Commentaire du texte de Schopenhauer extrait du Monde comme volonté
et comme représentation.
La copie de Marie Plouganou
La mort, au sens biologique du terme, n'est pas propre aux
hommes, elle est le fait de tout être vivant, du simple unicellulaire
au plus complexe des organismes.
Mais la conscience de la mort et le savoir de l'existence
semble bien être l'apanage des hommes, au point que le qualificatif de
"mortel" vient, dans les anciens récits, désigner sans équivoque
les humains. Mais pourquoi seuls les êtres humains s'interrogent ainsi
sur leur existence?
Schopenhauer répond à cette question en considérant l
homme comme un être profondément métaphysique, s'étonnant devant le
monde et aspirant à l'absolu. Les autres êtres de la nature, selon
lui, ne se posent pas la question de l'existence car ils ne sont pas étouffés
par la conscience de leur mort en tant que disparition individuelle.
Par contre l'homme vit meurtri par la conscience de sa mort et la
difficulté de savie qui le pousse à la réflexion. La raison est
propre à l'homme et fait de lui un "animal métaphysique".
Porté par la mort et la douleur, l'homme s'étonne de son existence et
cherche une explication au monde dans lequel il vit.
De la ligne 1 à 11, Schopenhauer distingue clairement
l'homme du reste des êtres et explique la relation de la nature avec
son existence. Seul l'homme est perplexe devant l'idée d'exister, le
reste des hommes de la nature ne s'interroge même pas sur le pourquoi
et le devenir de leur vie. Pour tous sauf pour l'homme, l'existence est
une chose naturelle, évidente et inévitable qui ne mérite pas que
l'on y prête attention puisqu'elle est déterminée et qu'elle
concerne tout aussi bien ce qui est abstrait que ce qui est concret.
Toutes les choses présentes existent puisqu'elles ne sont pas rien.
L'auteur voit implicitement l'existence d'une manière très large
puisque selon lui tout être existe. Pour lui, exister signifie avoir
une forme, être quelque chose que ce soit une chose concrète, un
sentiment ou une force déterminée. L'existence est banale et ne soulève
aucun problème pour la nature. Celle-ci l'aborde avec sérénité, par
exemple, chez l'animal, le désir inextinguible de vivre et la faculté
de le faire forme un tout harmonieux qui n'entraînent pas
d'interrogations sur la raison de la vie. La volonté de l'animal se ressent
dans la puissance aveugle de la vie et l'intellect ne se présente pas
comme une barrière à cette volonté mais s'allie avec elle pour
former une symbiose. L'animal se contente de vivre sas se demander
pourquoi il le fait car il n'a pas la conscience de vivre en tant
qu'individu périssable. Il appartient à un tout qu'est la "mère
universelle" et ne vit que dans l'optique de compléter ce tout
sans pour autant en être conscient. "L'omniscience de la mère
universelle" englobe ainsi toutes les choses du monde et n'ont pas
plus conscience de leur existence que les choses elles mêmes. Elle est
poussée par la volonté de vivre, universelle, aveugle et irrésistible.
Cette force est la substance intime de toutes choses, elle est à la
fois le fait de vivre et le mécanisme de tout ce qui appartient au
monde. Ainsi, toutes les choses et les êtres vivent avec plénitude
une existence inconsciente.
L'auteur remonte à la source du monde, la "mère
universelle" et arrive jusqu'au "règne des animaux pour
expliquer chronologiquement l'existence des choses. Toute la nature
possède donc une existence qu'elle ignore, cette ignorance fait la
force de sa vie et l'empêche de s'étonner devant le monde et de
souhaiter l'immortalité. La Nature a l'avantage de vivre en dehors du
temps psychologique ce qui lui permet de vivre pleinement sans crainte
et sans angoisse.
En remontant dans les différentes étapes de la vie
biologique, l'auteur arrive à l'apparition de l'homme et de sa raison.
De la ligne 12 à la ligne 17, l'auteur démontre
l'absurdité de la vie humaine. L'homme est le seul être à avoir
pleinement conscience qu'il existe et que son existence est limitée
dans le temps. Cette certitude fait naître chez lui un étonnement qui
contient des degrés de crainte, de surprise, d'ébranlement et de
douleur. Il vit tout en sachant que sa vie va prendre fin et il est
terrifié par sa mortalité. Cette peur l'entraîne à se poser des
questions sur son existence, cherchent un sens à un monde quelque peu
absurde. La conscience que nous avons de notre finitude nous enferme
dans une sorte de paresse, le moindre effort paraissant inutile puisque
la vie est limitée et sans aucun sens. Nos jours s'ecoulent sans
espoir, sans but dans un monde dépourvu de cohérence.
Dans la même oeuvre philosophique , Schopenhauer va plus
loin dans son raisonnement de l'absurde en affirmant que la "vie
de l'homme n'est qu'une lutte pour l'existence avec la certitude d'être
vaincu." Cette citation montre une vision quelque peu pessimiste
de l'auteur sur l'existence humaine. L'homme passe sa vie à lutter
contre la mort en cherchant un sens à son existence alors qu'il ne
peut pas échapper à sa fin.
La réflexion serait donc la conséquence de la conscience
de la mort et la recherche d'un échapatoire à travers la pensée.
C'est la peur de la finitude qui nous pousse à une multitudes de
questions sur le sens du monde et de l'existence. Nous sommes inférieurs
aux animaux dans le sens où nous ne sommes pas capables d'affronter la
vie avec le même calme qu'eux.
Schopenhauer pense que "la vie n'est pas là pour
qu'on en jouisse mais pour qu'on la subisse, qu'on s'en acquitte",
c'est pourquoi la position neutre et sereine des animaux est bonne car
elle est poussée par une forte volonté de vivre plutôt que par une
constante remise en question de l'existence. D'un côté, la réflexion
propre à l'homme nuit à l'attente passive qu'il devrait avoir face à
sa vie, mais d'un autre côté, l'homme sachant sa vie en danger, ne
peut ignorer sa mort et la pensée est son seul recours pour s'y préparer.
La raison humaine est donc à la fois la conscience que
l'existence possède un début et une fin et une interrogation sur soi.
L'homme aborde sa vie avec la constante menace de la mort et toute son
existence se résume à l'attente de sa fin, assommé par l'absurdité
incompréhensible du monde. Il lui parait alors totalement inutile de
faire le moindre effort. Il cherche par contre à comprendre pourquoi
il est condamné à vivre une vie sans aucun sens et il cherche des réponses
notamment dans la métaphysique et la philosophie.
De la ligne 17 à la ligne 22, l'auteur confirme la différence
entre l'homme et le reste de la nature en expliquant d'où lui vient le
besoin métaphysique du monde. Selon lui, l'émerveillement constant de
l'espèce humaine devant le cycle de la vie, la pousse à chercher des
réponses métaphysiques et philosophiques.
La métaphysique est enracinée dans l'étonnement de
l'existence. Seul l'homme ressent le besoin d'expliquer les choses et
leurs causes premières car lui seul s'étonne d'exister. En tant qu'être
conscient de notre mortalité nous n'arrivons pas accepter le monde.
L'auteur résume notre condition dans la phrase clé du texte,
"l'homme est un animal métaphysique". Nous sommes des
animaux mais des animaux conscient de devoir vivre ou mourir. Le terme
de métaphysique est ancien, ce fut le nom donné par un commentateur
d'Aristote à l'ouvrage d'Aristote, placé après la physique. Ainsi la
métaphysique un type de spéculation prétendant s'élever au dessus
des enseignements de l'expérience.
L'homme est un animal différent des autres car il exprime
le besoin d'avoir des explications sur le monde. Il est déchiré entre
le désir de vivre et celui de comprendre pourquoi il existe avec en
plus la menace grondante de la mort qui accroît sa crainte et
multiplie ses interrogations.
L'essence de la philosophie serait la connaissance des
choses de la mort, c'est à dire la conscience que la vie n'est pas éternelle
et la "considération de la douleur et de la misère de la
vie". Le besoin métaphysique et philosophique naît de l'alchimie
entre la menace de la mort et la souffrance que l'être subit tout au
long de sa vie. Ce mélange douloureux provoque chez l'espèce humaine
une soif de la compréhension du monde et la négation de la possibilité
que l'existence aussi dure soit-elle puisse ne pas comporter de sens.
L'homme souffre toute sa vie et pourtant il appréhende la mort.
La pensée philosophique et l'explication métaphysique
tente de donner des réponses aux questions qui harcèlent tout être
humain.
L'imperfection de la vie nous pousse à nous interroger
sur la raison de nos existences misérables et à chercher un sens à
un monde qui n'en a pas.
De la ligne 22 à la ligne 25, l'auteur conclut en
supposant que la vie soit éternelle et parfaite. Nous n'aurions alors
aucune raison de chercher un sens à notre existence puisque le seul
fait de vivre en serait un. Nous ne nous interrogerions pas sur le
pourquoi de la forme du monde puisqu'il nous paraîtrait parfait comme
ça. De toute évidence cette supposition montre que le problème vient
du fait que nos vies sont des vies de souffrance et que si nous etions
sereins, nous n'aurions pas à nous poser des questions sur le sens de
notre existence. "La mort est le génie inspirateur, le musagète
de la philosophie, sans elle on eut difficilement philosophé..."
(Schopenhauer) L'homme se sent étranger au monde et développe son
malaise dans des interrogations existentielles.
Comme le développe Sartre dans La Nausée, il ne trouve
pas de réconfort chez les autres et il ne peut donc pas trouver un
sens à la vie dans la communauté humaine puisqu'il est
fondamentalement seul. "L'homme sans aucun appui et sans aucun
secours et condamné chaque instant à inventer l'homme".
La théorie de Sartre rejoint sur un certain plan celle de
Schopenhauer, l'homme seul face au monde se replie sur la philosophie
et la métaphysique pour tenter de se rassurer. Sartre possède une
vision très pessimiste de la condition humaine et du monde, vision que
Schopenhauer n'atteint pas dans sa totalité. Les deux auteurs
soulignent le néant et la souffrance qui accompagne l'existence,
expliquant la naissance de la philosophie et de la métaphysique dans
la réflexion des hommes.
Schopenhauer pense que l'homme est destiné à souffrir
toute sa vie avec la conscience de se rapprocher chaque jour de sa
mort.
L'intérêt philosophique du texte de Schopenhauer est
donc d'expliquer la cause d'un tel besoin d'explication du monde chez
l'homme. La souffrance de la vie et la conscience de la mort nous
projette dans un sentiment d'absurdité et d'incompréhension. L'existentialisme
de Schopenhauer est une philosophie du désespoir, il a une vision très
pessimiste de la condition humaine qu'il souligne dans sa misère et
qu'il réduit à une attente douloureuse de la mort. Il établit un
contraste entre l'homme et les autres êtres du monde tout en leur
attribuant une existence.
Cette position s'oppose à la vision habituelle. Nous
avons tendance à n'attribuer une existence qu'aux êtres humains en
partant du principe que l'existence s'applique aux êtres capables de projeter
leur propre anéantissement, hors seul l'être humain est doté de
cette capacité.
Mais la définition de l'existence peut prendre un sens
beaucoup plus large s'en appliquant à toute chose qui possède une
forme et c'est la définition qu'utilise l'auteur dans son texte.
Schopenhauer a une vision pessimiste et absurde du monde.
Il présente la vie humaine comme perpétuelle souffrance accompagnée
d'une attente terrorisée de la mort. La recherche de sens au monde,
selon lui, restera vaine et il pense que nous devons prendre définitivement
conscience que le monde nous restera incompréhensible.
Il fait parti des auteurs existentialistes les plus
pessimistes et les moins humanistes car malgré le fait que l'existentialisme
nie l'existence de tout principe supérieur chez beaucoup d'auteurs
c'est en fait une doctrine optimiste qui déclare l'homme absolument
libre, seul responsable de lui-même. "L'homme n'est rien d'autre
que ce qu'il fait. Tel est le premier principe de l'existentialisme"
(Sartre).
La thèse de Schopenhauer sur la cause de la recherche
d'explication du monde comporte donc des limites dans le sens où elle
restreint la vie humaine à une accumulation de douleur et de
souffrance, ne voyant en la vie aucun aspect positif. Contrairement à
Albert Camus qui est aussi un philosophe de l'absurde il ne cherche pas
à faire réagir l'homme sur le néant de sa vie et l'obliger à vivre
sa vie avec passion, il se contente de présenter le monde tel qu'il le
conçoit dans toute son absurdité et son incompréhension.
Sa thèse est véridique, l'homme souffre de la conscience
qu'il a de sa mort et s'interroge sur le sens de son existence.
L'auteur met en avant l'importance de la métaphysique et de la
philosophie pour aider l'homme à accepter le degré d'absurdité du
monde. Si la vie était éternelle et paisible, personne n'aurait
recours à l'existentialisme et de façon plus générale à la
philosophie car ce sont les inquiétudes et les incompréhensions qui
nous poussent sur la voie de la réflexion.
Schopenhauer présente la philosophie comme une tentative désespérée
de comprendre la vie et la mort. La philosophie est une façon
d'assumer sa finitude, dans Le Phédon de Platon, Socrate semble en témoigner
de façon exemplaire, conversant une dernière fois avec ses disciples
avant de boire la cigüe, "ceux qui s'appliquent à la philosophie
et s'y appliquent droitement ne s'occupent de rien d'autre que de
mourir et d'être morts". Cette citation confirme l'idée de
Schopenhauer sur la solution de recourir à la philosophie pour se
rassurer et se préparer à sa mort.
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