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Dominique Laplane le langage peut ne renvoyer à rienLes premiers sages et les poètes pensaient que le langage était un don des dieux, destiné à dire l'être et les choses telles qu'elles sont. Parler, c'était dire ce qui est, refléter le cosmos, ce dont était incapable l'animal, privé de parole (alogos). Toutefois, on en vint assez rapidement à identifier dans le logos une part d'ambiguïté, d'opacité irréductible à l'image de l'oracle de Delphes dont Héraclite disait : « Il ne dit ni ne cache ; il signifie ». Bien plus, très tôt, le langage a manifesté son pouvoir d'inadéquation et de mensonge, écart qui oblige à penser le rapport du signe à la référence. Face aux dérives des sophistes qui manipulaient le langage pour séduire fallacieusement leur auditoire à des fins vénales, les philosophes ont été soucieux d'en assujettir l'emploi à une discipline rigoureuse. C'est ainsi que Socrate cherche les « définitions », c'est-à-dire le sens stable des mots : qu'est-ce que la beauté, le courage, la piété ? C'est aussi de la sorte que Platon met en évidence que c'est la structure complexe de la phrase et de l'attribution qui permet de dire faux, (le dire ce qui n'est pas. Le mensonge montre bien la dissociation possible entre les mots et l'état de choses ou la pensée intérieure : le langage peut ne renvoyer à rien ; on peut parler pour ne rien dire ou pour dire ce qui n'est pas. On peut penser quelque chose et dire le contraire. À la suite de Platon, Aristote voit dans le langage un outil fonctionnel pour véhiculer la pensée, dont les éléments sont conventionnels et varient d'un peuple à l'autre. Les philosophies de la nature (Empédocle, Anaxagore, etc.) partaient aussi du postulat de « l'identité de l'être avec la pensée ou plutôt avec l'énonciation de la pensée, le logos, conçue comme absolument une et immuable, donc se suffisant à elle-même. » Ce postulat, identifiant le vrai et ce que nous concevons comme tel, donc en fin de compte, l'apparence, engendrait « un jeu de contradictions insolubles » , d'autant plus qu'il provenait de physiciens confrontés au devenir sans cesse changeant ; il ne pouvait que déboucher sur le scepticisme. Il devenait possible, en effet, de soutenir la thèse et l'antithèse. C'est dans ce contexte que les sophistes firent leur apparition, mais, loin de vouloir cerner la véritable nature des choses, il ne s'est vite agi pour eux que d'être le plus persuasif, le plus habile pour entraîner l'adhésion des auditeurs. Abandonnant toute recherche de vérité, ils se consacrèrent à celle du profit, les meilleurs professeurs de rhétorique pouvant espérer des honoraires confortables de la part des jeunes ambitieux et de leur famille qui cherchaient à prospérer en politique. Contre ces sophistes, Platon et Aristote ont invoqué la réalité des idées et la rigueur des catégories et de la logique sous-jacentes au discours, rappelant que la philosophie ne peut pas être réduite à une joute purement oratoire, à un raisonnement purement verbal. Penser c'et à dire?, Armand Colin, p. 39-40. Indications de lecture: Cf. Recherches sur le Langage.
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