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Daniel Maurin      La conscience témoin et les émotions


  « Si nous examinons attentivement ce qui engendre nos blessures et nos souffrances, nous remarquons qu'elles proviennent toutes de notre identification aux événements et situations auxquels nous sommes confrontés. Ce processus ressemble à un écran de cinéma, blanc et pur, qui s'identifie au film qui est projeté sur lui, au point de perdre sa blancheur immaculée. Dès que les péripéties du film démarrent, il devient le voleur, l'incendie, les chagrins et les plaisirs, les joies et les peines. Et pourtant ! Le feu qui s'embrase ne l'échauffe pas d'un degré, les balles qui crépitent ne le percent pas, les inondations ne le mouillent pas ! Mais le spectateur contemple ces événements en perdant de vue la nature impassible et tranquille de l'écran, qui ne semble pas concerné par ce flot d'images. De même, dès que nous quittons l'état bienheureux du sommeil profond, nous nous engageons dans une course effrénée où nous nous identifions à tous nos jeux de rôle, brûlant de passions dévorantes, minés par l'angoisse ou secoués de rires incœrcibles, dansant ou pleurant suivant la pluie ou le beau temps de nos existences : l'écran est bel et bien perdu de vue ! Quel est donc cet écran sur lequel se projettent toutes nos expériences ? C'est le Soi, la conscience-témoin. Il suffirait qu'elle se maintienne pendant nos activités pour que nous soyons sauvés ! Dès lors, comme l'œil du cyclone n'est pas perturbé par la furie des vents, nous demeurerions tranquilles dans les tempêtes de l'existence. Il s'agit naturellement de la meilleure prévention des blessures intérieures. Du point de vue de la thérapie, nous pouvons utiliser avec succès ce principe en demandant au patient d'observer tranquillement les états d'âme et les émotions, parfois violentes, qui le traversent : elles perdent rapidement leur virulence. De plus, l'observation attentive de ces turbulences les neutralise et les dissout, comme une brume qui s'évapore avec la percée du soleil. Afin d'accompagner le patient dans cette prise de conscience, nous pouvons lui dire par exemple :

 - Pouvez-vous observer cette peur comme un nuage qui passe dans le ciel ?

Ou bien :

- Cette angoisse est peut-être en vous, mais elle n'est pas vous. La preuve, c'est que vous pouvez l'observer ! L'œil peut-il se voir lui-même ? En l'observant tranquillement, vous découvrez quelle est sa consistance réelle. À ces mots (ou d'autres dans le même registre), il est fréquent de constater que la personne se détend aussitôt et ne retrouve plus l'émotion qui la faisait tant souffrir. Une chose est d'évoquer ou d'analyser un événement passé, autre chose est d'observer son impact actuel dans notre vie ; dans cette approche, l'accent n'est pas mis sur l'analyse (ni même l'évocation) d'un traumatisme passé, mais sur l'observation des processus de réactivation : en évoquant ma noyade avortée à l'âge de 7 ans, je peux observer ma peur de l'eau au moment où elle se présente et dire, par exemple : "Tiens, la voici, regardons à quoi elle ressemble!" Je n'ai alors pas besoin de chercher pendant des mois à savoir d'où elle vient. Ce qui importe, c'est ce qui se passe dans mon vécu actuel. Pour se mettre en situation, on peut même la voir évoluer au gré des flots et ainsi, l'apprivoiser doucement. Point de retour sur le passé : ce qui m'intéresse, ce n'est pas l'événement responsable qui se produisit 50 ans en arrière, mais ce qui se passe maintenant avec cette peur.  En l'observant avec bienveillance, je me rends compte alors qu'elle n'est pas si terrible que cela, qu'il s'agit simplement d'une vague émotionnelle, qui passe comme les vagues sur les flots... Elle monte, elle monte, puis descend ; je la suis dans ses mouvements jusqu'à ce que je constate un phénomène surprenant : plus je la regarde en face et plus elle décroît ! Voici que je peux même en sourire et me dire intérieurement : "C'est cela qui me faisait tellement peur, allons donc!" Observant avec une conscience neutre cette peur, je remarque alors, à ma grande stupéfaction, qu'elle n'existe pas en elle-même, mais qu'elle est reliée, comme à un fil, à une sorte de mémoire cellulaire, à une tache imprimée dans une partie du système nerveux. Découvrant son caractère impermanent, je me demande alors pourquoi elle me faisait si peur, au point que j'en arrivais à avoir peur d'avoir peur ! Mené à son terme, ce petit exercice pourrait bien se terminer par un éclat de rire... qui exorcisera définitivement cette peur-mirage ! »

       Guérir ses blessures intérieures.


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