Commentaire du texte de Platon, sur la rhétorique

La copie d'Elise Alain, élève de TS.


            Le langage est un moyen permettant de s'exprimer, d'échanger et de partager des idées. Il est d'ailleurs utilisé notamment par les philosophes pour amener les gens à rechercher la vérité, à clarifier leurs pensées. Platon, philosophe du V siècle avant Jésus-Christ, parlait de maïeutique pour désigner l'art "d'accoucher les esprits". Ceci consiste à établir un dialogue avec une personne, dialogue qui peut paraître banal en apparence, mais qui l'amène à découvrir la vérité qu'il a en lui. Dans ce texte de Platon, Socrate discute avec Gorgias au sujet de la rhétorique, art de la persuasion et va amener Gorgias à s'exprimer, à exposer ce qu'est, selon lui, l'art de la rhétorique.

            Socrate commence le dialogue en donnant une définition de la rhétorique qui pousse le sophiste grec Gorgias à discuter sur sa thèse, selon laquelle la rhétorique, procédé propre au discours, traiterait de sujets importants, concernant l'humanité, et capable d'apporter du bien à l'homme. Puis Socrate aide Gorgias à clarifier sa thèse qui lui semble trop vague, et va pour cela, lui démontrer que d'autres personnes prétendent apporter du bien aux hommes sans pour autant procéder à la rhétorique. A la fin du dialogue, Gorgias complète la définition de la rhétorique en expliquant pourquoi, selon lui, sa thèse est valable. Dans une deuxième partie, nous nous demanderons en quoi consiste la rhétorique, ce qu'elle produit à l'homme et qu'elle est sa portée.

 

            Socrate, dès l'introduction (l. 1 à 9) donne le sens du mot rhétorique, qu'il présente comme un art capable "(d'accomplir et d'achever) (sa) tâche uniquement au moyen du discours". Il insiste sur le fait que la rhétorique est un procédé oratoire, qui ne demande aucun autre moyen que le discours pour achever sa tâche. Cette première définition constitue une approche, Socrate amène le sujet et utilise une question rhétorique "n'est-il pas vrai", qui implique une réponse positive de Gorgias. Puis Socrate demande à Gorgias de compléter sa définition, il le pousse à préciser le sujet de ces discours. Il apporte lui-même une précision en parlant de "discours propres à la rhétoriques". Il semble donc déjà, que Socrate mette en garde Gorgias sur le fait que tous les discours n'utilisent pas la rhétorique. Gorgias répond que la rhétorique traite "les plus grandes de toutes les affaires humaines (...) et les meilleures". Cette réponse apparaît vague, présentée de cette façon, on pourrait croire que la rhétorique n'a rien d'un art, et que l'on peut la trouver dans n'importe quelle conversation banale. On se demande alors qu'elle est l'originalité de ces discours et quelle importance il faut donner à cet art. Socrate va ainsi profiter de la réponse de Gorgias pour l'amener à clarifier sa pensée en lui montrant que la rhétorique ne traite pas seulement des affaires humaines.

            Dans une première partie (l. 10 à 24), Socrate discute la réponse de Gorgias. En effet, il feint d'être dans un banquet et s'imagine ce que sont, pour la plupart des gens, les plus grandes affaires humaines, choses résumées dans une chanson populaire "(qui énumère) des biens". Ces biens sont "la santé", "la beauté" et "la richesse acquise sans fraude". Ces trois biens semblent être les grandes préoccupations du peuple, et être à l'origine du bonheur. Socrate en choisissant de se placer dans un banquet, insiste sur l'importance accordée par le peuple à la santé, la beauté et la richesse. On ne trouve pas dans ces biens la rhétorique mais des affaires qui préoccupent les gens du peuple parce qu'elles traitent de choses qui sont difficiles à acquérir et qui pour eux constituent un bien. Socrate de manière implicite, annonce qu'il va démontrer que ces trois biens n'ont rien de particulier, ne donnent aucun pouvoir, contrairement à la rhétorique qui elle apporte beaucoup à l'homme. Socrate invente alors une discussion entre lui et un médecin à qui Gorgias aurait dit que la rhétorique produit un bien à l'homme. Socrate choisit de jouer un médecin sûr de lui , qui répondrait  "le plus grand bien de l'humanité, c'est le mien" pour l'amener ainsi à se justifier, à expliquer en quoi la santé est un bien pour l'homme. Mais Socrate choisit de faire répondre le médecin de manière brève: "Comment le contester (...) puisque c'est la santé?" Le médecin présente comme une évidence le fait que personne, selon lui, ne peut nier que la santé est un bien pour l'homme. Cette réponse du médecin faite par Socrate lui permet de montrer implicitement que ce dernier ne sait pas employer la rhétorique. Sinon, il aurait nuancé ses propos, il aurait argumenté longuement en mettant en avant les bienfaits de la santé. Déjà Socrate annonçait au lecteur qu'il n'allait pas être d'accord avec la réponse du médecin, quand il lui pose la question "Que prétends-tu donc?". Le verbe prétendre montre la méfiance de Socrate face à la réponse du médecin. Enfin, le médecin finirait, selon Socrate par cette question "Y a-t-il pour les hommes un bien plus grand que la santé?", à laquelle Socrate ne répond pas volontairement. C'est une manière de faire réfléchir le lecteur, de lui soumettre que la santé n'est peut-être que secondaire et qu'il existe un bien, qui, sans le paraître, est plus important que la santé.

            Dans une deuxième partie (l.25 à 30), Socrate évoque le second bien , "la beauté" qui relève du pédotribe. On remarque que ce bien a été aussi choisi volontairement par Socrate car le pédotribe soigne l'apparence, l'hygiène du corps, ce qui semble donc superficiel, futile par rapport à la rhétorique. Une fois de plus Socrate crée un pédotribe très sûr de lui: "Je serai (...) bien surpris (...) que Gorgias pût te montrer de son art un bien plus grand que moi du mien." Le pédotribe ne voit de bien apporté à l'homme que grâce à la beauté physique et non sur celle de l'esprit, ce que Socrate cherche à montrer aux lecteurs. Pour insister sur ceci, le philosophe imagine qu'il demande au pédotribe qui "il est et quel est son ouvrage"; question à quoi il répond sans hésitation "(...) mon ouvrage, c'est de rendre les hommes beaux et robustes de corps". Cette dernière réponse permet à Socrate d'appuyer et de confirmer sa thèse en montant que ce bien est superficiel. Cette phrase se termine par le mot "corps", pour faire prendre conscience aux gens que le travail du pédotribe ne contribue en rien à rendre l'esprit plus beau et plus robuste; ce qui montre de nouveau que la beauté physique n'apporte pas un bien réel à l'homme.

            Afin d'achever son argumentation et de convaincre les gens du peuple qu'ils ne savent pas ce qu'est un véritable bien pour l'homme, Socrate termine par la richesse (l. 30 à 41). Il décide donc de faire parler un financier en précisant qu'il aurait "un souverain mépris pour tous les autres". Cette précision faite sur le financier montre que celui-ci semble dominer le médecin et le pédotribe, se considère supérieur à eux, pour que Socrate démontre de manière plus insistante qu'il a tort. Comme le médecin et le pédotribe, Socrate fait parler le financier avec fierté, " Vois, donc, (...) si tu peux découvrir un bien plus grand que la richesse". Cette phrase est construite de manière à ce que l'on ne puisse contredire le financier, il ne nuance pas ces propos. Socrate profite de cette réponse pour montrer que les affirmations du financier ne sont pas fondées: il joue sur le mot "richesse" lorsqu'il demande "Es-tu, toi, fabricant de richesse?". Socrate joue sur les différents sens du mot richesse, il ne pense pas, contrairement au financier, qu'à l'aspect matériel de la richesse, mais aussi et surtout à celui moral: cette richesse d'esprit qui fait qu'un homme peut en dominer un autre, le manipuler et qui permet de pratiquer la rhétorique. Pour insister sur les différents sens de ce mot, Socrate demanderait au financier "en quelle qualité", ce à quoi il répondrait simplement "en qualité de financier". Comme les deux personnages précédents,  le financier répondrait que "sans-contredit", "la richesse est pour les hommes le plus grand des biens". Le financier n'est pas persuasif, il n'émet aucun argument en sa faveur et il n'apparaît pas convainquant car il ne défend pas son opinion. Socrate a donc montré implicitement tout au long de ces exemples que santé, beauté et richesse, que les gens du peuple prétendent être des biens, n'en sont pas vraiment, et que ceux qui disent être fabricants de ces biens ne savent pas utiliser la rhétorique, donc n'apportent pas de biens aux hommes. Il va laisser la parole à Gorgias en posant la même question qu'il avait supposé poser à ses personnages et en commençant par feindre de ne pas être d'accord avec lui, de se moquer de lui: il utilise les verbes "prétendre" et "vanter".

            Cette dernière partie du dialogue (l.42 à 51) constitue la conclusion de l'argumentation menée par Socrate pour permettre à Gorgias de compléter la définition de la rhétorique donnée en introduction. La réponse de Gorgias semble plus fondée sur les réponses précédentes, au sujet du bien apporté à l'homme: Gorgias que la rhétorique est "(la chose) qui est réellement le bien suprême". L'adverbe "réellement" implique que cette chose est profonde, qu'elle relève de la vérité. En la qualifiant de "bien suprême", il la présente comme beaucoup plus bénéfique que les autres. Gorgias s'explique en affirmant que ce bien "fait que les hommes sont libres eux-mêmes". "Eux-mêmes" insiste sur le fait que le bien produit par les autres entraîne une dépendance, (par exemple si on veut avoir un corps "beau et robuste", il faut se rendre régulièrement chez le pédotribe.), mais la rhétorique, elle, semble s'acquérir indépendamment du reste et rendre ainsi l'homme libre. Elle permet de plus de "(commander) aux autres dans leurs cités respectives", donc d'être supérieur aux autres. Socrate satisfait par la réponse de Gorgias, le pousse à préciser davantage: "Que veux-tu dire par là?". Il lui répond que ce qui rend supérieur c'est " le pouvoir de persuader par ses discours (...) (et) de faire ton esclave du médecin, du pédotribe ...". Ce bien permet donc de régner en maître sur n'importe qui et d'être un homme libre car capable de travailler cet art seul. Gorgias termine par affirmer que la rhétorique permet, grâce à ses différents moyens de manipuler les autres de "persuader les foules" et de recevoir d'eux plus d'argent que n'en reçoit le financier: on peut donc posséder grâce à elle, une double richesse: matérielle et morale, d'où le bien qu'elle procure à l'homme. Cette vision de la rhétorique selon Gorgias n'est-elle pas contestable? En quoi la rhétorique est-elle bénéfique pour l'homme? N'est-elle pas cependant abusée par certains?

 

 

            La rhétorique concerne l'ensemble des moyens et des procédés oratoires permettant de s'exprimer correctement, avec éloquence et dont le but est de persuader ses auditeurs. Un discours rhétorique implique donc d'influencer les personnes qui écoutent, de les convaincre à certains sujets, de leur faire changer d'opinion, de changer leur vision du monde .... Elle apparaît donc comme un "pouvoir", ainsi que l'affirme Gorgias, qui permet à l'homme de dominer les autres, de les "transformer" en quelque sorte. Ce procédé d'éloquence implique donc une certaine aisance, maîtrise du vocabulaire de la part de l'orateur. Il est nécessaire, en effet, d'être capable d'argumenter pour persuader quelqu'un, d'être le plus précis possible et de savoir manipuler sa propre langue. Les mots employés par l'orateur ont donc chacun leur importance et doivent être intelligemment utilisés pour avoir un effet sur l'auditeur. La rhétorique n'est ainsi possible que par une maîtrise véritable de la langue pour pouvoir exprimer clairement sa pensée, partager son avis, son savoir avec les autres. On comprend, dès lors, pourquoi Socrate parle "d'art" lorsqu'il évoque la rhétorique: il faut être habile et savoir s'adapter à différents discours. Cet art a donc un effet sur les hommes, dans le sens où il peut les influencer: les mots, à travers leurs sens, peuvent avoir un effet important sur l'homme et c'est ce avec quoi jouent ceux qui pratiquent la rhétorique. Comme le dit aussi Gorgias, la rhétorique rend l'homme libre car chacun à une manière particulière de persuader, même si en général les procédés de rhétorique se ressemblent, mais on ne dépend de personne. Ceux qui maîtrisent ces procédés sont aussi supérieurs aux autres et plus libres qu'eux parce qu'il savent reconnaître un tel discours, alors que les autres non. On peut donc dire que cela apporte du bien à l'homme qui sait pratiquer la rhétorique mais elle peut aussi être bénéfique pour les autres car elle peut leur permettre de changer de point de vue ... Cependant malgré ces bénéfices qu'elle peut apporter à chacun, la rhétorique ne peut-elle pas être source d'inégalité entre les hommes? Ce pouvoir de manipulation ne peut-il pas être employé dangereusement pour l'homme?

            Comme nous venons de le voir, la rhétorique s'apprend, il faut une certaine ruse pour savoir comment réussir à persuader les autres, ce que tout le monde n'est pas en mesure de faire. On remarque que bien souvent, ceux qui savent pratiquer la rhétorique, ont déjà du pouvoir, par exemple certains hommes politiques. Cette dernière peut accentuer les inégalités sociales car elle est souvent pratiquée par une personne d'une catégorie sociale élevée sur une catégorie moins élevée. Il est donc plus facile de la convaincre, car on peut utiliser un ensemble de mots, d'expression que les autres ne maîtrisent pas et les impressionner pour enfin les persuader. Mais la rhétorique peut-être dangereuse quand on en abuse et que l'on cherche à changer des mentalités pour les rendre, par exemple, avides de violence, de racisme, d'intolérance .... On assiste dans ce cas à une véritable guerre entre les hommes. On a pu d'ailleurs constater cela lorsque l'idéologie nazie s'est mise en place; on a fait croire à la population qui fallait exterminer les races inférieures, les chasser, et à force de persuasion, les gens ont finit par "accepter". La rhétorique peut là être dangereuse pour l'homme qui  devient esclave de son manipulateur. Il est aveuglé par ses discours, son vocabulaire et finit par être pris au piège. Si, un jour, des gens qui ont été manipulé se rendent compte de ce dont ils ont fait l'objet, ils peuvent se rebeller face aux manipulateurs ou ils peuvent perdre confiance aux autres, ne plus croire en rien. La rhétorique peut donc être dangereuse quand on en abuse ou quand on en profite pour faire des autres des esclaves. Dans ce cas, elle n'est bénéfique que pour celui qui pratique la rhétorique, car il se sent puissant, mais elle ne l'est pas pour les autres.

   

            La rhétorique apparaît donc comme un art, un pouvoir permettant de rendre l'homme libre. Quand elle est utilisée dans faire découvrir la vérité aux autres, de leur faire prendre conscience de certains faits, la rhétorique est perçue comme un bien pour l'homme. La supériorité se dessine alors entre un homme capable de persuader un autre par sa lucidité et celui qui ne se rend pas compte d'être manipulé. Elle n'apporte cependant pas de bien à l'homme quand les conséquences qu'elle a sur lui sont trop graves, quand un homme influence de façon néfaste trop de monde. Certes, la rhétorique traite "les plus grandes affaires de l'humanité", mais reste à savoir quels en sont ses vrais principes et ses limites à ne pas dépasser.


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