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Jean Cluzel   La télévision et l'éducation des enfants


Quelle est au juste la place de la télévision dans la vie d'un jeune français d'aujourd'hui ? On ne se trompe sans doute pas en disant que celui-ci passe environ mille heures par an devant le poste familial alors qu'il ne consacre guère que huit cents heures à la classe, tout au moins dans l'enseignement secondaire. Le fait est donc établi ; il faut l'admettre bien qu'il soit à peine imaginable. Dès lors, comment ne se poserait-il pas un problème ? Les parents qui sont aujourd'hui quinquagénaires ont vécu l'irruption de la télévision dans le cercle de la famille. Ils se souviennent que ce fut presque toujours un événement et que, aussitôt, le poste est devenu le principal centre d'intérêt dans la maison. Des changements décisifs n'ont pas tardé à s'imposer, les uns visibles, les autres cachés. De cette désorganisation de la vie familiale, les enfants sont évidemment les premières victimes. Elle rend les adultes indisponibles à leur égard et les prive d'interlocuteurs qui leur sont indispensables : plus personne pour écouter leurs petites histoires, qui leur donnerait l'occasion de s'extérioriser et de confier tant de choses pour eux utiles à dire et, pour les parents, à savoir. Mais inversement, ils n'entendent plus beaucoup leurs parents et n'appartiennent donc plus à leur monde. Cependant, la télévision n'influence pas seulement les enfants par la place qu'elle prend dans la vie familiale et les contrecoups qui en résultent, elle agit aussi par les effets qu'elle exerce directement sur leur esprit. Chacun sait qu'ils sont en général extraordinairement malléables, mais on n'y pense guère dans le cas particulier. On ne peut en effet prétendre que la télévision soit un divertissement qui suscite l'activité et qui pousse à exercer ses talents ! Elle est excellente pour les personnes âgées qui ont besoin de se distraire, et nous serons sans doute contents de la trouver un jour, à l'âge de la retraite. Mais pour les jeunes ? Pour les enfants ? Ne risque-t-elle pas de leur inculquer la passivité ? C'est une critique que l'on a formulée très tôt. L'immobilité de l'enfant devant l'écran symbolise et manifeste un abandon psychologique total. Est-ce bien l'attitude mentale qui lui permet de s'instruire ? N'est-elle pas le contraire de l'effort intellectuel et peut-on s'enrichir l'esprit et se former sans cet effort ?

      Une question se pose alors : la télévision peut-elle vraiment instruire ? Met-elle l'esprit dans les conditions nécessaires pour qu'il puisse assimiler, c'est-à-dire enregistrer et comprendre ? Si l'on y réfléchit, il apparaît que son efficacité didactique est réduite pour deux raisons : d'abord les images qu'elle nous offre défilent trop vite, ensuite, ce ne sont que des images.

- Le Monde 13/4/78


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