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Dominique Laplane le problème de la traduction" Darnica Seleskovitch (12) est une linguiste particulièrement impliquée dans les questions de traduction. Elle conclut sans ambages: «j’affirme quant à moi, que le sens est un vouloir dire extérieur à la langue, que l’émission de ce sens nécessite l’association d’une idée non verbale à l’indication sémantique... et que la réception du sens exige une action délibérée du sujet percevant. Dans cette perspective, on est amené à ne plus voir dans l’agencement des mots que des indices puisés par le locuteur dans le savoir partage’ qu’est la langue, reconnue de ce fait par l’auditeur, mais ne servant au premier que de jalons pour sa pensée et au second que de tremplin pour la construction du sens de ce qu ‘il entend. » L’intérêt de ce travail provient de ce qu’il tire son origine de l’expérience concrète d’une praticienne du langage. « Plus j’avançais, écrit-elle, et plus se révélait fructueuse pour l’explication (de deux inconnues : les mécanismes de l’interprétation et les mécanismes du discours) l’hypothèse de l’existence d’une pensée indépendante des significations linguistiques ».Ainsi cette conception n’est pas née de considérations théoriques mais de la pratique. D. Seleskovitch s’est penchée sur l’exercice de la traduction simultanée et elle est arrivée à la conclusion qu’une bonne interprétation supposait d’abord une par faite compréhension du texte ensuite la réémission de l’intuition du locuteur sous une forme linguistique entièrement nouvelle. Entière ment nouvelle veut dire que, dans bien des cas, les mots utilisés ne font pas partie de la liste des termes que l’on trouve dans un dictionnaire entre deux langues à partir des mots du texte d’origine. « Mieux un interprète comprend ce qui est dit, plus il est amené à s ‘écarter des for mules originales, retrouvant, avec la spontanéité de l’expression, le génie de la langue». Sans doute faut-il pour se convaincre se référer à son travail dont la lecture n’est nullement ardue mais au contraire à la fois simple et passionnante tant elle est convaincante. Comparant des échantillons de discours et de la traduction simultanée, elle montre de façon particulièrement démonstrative que « les énoncés du discours tirent.., leur sens, autant que de la langue, du compris de celui qui les vit ». Le « compris » (en italique dans le texte) dont il est question est la manipulation des «traces mnésiques laissées par les arguments antérieurs dans l’esprit de celui qui comprend». Il est fonction également des connaissances générales de l’auditeur sur le sujet. Une ignorance peut interdire une interprétation correcte . Les exemples fournis sont nombreux et convaincants. Parmi les plus pittoresques la traduction instantanée d’un compliment fait en serbe au Général de Gaulle : «vous avez le visage frais », tout-à-fait saugrenu en français, par « que vous faites jeune » où D.S. ne retient que l’intuition d’un compliment… Comment D. Seleskovitch est-elle venue à ses conclusions courageuses dans le milieu de la linguistique? Parce que, comme elle le souligne elle-même, « l’association entre le bagage cognitif non verbal et le bagage langagier est si fulgurante, que l’on a tendance à confondre sa manifestation extérieure — la forme linguistique — avec l’opération elle même. ». La pensée d’outre-mot, Synthélabo. p. 149. Indications de lecture: Cf. Recherches sur le Langage.
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