquefois même «récompensé» par cette socioculture et qui a > été placé dans son cerveau depuis sa naissance. Il n’a pas conscience que c > est là, mais pourtant c’est ce qui guide ses actes. C’est cet inconscient-là > qui n’est pas l’inconscient freudien qui est le plus dangereux. En effet, ce > qu’on appelle la personnalité d’un homme, d’un individu, se bâtit sur un > bric-à-brac de jugement de valeurs, de préjugés, de lieux communs qu’il > traîne et qui, à mesure que son âge avance, deviennent de plus en plus > rigide et qui sont de moins en moins remis en question. Et quand une seule > pierre de cet édifice est enlevée tout l’édifice s’écroule. Et il découvre l > ’angoisse. Et cette angoisse ne reculera ni devant le meurtre pour l > individu, ni devant le génocide ou la guerre pour les groupes sociaux pour s > ’exprimer. > On commence à comprendre par quel mécanisme, pourquoi et comment, à travers > l’histoire et dans le présent se sont établi des échelles hiérarchiques de > dominance. Pour aller sur la lune, on a besoin de connaître les lois de la > gravitation. Quand on connaît ces lois de la gravitation, ça ne veut pas > dire qu’on se libère de la gravitation. Ça veut dire qu’on les utilise pour > faire autre chose. Tant qu’on n’aura pas diffusé très largement à travers > les hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon > dont ils l’utilisent, tant qu’on ne leur aura pas dit que, jusqu’ici, ça a > toujours été pour dominer l’autre, il y a peu de chances qu’il y ait quelque > chose qui change. > > [2h04 min.]
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