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Jean Pierre Dupuy    les représentations et leur rôle


    "La théorie du marché consistait à dire comment celui-ci se stabilisait en équilibre caractérisé par des quantités échangées et des prix. Ces derniers étaient entendus comme les vraies valeurs des ressources compte-tenu de ces données de base que je viens de citer. Les représentations des agents ne jouaient un rôle que dans la mesure où ils pouvaient avoir une vision fausse sur ces données. Mais, par apprentissage, ils devaient arriver aux bonnes représentations. C'était le point d'équilibre.

    Or, peu à peu, mine de rien, les modèles en sont venus à dire tout à fait autre chose. Ces représentations ont commencé à être dépeintes comme ayant non pas un rôle perturbateur, mais comme un rôle moteur. Cependant, admettre ce schéma revient à admettre que les modèles sont fondamentalement indéterminés. A l'idée d'équilibre unique, correspondant aux vraies valeurs, s'est substituée celle selon laquelle le marché révèle non pas des données objectives, mais des représentations plus ou moins arbitraires. Il y aurait donc une multitude de stabilisations possibles.

    Cette façon de voir ne plaît pas à tous les économistes. Beaucoup essayent donc de pallier à l'indétermination de leurs modèles en ajoutant des hypothèses explicatives ad hoc, très compliquées en général. Prisonniers de leur épistémologie positiviste, ils essayent de sauver leurs modèles en quelque sorte. Mais au lieu de s'affliger de l'indétermination à laquelle aboutit la reconnaissance primordiale du poids des acteurs, ils devraient s'en féliciter car ce que disent leurs modèles est conforme à la réalité économique. Cette réalité est en effet profondément indéterminée et très sensible au jeu des représentations des acteurs vers tel équilibre plutôt que tel autre.

    Les économistes détiennent en fait l'explication des raisons pour lesquelles la théorie a du mal à déboucher sur des politiques économiques, car la réalité économique, très sensibles aux représentations des acteurs, est un système dans lequel jouent aisément des comportements échappant à toute maîtrise. D'un point de vue théorique, les économistes devraient s'en réjouir, puisqu'ils rendraient ainsi compte de leur impuissance en terme politique. Mais ils répugnent à considérer l'activité économique comme un système ingouvernable.

    La référence des économistes, c'est la physique. Même pas la physique du siècle dernier, celle de la thermodynamique, mais la mécanique galiléenne, la physique balistique! Mais aujourd'hui, dans les sciences de la nature, on en est à la physique des systèmes désordonnés, au chaos déterministe qui a rompu avec l'idée du passé: explications égale contrôle".

         Une science en retard, Article entretien du Monde, décembre 1993, dossier sur l'économie.


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