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Christian Dufour    Vers une autre conception du signe linguistique


    Devant l’image de l’arbre, nommée référent par les linguistes, on associe, en fonction de sa langue, le signifiant sonore arbre en français, Baum en allemand ou tree en anglais. Ainsi devant un objet x, le référent arbre par exemple, chaque langue userait pour le désigner d’une suite de sons, d’un signifiant propre, par pure convention, sans aucune motivation consciente pour les linguistes.

Le mot (signe verbal des linguistes) associe un signifiant, correspondant à l'image acoustique (l'enregistrement dans notre cerveau d’une suite déterminée de sons de la voix) ou à la lecture de caractères écrits (l’enregistrement cérébral d’une suite de lettres géométriques) à un signifié qui est le concept ou sens du mot. Le signe, pour le linguiste suisse Ferdinand de Saussure, père de la linguistique moderne, serait une réalité psychique à deux faces : l'une est le concept (signifié) ; l'autre, l'image acoustique (signifiant). Ce signe verbal des linguistes, défini par la dualité signifiant/signifié, exclut l'objet désigné, le référent.

La dualité consciente du signe linguistique     

 Le raisonnement purement linguistique s’articule sur la séparation entre ce que la conscience voit et ce qu’elle entend : le linguiste (comme tout scientifique spécialisé, scie et sépare le domaine qu’il étudie des autres sciences) se cantonne à l’étude de la  production du langage conscient par les aires cérébrales G du langage, se coupant de soutien biologique ou physiologique en amont. Cette science linguistique essentiellement littéraire (hormis le domaine de la phonétique) ne prend pas en compte les capacités optiques de l’œil, ni celles des aires optiques cérébrales qui perçoivent lignes et couleurs de l’objet ;  elle évacue le cerveau affectif indispensable à toute mémorisation (car après tout  même certains saules pleurent !) et expulse tout paramètre inconscient,  freudien  ou jungien.

     Certes, de prime abord conscient, on peut avoir quelque difficulté à saisir que le signifié arbre varie dans l’inconscient collectif de ces trois pays européens, mais n’est-il pas évident que ce concept d’arbre  diffère entre :

        Or, si les signifiants de langues différentes renvoient à des signifiés différents, n’est-il pas logique que les sons qui les composent soient eux-même différents ? Si  l’on suppose au contraire que les sons formant le signifiant ne sont pas immotivés et  conventionnels, ces sons doivent représenter ou symboliser le référent : il semble probable que pour chaque peuple un objet puisse revêtir des symboles différents ou se caractériser par des aspects spécifiques : les mots qui désignent la neige

Variabilité du signifié

 

L’invariabilité du signifié d’une langue à l’autre n’est-elle pas discutable ? Certes, de prime abord conscient, on peut avoir quelque mal à saisir la variabilité du signifié arbre dans l’inconscient collectif de ces pays européens, mais n’est-il pas évident que le concept d’arbre, sa représentation mentale, diffère entre un Nordique et un Africain : le conifère ressemble-t-il au cocotier ?

Or, si les signifiants de langues différentes renvoient à des signifiés différents, n’est-il pas logique que les sons qui les composent soient eux-mêmes différents ? Si l’on suppose au contraire que les sons formant le signifiant ne sont pas immotivés et conventionnels, ils doivent représenter ou symboliser le référent. Il semble probable que pour chaque peuple un objet puisse revêtir des symboles différents ou se caractériser par des aspects spécifiques. Les mots qui désignent la neige sont nombreux pour un Inuit, alors qu’un seul suffit largement pour un Sénégalais qui n’en a jamais vu tomber un flocon !

L’environnement humain varie selon la géographie. Donc si les référents perçus par ses organes sensoriels ne sont pas identiques, il est logique que le cerveau humain ait des signifiés dissemblables. Sous le souffle de l’air marin des îles britanniques, les trembles tremblent « tree sous vent » ! Contemplons-les sur les toiles de Turner, où les « trees » sont couchés par la puissance et la permanence de la brise maritime.

(tiré du livre Entendre les mots qui disent les maux, éditions du Dauphin juin 2006

 

La position des linguistes classiques

 

À partir du XIXe siècle, la linguistique nie l’existence d’analogie entre forme et contenu du signe. La théorie de Ferdinand de Saussure s’est élevée au rang de dogme, imposant l’arbitraire du signe, transformant le mot conscient en un couple signifié/signifiant immotivé, coupé du référent.

Pour Saussure, le mot est l’unité indéfectible de deux éléments psychiques : en bas le signifiant (image acoustique), tel [aRbR(e)], et en haut le signifié (l’idée), tel le concept d’arbre. Il n’attribue de signification au signe (mot) qu’en termes de valeur discriminatoire par rapport aux autres signes de la langue (arbre/plante, animal/végétal). Mais Saussure a peut-être subodoré autre chose dans la matière du signifiant comme le suggère son grand intérêt pour les anagrammes. Les schémas précédents, où l’ovale peut représenter le cerveau humain, nous dévoilent deux mondes. Mais le monde manifesté d’en bas du signifiant, qui correspond à celui de notre hémisphère D, est-il vraiment en dessous de celui d’en haut du signifié de notre hémisphère G ?

Saussure ne reconnaît pas les faits symboliques dans la langue, prise comme ensemble de signes arbitraires, et refuse de déceler de la motivation dans les mots des langages inventés, tels la glossolalie sanscritoïde ou martienne de Mademoiselle Smith, qui intriguait les milieux linguistiques genevois à la fin du XIXe siècle. Un professeur de sanscrit (comme Saussure), Victor Henry découvrira dans la glossolalie martienne « un travestissement enfantin du français » grâce à des analogies auditives issus de procédés inconscients et subconscients. « Le langage est le produit de l’activité inconsciente d’un sujet conscient » écrivait-il avec pertinence dans Antinomies linguistiques en 1896. C’est pourtant la vision consciente étriquée de Saussure qui est passée à la postérité, donnant par son Cours ses fondements à la Linguistique naissante !

 

Après Saussure, le linguiste Émile Benveniste cherche à amender l’arbitraire du signe, trop dogmatique, en introduisant la notion de référence et de contingence. En plus de sa valeur différentielle, le mot possède un sens qui réside dans le rapport à un objet du monde ; mais Benveniste ne fait que déplacer l’arbitraire du signe non plus dans la relation signifiant/signifié, mais dans la relation signe/référent. Si en français, le signifié arbre est inséparable du signifiant [aRbR(e)], la relation du mot arbre à l’objet réel reste arbitraire et conventionnelle comme en témoigneraient les mots tree et Baum, qui n’ont aucun son commun, alors qu’ils renvoient au même objet arbre. Autant dire que c’est toujours le règne de l’arbitraire du mot conscient. Mais Benveniste s’interroge : «Poser la relation comme arbitraire » est pour le linguiste « une manière de se défendre contre cette question et aussi contre la solution que le sujet parlant y apporte instinctivement. Pour le sujet parlant, il y a entre la langue et la réalité adéquation complète : le signe recouvre et commande la réalité ; mieux, il est cette réalité, tabous de parole, pouvoir magique du verbe, etc. À vrai dire le point de vue du sujet et celui du linguiste sont si différents à cet égard que l'affirmation du linguiste quant à l'arbitraire des désignations ne réfute pas le sentiment contraire du sujet parlant ». (Benveniste, Problèmes de linguistique générale, 1971). Or, si ce sujet parlant possède une telle intuition, cette dernière n’est pas issue de sa conscience, sinon il serait capable de l’expliquer, mais elle provient de son inconscient.

 

Le point de vue des psychanalystes

 

Les Maîtres de l’inconscient, Freud et Lacan, ne sont pas restés muets face au mystère des mots, à leur face cachée inconsciente, bien qu’ils n’aient pas réussi à découvrir un code précis de lecture. Freud pourtant affirme que « c’est par la langue que l’essentiel se révèle ». Comprendre, c’est zurückführen, littéralement conduire en arrière, ramener la langue vers son fondement, cette Grundsprache, langue des profondeurs ou Seelesprache, langue de l’Âme. » Dans La Science des rêves, Freud annonce que le rêve est un rébus et qu’il faut l’entendre à la lettre. Cette structure à base de lettres ou de phonèmes, qui articule le signifiant dans le discours, est un élément dynamique du rêve, telle la figure de l’homme à tête de virgule. Pour Lacan «les images du rêve ne sont à retenir que pour leur valeur de signifiant», pour ce qu’elles permettent d’épeler du proverbe (préverbe) proposé par le rébus du rêve. L’expérience psychanalytique de Lacan découvre qu’il n’y a pas d’inconscient sans langage et que ‘‘l’inconscient est structuré comme un langage”. Mais il n’est pas toujours facile de suivre les arcanes alambiquées du style lacanien. D’après lui, la discipline linguistique tient «dans le moment constituant de l’algorithme S/s, signifiant sur signifié, le sur répondant à la barre qui en sépare les deux étapes».

Pour reprendre le mot arbre, Lacan affirme que « ce n’est pas seulement à la faveur du fait que le mot barre est son anagramme, qu’il franchit celle de l’algorithme saussurien. Car décomposé dans le double spectre de ses voyelles et de ses consonnes, il appelle avec le robre et le platane les significations dont il se charge sous notre flore, de force et de majesté». Il semble que Lacan, même s’il n’en tire aucune conclusion linguistique, ait bien perçu que le signifié arbre était spécifique au français et renvoyait à des référents habituels de la flore de France, ce qui aurait dû le conduire à évoquer la variabilité systématique du signifié en fonction des langues. Mais, et c’est à la fois amusant et défoulant de le souligner, quand il attribue majesté et force au signifié arbre français, il définit, à son insu, le sens inconscient du codon ar inaugurant le mot arbre qui, comme énoncé dans un chapitre précédent, marque la prééminence, le sommet ou la menace !

Pour Lacan, le signifiant prime sur le signifié. Ce franchissement de la barre entre signifié et signifiant se ferait pour lui par le jeu des signifiants entre eux, chez chaque individu, avec un glissement incessant du signifié sous le signifiant qui s’effectue en psychanalyse par les formules de la métonymie et de la métaphore, qu’il nomme « lois du langage » de l’inconscient.

 

1) La métonymie qui « rend compte du déplacement dans l’inconscient », est une figure de style où l’on exprime un signifié au moyen d’un signifiant désignant un autre signifié qui lui est uni par une relation nécessaire : la cause pour l’effet, le contenant pour le contenu, la partie prise pour le tout, comme boire un verre (pour le vin qu’il contient), la voile pour le bateau. La métonymie, si originale soit-elle, s'appuie sur un rapport de contiguïté qui est donc toujours donné par la langue elle-même. Ainsi le signifiant arbre cacherait une forêt de signifiés, ce qui au départ dépend de la richesse des champs sémantiques de chaque individu. Nous rangeons les mots dans des « tiroirs » par classe sémantique : monde vivant / végétaux / forêt / arbre / chêne / branche / bois / lignite… Certes le mot bois, la matière ligneuse de l’arbre, dérive par métonymie du bois, espace couvert d’arbres, la matière étant prise pour l’ensemble, mais cela n’explique absolument pas pourquoi c’est cette partie-là et, seulement celle-là, qui est apte à la métonymie. Pourquoi branches ou feuilles ne représentent pas le bois ? Cette métonymie ne s’explique pas en anglais où la matière du bois se dit timber et le bois (forêt) wood. Il y a bien dans la matière du signifiant des messages précis qui résonnent, mais Lacan n’a pas détecté sous l’écorce phonique du signifiant sa substantifique moelle. Il serait dommage (en l’exprimant avec un peu d’humour) que l’histoire de la psychanalyse mondiale, ne le retienne que comme un rejeton, une petite branche sans défense, greffée sur la souche freudienne.

 

2)« La langue latine étant la vieille souche, c’était un de ses rejetons qui devait fleurir en Europe ». Cette métaphore d’Antoine Rivarol introduit la seconde figure de style par laquelle Lacan entend le jeu et la fonction des signifiants : « La formule de la métaphore rend compte de la condensation dans l’inconscient ». Un mot pour un autre, un mot concret pour un mot abstrait, un transfert de sens par substitution analogique, telle est la définition de la métaphore, figure de style plus fréquente et plus apte à la poésie. La racine du mal, l’arbre de la connaissance, la forêt de symboles, le jardin de la paresse, l’écheveau du temps, l’automne des idées, les fleurs du Mal de Baudelaire sont des métaphores. Le mélange signifié concret/abstrait ne nuit pas à la compréhension. Pourquoi ? Où se situe l’analogie ? Ne s’agit-il que d’images globales ou de relations entre certaines parties des signifiants ? Quand on regarde d’un peu plus près deux exemples de métaphores de Baudelaire, le vin du souvenir et l’alcôve des souvenirs, on peut noter que le verbe souvenir au passé simple se dit souvint rimant avec le signifiant vin, dont l’abus fait devenir saoul. Le signifiant alcôve, proche phonétiquement d’alcool, rappelle ce vin, d’autant plus qu’il porte cette lettre v (vin, vendange, vigne, viticulture) et rappelle par son codon al le Mal des Fleurs. Vals(e) alambiquée (hic !) des signifiants ! Pourquoi l'alcoolique se versa-t-il un dernier verre de vin, qu'il vida, cul sec et l’œil humide ? Faut-il être devin pour concevoir qu'il avale d'un trait avide ses gros maux ? Comment ne pas entendre dans le flot des mots que, soudain volubile, il déverse et vomit, la motivation réelle de ses maux ? Arbitraires les lettres ? Si l'on visualise le V de haut en bas, n'est-il pas une sorte d'entonnoir, une figure symbolique du verre, du vase ou du pot ? Les eaux minérales qui se boivent au verre viennent-elles de Vichy, Vittel, Volvic, Évian par hasard et l'eau de vie de Russie se nomme-t-elle par convention la vodka avec od de l'onde ? Le saint patron des vignerons se nomme-t-il Vincent par pure convention ? In vino veritas, dit le dicton latin. « Un soir l'âme du vin chantait dans les bouteilles Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité, Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles, Un chant plein de lumière et de fraternité! » Charles Baudelaire

 

Comme l’écrit Lacan, à juste titre, « l’inconscient ne connaît que les éléments du signifiant », il « est une chaîne de signifiants qui se répète et insiste ». Lacan relève le mode selon lequel l’inconscient opère, ainsi que Freud l’avait décelé par la production de condensations et de déplacements le long des mots « sans tenir compte du signifié ou des limites acoustiques des syllabes ». En reprenant l’œuvre de Freud et en la recentrant sur le langage, Lacan va plus loin, il affirme qu’au commencement était la chaîne des signifiants, un “signifiant préséant au signifié”, dont “la structure commande les voies du réseau du signifié”. « Le mot n’est pas signe mais nœud de signification », qu’il aurait dû dénouer, puisque l’analyse est étymologiquement l’art de les délier les nœuds ! Il explique que « nœud veut dire la division qu'engendre le signifiant dans le sujet... divisé par le langage », il affirme de façon répétée que « l’inconscient a la structure radicale du langage » qui lui-même « implique l’inconscient », qu’il en “est la condition”. En résumant, Lacan nous dit que « l’inconscient est un langage », constitué des éléments du signifiant, préexistant au signifié. Il va jusqu’à avancer que “l'inconscient est pure affaire de lettre, et comme tel, à lire”. « Nous désignons par lettre ce support matériel que le discours concret emprunte au langage... Ce support matériel ne se réduit pas aux lettres de notre alphabet, qui ne sont jamais qu'un des modes ». Avec le risque, comme dit Lacan, d'apprendre en s'alphabêtissant. « Tout découpage du matériau signifiant en unités, qu'elles soient d'ordre phonique, graphique, gestuel ou tactile, est d'ordre littéral. Si toute séquence signifiante est une séquence de lettres, en revanche, pas toute séquence de lettres est une séquence signifiante ». Voilà, Lacan est parvenu à définir les caractéristiques du langage de l’inconscient, jusqu’à préciser qu’il existe des unités faites de séquences de lettres dont certaines sont signifiante et d’autres non, mais il n’est pas parvenu à découvrir le véritable code. Pourquoi le sens systématique de certaines séquences répétées du signifiant lui a échappé ? Trop intelligent pour découvrir un code finalement relativement simple, peut-être ? Il écrit que le sujet est divisé par le langage mais ne poursuit pas sa logique en ne comprenant pas que cette division est due à l’existence de deux langages, un conscient et un inconscient, le second étant préséant au premier. Trop conditionné sans aucun doute par une remarquable formation linguistique, il n’ose franchir la barre signifiant/signifié, il ne transgresse pas l’enseignement de ses amis linguistes et au contraire leur prête main forte et, alors, se fourvoie : « le signifiant existe en dehors de toute signification, il n’a pas fonction de représenter le signifié ». S’il écrit que « la science dont relève l’inconscient est la linguistique », il ne peut pas s’agir de la linguistique conventionnelle saussurienne qui ne s’intéresse qu’à la partie secondaire du langage, sa partie émergée consciente. D’ailleurs Lacan énonce que la nature du langage de l’inconscient ne concerne pas le découpage de la chaîne en fonction d’un signifié qui toujours et sans cesse se dérobe, mais en fonction des propriétés de la chaîne signifiante elle-même. Même intelligents, nous sommes bornés par le Savoir que nous avons acquis par apprentissage et dont la mémorisation conditionne notre logique de pensée. Ce savoir n’est jamais qu’un “voir ça”, qu’une vision pré-établie qui nous aveugle.

 

Une science en plein essor, la psycholinguistique.

 

La notion de signe linguistique évolue donc. La définition que les élèves de Ferdinand de Saussure ont reprise de son Cours de linguistique générale de 1896, concerne la partie émergée du langage, la linguistique consciente. Les quatre caractéristiques du signe linguistique saussurien à savoir, l'arbitraire du signe, le caractère linéaire du signifiant, l'immutabilité du signe et son évolution diachronique, sont totalement remises en causes par les neurosciences et les connaissances sur les capacités du cerveau droit (hémisphère) dans la genèse du langage. Le prix Nobel de physiologie de 1981, l'Américain Sperry a permis d'inaugurer une voie de recherche immense sur le fonctionnement du cerveau droit qui remet actuellement en question la linguistique consciente.

 

La langue que nous apprenons à l’école, possède un vocabulaire (le lexique), dont les unités de sens conscient sont les mots, construits d’une chaîne sonore plus ou moins longue. Toute langue associe des sens à des sons. Les mots (signes phonétiques) se différencient les uns des autres par des sons, dont les unités les plus petites se nomment phonèmes. Qu’un seul phonème change et c’est tout le mot qui change, comme par exemple : papa, papy, pipi. Les mots seraient donc construits d’une suite de sons dont les unités discriminatoires n’auraient aucun sens ! Les poètes, les humoristes expriment leur talent dans la manipulation des sonorités, rimes des vers, jeux de mots, associations phonétiques dans lesquels Freud, dans son ouvrage Le mot d’esprit a cherché à reconnaître sa relation avec l’inconscient. Mais qui s’est penché sur les résonances inconscientes des rimes, formées d’un couple de phonèmes ? Le mythe de Babel, gravé sur les tablettes d’argile sumériennes, était déjà écrit en vers ! Pourquoi ce besoin d’assonance ? Avec quoi résonnent ces sons dans les cerveaux humains depuis l’aube des temps ? Les poètes et penseurs nous ont laissé, sous forme d’alexandrins ou de maximes, des fragments de vérité qui survivent à l’épreuve du temps, mieux que nombre de vérités scientifiques tombées en désuétude ou en obsolescence. « Les mots savent de nous des choses que nous ignorons d’eux » affirme le poète René Char. Les dictionnaires, même étymologiques, véritables musées lexicaux accumulant du sens et de l’histoire, nous renseignent-ils vraiment sur nous-même ? Dans notre langage moderne, si le mot, chaîne de phonèmes, est perçu par nos deux hémisphères, d’où proviennent les sons qui le forment ? Ces sons ne sont pas nés par génération spontanée comme le soulignait déjà Anatole France : «Songez-y, un métaphysicien n’a, pour constituer le système du monde, que le cri perfectionné des singes et des chiens. Ce qu’il appelle spéculation profonde et méthode transcendante, c’est de mettre bout à bout dans un ordre arbitraire, les onomatopées qui criaient la faim, la peur et l’amour dans les forêts primitives et auxquelles se sont attachées peu à peu des significations qu’on croit abstraites quand elles sont seulement relâchées ». Plus tard Carl Gustav Jung renchérit : « Si abstrait qu’il soit, un système philosophique ne représente donc, dans ses moyens et ses fins, qu’une combinaison ingénieuse de sons primitifs ». Les premiers cris, puis onomatopées d’homo erectus, étaient des signaux émotifs d’alarme interne ou externe, perfectionnés ensuite pour fonder un proto-langage, une première langue chargée de sens. Au cours de l’évolution, ces cris furent policés, étouffés, fossilisés et remplacés progressivement par des mots. L’apprentissage conditionné des mots a refoulé leurs précurseurs biologiques, les cris, dans les profondeurs archaïques du cerveau D, mais ont été construits avec leurs assemblages ; puis ils n’ont pas cessé d’évoluer sous l’influence de la conscience. Depuis quelques dizaines d’années, les scientifiques ont démontré que le cerveau gauche (G) était le siège du langage oral et écrit, avec des aires associatives, des territoires bien définis à la surface du cortex. Ce langage est acquis, par apprentissage familial, scolaire et social. Il a été démontré également que le cerveau droit (D) était, lui, le siège de la musique, de la mélodie des mots et de leur intonation, de la prosodie et de l’humour. En simplifiant nous avons donc, d’un coté un hémisphère G de la Raison et du Sens, de l’autre, un hémisphère D de la Résonance et du Son, un G aux fonctions analytiques conscientes en série, un D au traitement global inconscient en parallèle. D’un côté un cerveau lent conscient, le G, qui traite les informations sensorielles une à une grâce à la médiation d’un langage acquis et de l’autre un cerveau D inconscient hyper rapide qui traite immédiatement une quantité infinie d’informations sensorielles externes et internes.

 

Entendre les mots qui disent les maux Les éditions du Dauphin

 


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