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Karl Pribram   Synchronicité et fonctionnement du cerveau


     Les transformations de Fourier permettent donc d’effectuer dans un premier temps l’analyse en facteurs, et les mêmes transformations permettent de reconstituer l’opération inverse. Dennis Gabor a appliqué cette caractéristique du théorème de Fourier à l’invention de l’hologramme. L’hologramme enrichit les transformations de Fourier d’un modèle, qui peut ensuite être reconstruit par application du processus inverse. L’hologramme offre une organisation très singulière et très intéressante. David Bohm s’y réfère comme à un “ordre impliqué”, parce qu’il conçoit que toute forme et tout modèle, y compris l’espace et le temps, sont involués (reployés) en lui. Aussi bien, l’hologramme représente un ordre de distribution. Ses caractéristiques non-locales sont précisément celles que pose le problème de la physique quantique. Nous pourrions dire que l’ordre impliqué de la physique “entraîne” un processus de Fourier dans le cerveau du physicien. (Précisons cependant que “impose”, au lieu de “entraîne”, serait une meilleure description de la relation qui s‘établit dans ce cas.)

     Le parallèle avec l’exemple du coq et du soleil peut ainsi être complété: il existe bien un mécanisme dans le cerveau qui peut être considéré comme un ordre qui se trouverait derrière les corrélations observées de la physique quantique. Cet ordre réside dans les transformations de Fourier appliquées à un modèle spatial. De même qu’une compréhension du processus d’entraînement des rythmes circadiens rend possible la compréhension des liens de causalité impliqués dans la corrélation entre le coq qui chante et le soleil qui se lève, de même une compréhension du processus de Fourier dans le cerveau rend possible la compréhension des liens causal impliqués dans les corrélations qui s’imposent dans la physique quantique. Résumons ce que nous avons vu! Le chant du coq précède le lever du soleil. D’ordinaire, on a coutume de considérer que la causalité opère dans le même sens que la flèche du temps. Mais cela est incohérent dans le cas du coq et du soleil; aussi avons-nous recherché une explication et l’avons-nous trouvée dans le déroulement des rythmes circadiens innés du coq. En physique quantique, des problèmes similaires surgissent en ce qui concerne la causalité immédiate: l’effet paraît précéder la cause, ou bien il n’y a absolument aucune base permettant de comprendre la corrélation observée. C’est également incohérent, aussi nous a-t-il fallu chercher une explication. Suivant la démarche selon laquelle c’est l’intrusion de l’observateur dans le phénomène d’observation qui peut expliquer le problème, nous avons étudié le cerveau de l’observateur et découvert le processus de Fourier; processus par lequel des modèles sont transformés en un ordre assimilable à celui de l’holographie et à partir duquel ils peuvent être reconstitués.

     Il faut donc maintenant se demander si le fait que le processus de Fourier de déroulerait réellement dans le cerveau a un pouvoir explicatif en physique. La réponse à cette question dépend du pouvoir qu’ont le théorème de Fourier et toutes les procédures mathématiques qui en découlent, de transformer les choses, en partant du monde de l’espace/temps ordinaire où règne la causalité immédiate, en un ordre involué, distribué et non-local, dans lequel des corrélations, et seulement elles, existent. Ce pouvoir de transformation est utilisé en traitement informatique et en sciences statistiques sous la formes des “transformations rapides de Fourier”, chaque fois – et à quelque niveau que ce soit – que des corrélations doivent être calculées. Il est aussi à la base des procédures CAT et PET qui forment des images en corrélant, dans ce domaine de transformation, les résultats d’enregistrements individuels restreints. Une fois que la nature non-locale du domaine de transformation est clairement reconnue, sa présence peut aider la compréhension à de nombreux niveaux. Là où cette ubiquité est peut-être la mieux mise en valeur, c’est dans la formule de base d’Einstein, concernant la relation entre énergie et masse: E=m.c 2. En physique quantique, E, l‘énergie, est mesurée en termes de moment; m, est la masse des gravitons apparaissant en certains endroits; c, est la vitesse de la lumière déterminant la flèche du temps. (A la vitesse de la lumière, le temps reste immobile.) Ainsi, le côté droit de l‘équation d’Einstein représente l’espace/temps tel que nous avons coutume de le percevoir. Quant au côté gauche, il représente le moment, c’est-à-dire le potentiel d‘énergie disponible à tout instant. E est par conséquent un terme non localisé qui, en fait, est relié à l’espace/temps à travers un transformation de Fourier! Le cerveau, comme nous l’avons vu plus haut, a la capacité d’opérer à la fois selon un mode spatio-temporel et un mode non-local. Alors pourquoi, en physique quantique, sommes-nous astreints à ne pouvoir observer que l’un ou l’autre? Pourquoi ne pouvons-nous pas observer simultanément le moment et la localisation?

      La réponse à cette question tient à la complémentarité, inhérente aux techniques et à l’appareillage utilisés pour faire les observations. Précisons cependant que, en suivant la conception de Bohr, la complémentarité est une propriété fondamentale à la fois de la “chose” observée et de l’observateur, et non pas seulement un artefact introduit par la procédure choisisse. Le théorème de Fourier exprime cette complémentarité de base. Reconnaître l’existence d’un domaine non-local de transformation, dans lequel des corrélations et seulement elles peuvent avoir lieu, replace les observations qui sont subsumées sous le concept de synchronicité dans un cadre général où l’on trouve d’autres observations de non-localité. La synchronicité paraît bizarre parce que nos sens et nos cerveaux sont programmés pour rechercher des causalités immédiates, quand bien même seules des corrélations seraient observées. Dans le cas de la synchronicité, comme dans le cas du coq et du soleil et celui de la physique quantique, des relations causales ne pourraient être introduites que par référence à l’observateur qui se tient derrière les observations. Le cerveau de l’observateur est doté des capacités de transformation qui permettent d‘établir un ordre non-local aussi bien qu’un ordre spatio-temporel d‘événements. Il y a qu’il reste plusieurs problèmes difficiles. Pourquoi l’ordre spatio-temporel est-il beaucoup plus facile à atteindre que l’ordre non-causal? Est-ce que les ordres complémentaires de l’espace/temps et de la non-localité sont exhaustifs, ou bien existe-t-il d’autres ordres qui n’ont pas encore été découverts? (Cette question pose le problème des mondes multiples possibles.) Par quels mécanismes les expériences mystiques, qui manifestent souvent des propriétés de non-localité, se trouvent-elles déclenchées? Et pour finir, l’ordre spatio-temporel, l’ordre non-local, et tous les autres ordres possibles sont-ils entièrement une construction de nos sens et de nos cerveaux, où reflètent-ils une cosmologie universelle à laquelle nos sens et nos cerveaux participent? (Cette question est la même que celle qui demande si les mathématiques sont une invention ou une découverte.) Il ressort de ce que nous avons vu dans ces quelques pages qu’un aspect important de la recherche, en vue de répondre à ces questions, consiste à en savoir plus sur le cerveau qui  pose justement ces questions. De nos jours, une fois encore, il semble essentiel de joindre les efforts réalisés dans les sciences de la vie avec ceux qui sont menés dans le domaine des sciences physiques. Il y a à peine un siècle, une psychophysique sensorielle et quantitative a été élaborée à partir d’une telle convergence. Aujourd’hui, le besoin se fait sentir de développer une science fondée sur l‘étude du cerveau, qui puisse embrasser à la fois la physique moderne et la nature spirituelle de l‘être humain.

La synchronicité et le fonctionnement du cerveau, dans La synchronicité, l‘âme et la science.


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