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Document : Le corps humain version 2.0Par Raymond Kurzweil Ph.D Durant les décennies à venir, une amélioration radicale des systèmes physiques et mentales de notre corps, déjà entrain de se faire, utilisera des nanobots afin d’augmenter et ultimement remplacer nos organes. Nous savons déjà comment prévenir la plupart des maladies dégénératives par la nutrition et les compléments alimentaires[1] ; ceci sera notre pont vers la révolution biotechnologique en voie d’émergence, qui à son tour sera un pont vers la révolution nanotechnologique. En 2030, l’ingénierie inverse du cerveau humain sera achevée et l’intelligence non biologique fusionnera avec nos cerveaux biologiques. C’est une question de nanobots Dans une scène célèbre du film Le Lauréat, le conseil professionnel que donne son mentor à Benjamin tient en un seul mot : « le plastique ». Aujourd’hui ce mot serait « logiciel » ou « biotechnologie », mais dans deux décennies ce mot sera vraisemblablement « nanobots ». Les nanobots – des robots de la taille d’une cellule sanguine – nous fourniront les moyens de radicalement modifier notre appareil digestif, et, accessoirement, à peu près tout le reste. Durant une phase intermédiaire, des nanobots dans le tube digestif et dans le sang extrairont de manière intelligente les substances nutritives exactes dont nous avons besoin, feront appel à d’autres aliments et compléments alimentaires au moyen de notre réseau local sans fil personnel, et envoieront ce qui reste de ce que nous avons mangé à être éliminé de l’appareil. Si ceci semble futuriste, gardez à l’esprit que des machines intelligentes font déjà leur chemin vers le courant sanguin. Il existe des douzaines de projets visant à créer des systèmes biologiques microelectromécaniques (bioMEMS) localisés dans le courant sanguin, permettant bien des applications diagnostiques et thérapeutiques. Les dispositifs bioMEMS sont conçus pour la détection intelligente des pathogènes et la distribution de médicaments de façon très précise. Par exemple, à l’université de Illinois à Chicago, un chercheur a créé une minuscule capsule munie de pores mesurant seulement sept nanomètres. Ces pores laissent sortir l’insuline de manière contrôlée, mais ne laissent pas les anticorps envahir les îlots de Langerhans pancréatiques à l’intérieur des capsules. Ces nano-engins ont guéri des rats souffrant de diabète de type I, et il n’y pas de raison que la même méthodologie échouerait chez les humains. Des systèmes semblables pourraient livrer de manière précise la dopamine au cerveau des malades de Parkinson, des anti-coagulants aux hémophiles, et des médicaments contre le cancer à l’endroit même de la tumeur. Un nouveau modèle peut fournir jusqu’à 20 réservoirs à substances, qui peuvent être programmés à livrer leur cargaison dans le corps en temps et lieux précis. Kensall Wise, professeur d’ingénierie électrique à l’université de Michigan, a développé une minuscule sonde neurale capable de surveiller de manière précise l’activité électrique de patients atteints de maladies neurales. On attend également des modèles futurs qu’ils livrent des médicaments à des lieux précis du cerveau. Kazushi Ishiyama à l’université de Tohoku au Japon a développé des micromachines utilisant des vis en rotation de taille microscopique afin de distribuer des médicaments à des petites tumeurs cancéreuses. Une micromachine particulièrement innovatrice développée par le Sandia National Labs est munie de véritables micro-dents sur une mâchoire qui s’ouvre et se ferme, piégeant les cellules une par une afin d’y implanter des substances telles l’ADN, des protéines ou des médicaments. Au moins quatre conférences scientifiques majeures ont déjà lieu sur les bioMEMS et autres développements possibles de machines à l’échelle micro- et nanoscopique conçues pour le corps et le courant sanguin. Ultimement, les substances nutritives individualisées requises pour chaque personne seront comprises dans leur totalité (y compris les centaines de substances phytochimiques provenant des plantes) et seront d’obtention facile et peu onéreuse ; alors nous n’aurons plus besoin de faire l’effort d’extraire les substances nutritives de la nourriture. Tout comme nos rapports sexuels aujourd’hui ont pour but la gratification sensuelle et relationnelle, nous aurons la possibilité de détacher l’acte de manger de la fonction de livraison des aliments dans le sang. Cette technologie devrait avoir atteint un seuil de maturité acceptable vers les années 2020. Les substances nutritives seront directement introduites dans le sang au moyen de nanobots métaboliques spécialisés. Des capteurs dans le sang et dans le corps, au moyen de communication sans fil, fourniront de manière dynamique les données quant aux aliments nécessaires à tout instant. La question essentielle lors du développement de cette technologie sera comment ces nanobots entreront et sortiront du corps. Comme mentionné ci-dessus, les technologies actuelles, telles les cathéters, laissent beaucoup à désirer. Un avantage majeur de la technologie nanobotique est que, contrairement aux simples médicaments et compléments alimentaires, les nanobots ont quelque intelligence. Ils peuvent surveiller leurs inventaires, et intelligemment quitter nos corps et y revenir moyennant diverses astuces. Un scénario serait que nous portions un ‘habit alimentaire’ spécial tel une ceinture ou un tricot. Cet habit serait chargé de nanobots porteurs de substances nutritives, qui rentreraient et sortiraient du corps par la peau ou autres cavités. La Digestion Digitale A ce stade de l’évolution technologique nous pourrons manger tout ce que nous voulons, tout ce qui nous donnent du plaisir et nous comble gastronomiquement, et ainsi explorer sans réserve les arts culinaires pour leurs saveurs, leurs textures et leur arômes. En même temps, nous fournirons un flux optimal de substances nutritives au sang, au moyen d’un procédé entièrement séparé. Une possibilité serait que toute nourriture ingérée passe à travers un tube digestif désormais coupé de toute absorption possible dans le sang. Ceci encombrerait le colon et les fonctions intestinales ; ainsi une méthode plus raffinée se passera de la fonction éliminatoire. Ceci pourra se faire au moyen de nanobots d’élimination spéciaux qui agiront tels de tout petits compacteurs de déchets. Lorsque les nanobots alimentaires passeront de l’habit alimentaire vers le corps, les nanobots éliminatoires feront le trajet inverse. De temps en temps il nous faudra remplacer l’habit alimentaire par un neuf. On pourra dire que nous tirons quelque plaisir des fonctions éliminatoires, mais je soupçonne que la majorité des gens seront heureux de s’en passer. Ultimement, nous pourrons nous passer d’habits spéciaux ou de ressources nutritionnelles explicites. Tout comme l’informatique finira par être omniprésente, les ressources métaboliques nanobotiques élémentaires feront corps avec notre environnement dans son ensemble. En outre, un aspect important de ce système sera le maintien à l’intérieur du corps d’amples réserves de toutes les ressources nécessaires. La version 1.0 de notre corps ne fait ceci que de manière très limitée ; par exemple elle stocke quelques minutes d’oxygène dans le corps, et quelques jours d’énergie calorifique dans le glycogène et autres réserves. La version 2.0 offrira des réserves bien plus amples, ce qui nous permettra d’être privés de ressources métaboliques pendant beaucoup plus longtemps. Une fois perfectionnés, nous n’aurons plus du tout besoin de la version 1.0 de l’appareil digestif. J’ai souligné ci-dessus que nous adopterons ces technologies de manière prudente et progressive. Ainsi nous ne nous débarrasserons pas du processus digestif démodé dés l’arrivée de ces techniques. La plupart d’entre nous attendrons le système digestif version 2.1 ou même 2.2 avant d’accepter de faire sans la version 1.0. Après tout, les gens n’ont pas jeté leur machine à écrire lorsque fut introduite la première génération de traitement de texte. Les gens ont gardé leurs colletions de vinyles pendant des années après la sortie des CDs (j’ai toujours les miens). Les gens gardent leur appareil photos traditionnel alors que les appareils digitaux gagnent rapidement du terrain. Néanmoins les nouvelles technologies finissent par dominer, et peu de personnes aujourd’hui possèdent une machine à écrire. La même chose va se passer avec nos corps remaniés. Une fois résolues les complications inévitables qui surgiront avec un système gastro-intestinal radicalement refait, nous commencerons à nous en servir de plus en plus. Le Sang Programmable Lorsque a lieu l’ingénierie inverse (c'est-à-dire l’apprentissage de leurs principes d’opération) de nos diverses fonctions physiologiques, nous serons en mesure d’élaborer des nouvelles fonctions formidablement améliorées. Une fonction diffuse qui a déjà fait l’objet d’une modification conceptuelle d’envergure est le sang. Un des principaux partisans de la ‘nanomédecine’ (modifier nos fonctions biologiques au moyen de l’ingénierie à échelle moléculaire) et auteur d’un livre portant ce titre est Robert Freitas, Chercheur Scientifique dans l’entreprise nanotechnologique Zyvex Corp. Le manuscrit ambitieux de Freitas est une feuille de route détaillée de la reconstruction de notre héritage biologique. Un des projets de Freitas est de remplacer (ou améliorer) les globules rouges par des ‘respirocytes’ artificiels, qui nous permettraient de garder notre souffle pendant quatre heures de suite ou courir à vitesse maximale pendant 15 minutes sans respirer. Comme la majorité de nos fonctions biologiques, les globules rouges exécutent leur travail d’oxygénation de manière très inefficace, et Freitas les a repensées visant une performance optimale. Il a élaboré de nombreuses exigences physiques et chimiques de manière admirablement détaillée. Ce sera intéressant de voir comment cette évolution sera perçue d’un point de vue de compétition athlétique. Probablement, l’usage de respirocytes et systèmes similaires sera banni des compétitions olympiques, mais alors nous voyons surgir le spectre d’adolescents dans les salles de gymnastique de leur collège régulièrement surpassant les athlètes olympiques. Freitas envisage des plaquettes artificielles de l’ordre de grandeur du micron qui pourraient arrêter l’hémostase (contrôler le saignement) jusqu’à 1000 fois plus vite que les plaquettes biologiques. Freitas décrit des microbivores nanorobotiques (remplaçant les globules blanches) qui téléchargeront des logiciels afin de détruire des infections spécifiques cent fois plus vite que les antibiotiques, et qui seront efficaces contres toutes les infections bactériennes, virales et fongiques, sans les limites de la résistance aux antibiotiques. Un Cœur, ou pas Le prochain organe que je cible est le cœur. C’est une machine remarquable, mais il pose de nombreux problèmes. Il est sujet à une myriade de modes d’échec, et représente une faiblesse fondamentale pour notre longévité potentielle. Le cœur s’effondre en général bien avant le reste du corps, et souvent très prématurément. Bien que les cœurs artificiels commencent à fonctionner, une approche plus efficace sera de se débarrasser du cœur tout simplement. Parmi les modèles que proposent Freitas, nous trouvons des substituts nanorobotiques aux globules sanguines qui ont une mobilité autonome. Si le système sanguin se meut de son propre mouvement, alors les problèmes d’ingénierie que posent les pressions extrêmes requises pour un pompage centralisé pourront être éliminés. En perfectionnant les moyens de transfert des nanobots vers et hors du sang, nous pourrons aussi remplacer de manière continue les nanobots qui constituent notre approvisionnement en sang. Puisque les respirocytes permettront une oxygénation beaucoup plus ample, nous serons en position d’éliminer les poumons en laissant les nanobots nous fournir en oxygène et supprimer le dioxide de carbone. On remarquera éventuellement que respirer nous procure du plaisir (encore plus que l’élimination !). Comme pour toutes ces modifications, nous passerons certainement par des étapes intermédiaires pendant lesquelles ces techniques amélioreront nos systèmes naturels, nous offrant les avantages des deux. Finalement, cependant, nous ne verrons pas pourquoi continuer à subir toutes les complications de la respiration véritable et l’exigence d’air respirable où que nous allions. Si vraiment la respiration est un tel plaisir, nous développerons des moyens de nous procurer cette expérience sensuelle virtuellement. Nous n’aurons pas besoin non plus des divers organes qui secrètent des produits chimiques, hormones et enzymes qui circulent dans le sang et autres voies métaboliques. Nous créons déjà des versions bio-identiques de beaucoup de ces substances, et nous serons en mesure de créer systématiquement toutes les substances d’importance biochimique d’ici deux décennies. Ces substances (pour autant que nous en aurons toujours besoin) seront livrées par des nanobots sous contrôle de systèmes intelligents de bio-rétroaction [intelligent biofeedback systems] afin de maintenir le niveau d’équilibre requis, tout comme le font nos systèmes ‘naturels’ (par exemple, le contrôle des niveaux d’insuline par les cellules îlots de Langerhans pancréatiques). Puisque nous éliminons la majorité de nos organes biologiques, beaucoup de ces substances ne seront plus nécessaires, et seront remplacées par d’autres ressources exigées par les systèmes nanorobotiques. Il importe de souligner que cette procédure de modification ne sera pas accomplie en une seule fois. Chaque organe et chaque idée progresseront à leur manière, passeront par des intermédiaires, et connaîtront plusieurs étapes de mise en œuvre. Toutefois, nous avançons vers une modification fondamentale et radicale des fonctionnalités extrêmement inefficaces et limitées du corps humain version 1.0. Alors que reste-t-il ? Le squelette est une structure stable, et aujourd’hui nous savons assez bien comment il fonctionne. Nous en remplaçons déjà des parties, bien que nos techniques actuelles pour ce faire sont sévèrement limitées. Des nanobots inter-reliant [inter-linking] fourniront la possibilité d’augmenter et ultimement remplacer le squelette. De nos jours, remplacer une portion du squelette requiert une intervention chirurgicale douloureuse, mais le remplacer de l’intérieur moyennant les nanobots pourra être une procédure progressive et non invasive. Le squelette humain version 2.0 sera très costaud, stable et autoréparable. L’absence de nombreux organes, tel le foie et le pancréas, passera inaperçue car leur fonctionnalité ne fait pas l’objet d’une expérience directe. La peau, au contraire, est un organe que nous allons vouloir garder, ou du moins nous voudrons conserver sa fonctionnalité. La peau, qui inclut nos organes sexuels primaires et secondaires, a une fonction vitale de communication et de plaisir. Néanmoins, nous serons ultimement en mesure d’améliorer la peau avec des nouveaux matériaux souples nanofabriqués qui nous offriront davantage de protection contre les effets thermiques et physiques de l’environnement, tout en augmentant notre capacité pour le plaisir et la communication. On peut en dire de même pour la bouche et la partie supérieure de l’œsophage, qui comprennent ce qui reste du système digestif et qui nous servent à faire l’expérience de l’acte de manger. Le cerveau humain repensé Les méthodes d’ingénierie inverse et de modification comprendront également le système le plus important du corps : le cerveau. Le cerveau est au moins aussi complexe que tous les autres organes mis ensemble, et environ la moitié de notre génome est vouée à son expression. C’est une erreur que de concevoir le cerveau comme un seul organe. En fait il est une collection complexe d’organes dont la fonction est le processus d’information. Ces organes sont interconnectés selon une hiérarchie sophistiquée, comme l’est aussi l’histoire accidentelle de notre évolution. Nous sommes déjà bien en mesure de comprendre les principes d’opération du cerveau humain. Les techniques de base que sont le scannage cérébral et la modélisation neuronale se perfectionnent de manière exponentielle. Nous sommes déjà en possession de modèles mathématiques détaillés d’une vingtaine des centaines de régions que comprend le cerveau humain. L’âge des implantations neuronales est également bien entamé. La liste des régions du cerveau pour lesquelles nous avons des implantations cérébrales à base de modélisation ‘neuromorphique’ (c'est-à-dire l’ingénierie inverse du cerveau humain et du système nerveux) s’allonge rapidement. Un ami à moi, devenu sourd à l’âge adulte, peut désormais parler au téléphone grâce à son implant cochléaire, un dispositif qui interface[2] directement avec le système nerveux auditoire. Il projette de le remplacer par un nouveau modèle comprenant mille niveaux de discernement des fréquences, ce qui lui permettrait d’écouter à nouveau de la musique. Il se plaint qu’il entend la même mélodie dans sa tête depuis 15 ans et se réjouit à l’idée d’entendre quelques airs nouveaux. Une génération nouvelle d’implants cochléaires, actuellement en cours de recherche, nous offrira des niveaux de discernement des fréquences bien au-delà d’une ouïe dite normale. Des chercheurs à Harvard et à la MIT [Massachusetts Institute of Technology] sont entrain de développer des implants neuraux qui remplaceront les rétines abîmées. Il existe des implants cérébraux pour les malades de Parkinson qui communiquent directement avec les régions du noyau postérieur ventral et du noyau subthalamique du cerveau afin d’améliorer les symptômes les plus dévastatrices de cette maladie. Un implant conçu pour les personnes atteintes d’infirmité motrice cérébrale et de sclérose en plaques communique avec le thalamus ventral latéral et s’est révélé efficace pour le contrôle des tremblements. « Plutôt que de traiter le cerveau comme une soupe en ajoutant des médicaments qui augmentent ou suppriment certains neurotransmetteurs, » dit Rick Trosch, un médecin américain qui participe au le stade pionnier de ces thérapies, « nous le traitons actuellement comme un circuit. » Un ensemble de techniques actuellement en voie de développement établira le lien entre le monde aqueux analogique de traitement biologique des données et l’électronique digitale. Des chercheurs de l’institut Max Planck en Allemagne ont développé des dispositifs non invasifs qui peuvent communiquer avec les neurones dans les deux sens. Ils ont démontré que leur appareil est un « neuro-transistor » en contrôlant les mouvements d’une sangsue vivante au moyen d’un ordinateur. Une technologie semblable a été utilisée pour rebrancher des neurones de sangsues et les inciter à exécuter des problèmes simples de logique et d’arithmétique. Actuellement les scientifiques testent une nouvelle conception appelée ‘points quantiques’ qui met en jeu des petits cristaux de semi-conducteurs afin de relier des dispositifs électroniques à des neurones. Ces développements promettent de reconnecter les voies neurales chez des personnes dont les nerfs sont abîmés ou la moelle épinière lésée. On a longtemps pensé qu’il n’était possible de recréer ces voies que dans les cas de lésions récentes car les nerfs se détériorent progressivement lorsqu’ils ne sont pas utilisés. Néanmoins une découverte récente montre qu’il est possible d’élaborer un système neuro-prothétique pour les patients victimes de lésions anciennes de la moelle épinière. Des chercheurs de l’université de l’Utah ont demandé à un groupe de patients quadriplégiques de longue date de bouger leurs membres de plusieurs manières, et ont observé, au moyen de l’imagerie par résonance magnétique, comment a réagi leur cerveau. Bien que les voies neurales de leurs membres avaient été inactives pendant plusieurs années, lorsqu’ils essayaient de bouger ces membres leur activité cérébrale était fort semblable à celle observée chez des sujets non handicapés. En conséquence nous pourrons placer des capteurs dans le cerveau d’une personne paralysée (par exemple Christopher Reeve) qui seront programmés à reconnaître l’activité cérébrale associée avec les mouvements voulus et ensuite simuler la séquence correcte de mouvements musculaires. Pour les patients dont les muscles ne fonctionnent plus, des conceptions de systèmes ‘nanoélectromécaniques’ (NEMS) existent déjà ; ils pourront s’allonger et se contracter pour remplacer les muscles endommagés et pourront être activés par des nerfs biologiques ou artificiels. Nous devenons des Cyborgs Nous faisons l’expérience d’une intimité croissante avec notre technique. Au début les ordinateurs étaient d’énormes machines inaccessibles, entourées de techniciens en blouse blanche dans des pièces climatisées. Par la suite ils emménagé dans nos bureaux, puis sous nos bras et maintenant dans nos poches. Bientôt il nous paraîtra normal de les intégrer au corps et au cerveau. Ultimement nous serons davantage non-biologiques que biologiques. Les avantages incontestables qu’offrent ces technologies quant au traitement de maladies et d’handicaps profonds leur assurent un perfectionnement rapide, mais leurs applications médicales ne représentent que la première étape de leur adoption. Au fur et à mesure que se répand leur usage, il n’y aura pas d’obstacle quant à leur utilisation pour l’extension des capacités humaines. A mon avis, l’augmentation de notre potentiel est précisément ce qui en premier lieu distingue notre espèce. En outre, toutes les techniques sous-jacentes à ces développements sont en voie d’accélération. La puissance informatique a connu un taux de croissance doublement exponentiel durant tout le siècle dernier, et fera de même pendant une bonne partie du présent siècle à cause des possibilités offertes par l’informatisation en trois dimensions. Les bandes passantes offertes à la communication ainsi que les progrès de l’ingénierie inverse du cerveau accélèrent également. Entre temps, selon mes modèles, la taille des objets techniques diminue à un taux de 5.6 par dimension linéaire par décennie, ce qui signifie que la nanotechnologie sera omniprésente dans les années 2020. A la fin de cette décennie[3], l’informatique va disparaître en tant que technique ‘bagage’ séparée de notre corps. Il sera normal que nos lunettes et verres de contact inscrivent directement sur nos rétines des images à haute définition qui incluront l’ensemble de notre champ visuel (le Department of Defense utilisent déjà une technique de ce genre, développée par Microvision, une entreprise basée à Bothell, Washington). Nous aurons une connexion Internet ininterrompue sans fil à très haut débit. L’électronique permettant tout ceci sera insérée dans nos vêtements. Vers 2010, ces ordinateurs très personnels nous permettront de nous rencontrer dans un milieu audio-visuel de réalité virtuelle à immersion totale et compléteront notre vision à toute heure par des renseignements spécifiques temps et lieu. Vers 2030, l’électronique se servira de circuits de la taille d’une molécule, l’ingénierie inverse du cerveau humain sera achevée, et les bioMEMS auront évolué en bioNEMS (systèmes biologiques nanoélectromécaniques). Ce sera pratique courante que d’avoir des milliards de nanobots (des robots à échelle nanoscopique) parcourant les capillaires du cerveau, communicant entre eux (moyennant un réseau local sans fils), ainsi qu’avec nos neurones biologiques et avec Internet. Une application sera de nous offrir une réalité virtuelle à immersion totale qui inclura tous nos sens. Lorsque nous souhaiterons pénétrer un milieu virtuel, les nanobots substitueront aux signaux provenant de nos sens réels les signaux qu’aurait reçus notre cerveau si nous avions été effectivement dans ce milieu virtuel. Nous aurons une panoplie d’environnements virtuels au choix, aussi bien des mondes terrestres qui nous sont familiers que des mondes qui ne ressemblent en rien à ce que nous trouvons sur la Terre. Il nous sera possible d’aller vers ces lieux virtuels et d’interagir de toute sorte de manières avec d’autre personnes réelles (et simulées), que ce soit un rendez-vous d’affaires ou une rencontre sensuelle. Dans la réalité virtuelle, nous ne serons pas restreints à une seule personnalité, puisqu’il nous sera possible de changer notre apparence et devenir quelqu’un d’autre. L’application la plus importante des nanobots des années 2030 sera de littéralement augmenter notre esprit. Aujourd’hui nous sommes limités à quelques centaines de trillions de connexions inter-neuronales. Nous serons en mesure de les augmenter en ajoutant des connexions virtuelles en provenance de la communication nanobotique. Ceci nous permettra de beaucoup augmenter nos aptitudes à la reconnaissance des formes, notre mémoire, et notre capacité de réflexion en général, ainsi que d’interfacer avec des formes puissantes d’intelligence non biologique. Il est important de noter qu’une fois l’intelligence non biologique installée dans le cerveau (un seuil que nous avons déjà franchi), elle croîtra de manière exponentielle, conformément à la nature des techniques à base d’information. Un cube d’un ensemble de circuits de nanotubes qui mesure un pouce (qui fonctionne déjà à petite échelle au laboratoire) sera au moins un million de fois plus puissant que le cerveau humain. Vers 2040, la partie non biologique de notre cerveau sera bien plus puissante que la partie biologique. Et cependant elle fera partie de la civilisation de l’homme-machine, car elle dérive de l’intelligence humaine, c'est-à-dire elle a été créée par des êtres humains (ou par des machines créées par des êtres humains) et elle est fondée du moins en partie sur l’ingénierie inverse du système nerveux humain. Stephen Hawking remarqua récemment dans le magazine allemand Focus que l’intelligence informatique dépassera celle des êtres humains d’ici quelques décennies. Il a recommandé que nous « développions aussi vite que possible des techniques rendant possible une connexion directe entre le cerveau et l’ordinateur, afin que les cerveaux artificiels contribuent à l’intelligence humaine, au lieu de s’y opposer. » Que Hawking soit rassuré : le programme de développement qu’il recommande est bien entamé. © Raymond Kurzweil LibrosEnRed 2004 Translated by Catarina Lamm 2006 [1] Voir le livre Serons-nous immortels ? par Ray Kurzweil et Terry Grossman, éd. Dunod, coll. « Quai des Sciences ». [2] En anglais le mot ‘interface’ est aussi un verbe. Il devrait en être de même en français. Je propose donc le verbe ‘interfacer’. [3] Ce texte date de 2004.
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