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Gustave Lebon      La psychologie des foules


  « Les phénomènes de foule Au sens ordinaire, le mot foule représente une réunion d'individus quelconques, quels que soient leur nationalité, leur profession ou leur sexe, quels que soient aussi les hasards qui les rassemblent. Au point de vue psychologique, l'expression foule prend une signification tout autre. Dans certaines circonstances données, et seulement dans ses circonstances, une agglomération d'hommes possède des caractères nouveaux fort différents de ceux de chaque individu qui la compose. La personnalité consciente s'évanouit, les sentiments et les idées de toutes les unités sont orientés dans une même direction. Il se forme une âme collective, transitoire sans doute, mais présentant des caractères très nets. La collectivité devient alors ce que, faute d'une expression meilleure, j'appellerai une foule organisée, ou, si l'on préfère, une foule psychologique. Elle forme un seul être et se trouve soumise à la loi de l'unité mentale des foules.

Le fait le plus frappant présenté par une foule psychologique est le suivant : quelque soient les individus qui la composent, quelque semblables ou dissemblables que puissent être leur genre de vie, leurs occupations, leur caractère ou leur intelligence, le seul fait qu'ils sont transformés en foule les dote d'une sorte d'âme collective. Cette âme les fait sentir, penser et agir d'une façon tout à fait différente de celle dont sentirait, penserait et agirait chacun d'eux isolément. Certaines idées, certains sentiments ne surgissent ou ne se transforment en actes que chez les individus en foule. La foule psychologique est un être provisoire, composé d'éléments hétérogènes pour un instant soudés, absolument comme les cellules d'un corps vivant forment par leur réunion un être nouveau manifestant des caractères fort différents de ceux que chacune de ces cellules possède. Ibidem (1894), p.11.

Aussi, errant constamment sur les limites de l'inconscience, subissant toutes les suggestions, animée de la violence de sentiments propres aux êtres qui ne peuvent faire appel à des influences rationnelles, dépourvue d'esprit critique, la foule ne peut que se montrer d'une crédulité excessive. L'invraisemblable n'existe pas pour elle, et il faut bien se le rappeler pour comprendre la facilité avec laquelle se créent et se propagent les légendes et les récits les plus extravagants. Ibidem (1894), p.19-20.

Les foules ne connaissent que les sentiments simples et extrêmes, les opinions, les idées et croyances qu'on leur suggère, sont acceptées ou rejetées par elles en bloc, et considérées comme vérités absolues ou erreurs non moins absolues. Il en est toujours ainsi des croyances déterminées par voie de suggestion, au lieu d'avoir été engendrées par voie de raisonnement. Chacun sait combien les croyances religieuses sont intolérantes et quel empire despotique elles exercent sur les âmes. Ibidem (1894), p.27. 5

Si la foule est capable de meurtre, d'incendie et de toutes sortes de crimes, elle l'est également d'actes de sacrifice et de désintéressement beaucoup plus élevés que ceux dont est susceptible l'individu isolé. C'est surtout sur l'individu en foule qu'on agit, en invoquant des sentiments de gloire, d'honneur, de religion et de patrie. L'histoire fourmille d'exemples analogues à ceux des croisades et des volontaires de 93. Seules les collectivités sont capables de grands dévouements et de grands désintéressements. Que de foules se sont fait héroïquement massacrer pour des croyances et des idées qu'elles comprenaient à peine !

Ibidem (1894), p.29-30.

       Gustave Le Bon Psychologie des foules, 1894, PUF, Paris 1963, p. 9. sq.


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