L’énergie
spirituelle
Bergson a tout d’abord été frappé de ce que dans les équations mathématiques de la mécanique, le temps ne dure pas, il n’est que le décompte de simultanéités. Ce temps est étrangement une pure abstraction, alors que nous vivons en réalité dans un écoulement perpétuel de temps concret. Nous éprouvons une durée dont la science ne parle pas. La science escamote donc le temps pour rendre le monde prévisible, pour rendre disponible tous les événements. Mais si il y a bien une loi de l’expérience que nous ne pouvons écarter c’est que toutes les choses durent. « Si je veux me préparer un verre d’eau sucrée, j’ai beau faire, je dois attendre que le sucre fonde ».
Il faut entièrement congédier la vision scientifique pour rendre compte dans sa radicalisé du changement, il faut saisir le temps dans l’intimité de notre propre conscience. Il faut donc effectuer un retour sur soi, un mouvement ce réflexion, et ce que nous trouverons, c’est non pas une réalité permanente, comme celle du cogito cartésien, mais un moi qui est non pas une chose qui pense (le je pense), mais une chose qui dure, (le moi). Mais ce n’est pas une démarche facile, car nous sommes encombrés de représentations statiques parce que nous avons été habitués à vivre et à penser dans un monde matériel régit par des rapports d’espace, le monde que la science permet de planifier. Il faut une conversion de l’attention, vers le monde intérieur, parce que notre attention est habituée à demeurer dans le monde extérieur. C’est une habitude sociale qui a été renforcée par 1a vision scientifique. C’est la coïncidence intime avec l’expérience intérieure qui nous livre l’intuition de la durée.
A. Le temps retrouvé dans la conscience
Vivre pour une conscience c’est dérouler dans le temps la succession de ses idées, de ses sentiments, de ses impressions. Mais cela ne signifie en aucun cas qu’il y ait en nous un défilé d’état nettement distincts. Le temps réel coule, indivisible, sans ruptures « continuité mélodique où le passé entre dans le présent et forme avec lui un tout indivise, lequel reste indivise et même indivisible ». C’est comme un arc en ciel où chaque couleur se fond dans la couleur suivante, sans que l’on puisse tracer de limite précise. Le moi n’est donc pas éparpillé dans une diversité externe, le moi est un. Bergson reproche ainsi à l’empirisme d’avoir considéré le moi comme une association d’états distincts où il n’y a plus d’unité. Kant répondait à l’empirisme en montrant que le moi était une unité synthétique, mais transcendante et immuable, ou un lien s’imposant a l’éparpillement des atomes de conscience (le je transcendantal) . Bergson conteste aussi d’emblée qu’il y est des états distincts. L’unité du moi est immanente au courant de conscience, elle ne lui est pas imposée de 1’extérieur. Le moi roule dans le temps. Il est en perpétuel progrès. Ou plutôt, le progrès continu n’est pas dans la conscience, la conscience qui par nature est progrès, traduit en terme de la philosophie de Bergson, cela veut dire que le moi est durée. L’associationnisme mental reste à la surface du moi, et tel est le cas en général des psychologies matérialistes.
Mais une telle erreur est au fond naturelle. La vie sociale nous oblige à vivre à la surface de nous-mêmes. Elle nous impose l’usage du langage qui est justement d’abord un moyen d’analyser, de mettre une étiquette, de diviser le courant continu de la conscience. Notre moi de ce fait présente deux aspects : un moi superficiel qui est composé par l’extériorité, et y retrouve la multiplicité, moi tourné vers les autre, moi de conventions et d’habitudes. Mais la vie véritable n’est pas au dehors, elle est au dedans dans le moi profond, le moi fondamental qui est le sujet authentique de la durée. Au niveau du moi réel, le changement existe l’état pur, il n’est pas une abstraction commode.
Par conséquent, puisque la durée n’admet pas de coupure tranchée, de rupture radicale, cela signifie que le passé colle au présent, que l’avenir ne se sépare pas non plus du présent. Le flot du temps ne connaît pas d’arrêt. Cela veut dire que le passé doit demeurer quand le temps s’écoule. Il faut admettre qu’il demeure quand le temps s’écoule, qu’il demeure donc toujours la conscience portant avec elle la totalité de son passé. L’hypothèse de la durée aboutit donc à l’idée d’une mémoire intégrale qui est consubstantielle à la nature de l’esprit. » Qui dit esprit dit, avant tout conscience. Mais qu’est-ce que la conscience ? Conscience signifie d’abord mémoire...Si, à chaque instant , le passé s’anéantissait, la pensée s’anéantirait en lui. Le présent pur, c’est l’inconscience ». En effet, un présent abstrait serait dépourvu de conscience. Le véritable présent est une faible épaisseur de durée, celle d’un instant. Si tout le passé est conservé, cela tient à la naturelle temporelle de la conscience. Il suffirait pour le saisir que nous puissions nous retourner pour le saisir, c’est à dire que nous nous détournions des préoccupations du présent, où en d’autre terme, i1 suffit de rêver, car le rêve réalise parfaitement ces conditions. Il suffit de rêver au lieu de vouloir et aussitôt nous serons envahit par les images du passé. D’où l’interprétation Bergsonnienne du rêve comme manifestation du souvenir pur. Une faible part du passé reste donc d’ordinaire disponible, celle qui nous est indispensable pour les besoins de l’action présente. Cette portion est admise à franchir les bornes de la conscience, le reste est refoulé et devient l’inconscient. Ce qui vient conditionner l’appel du passé , c’est l’attention aux choses présentes, c’est au fond l’attention à la vie. Elle resserre le champ de la mémoire jusqu’à la faire coïncider avec un présent utile. La fonction du réel œuvre à chaque instant dans la conscience et son rôle pour Bergson est avant tout pratique, attaché à l’urgence de l’action.
B. Le temps de la liberté
La durée est d’autre part inséparable de l’avenir, c’est ce qui fait qu’elle est constante invention et changement. Elle est le jaillissement de la nouveauté. "Ainsi notre personnalité pousse, grandit, mûrit sans cesse. Chacun de ses moments est du nouveau qui s'ajoute à ce qui était auparavant. Allons plus loin: ce n'est pas seulement du nouveau , c'est de l'imprévisible". Aucun état ne peut être strictement identique au précédent ni à aucun de ce qui a été déjà connu, ce qui signifie que 1a vie est par conséquent par essence création. Elle est comme l’œuvre de l'artiste qui fait advenir le radicalement nouveau, ou plus exactement l'original. Vivre la vie signifie vivre cette création incessante de soi par soi, cela signifie la vivre en artiste. Notre vie est notre chef d’œuvre si nous habitons pleinement sa pure temporalité, et non pas si nous nous tenons au dehors. "Ainsi pour les moments de notre vie, dont nous sommes les artisans. Chacun est une espèce de création. Et, de même que le talent du peintre se forme ou se déforme, en tout cas se modifie sous l’influence même des œuvres qu'il produit, ainsi chacun de nos états, en même temps qu'il sort de nous, modifie notre personne, étant une forme nouvelle que nous venons de nous donner. On a raison de dire que ce que nous faisons dépend de ce que nous sommes; mais il faut ajouter que nous sommes, dans une certaine mesure, ce que nous faisons et que nous nous créons continuellement nous-mêmes...Pour un être conscient, exister consiste à changer, changer à se mûrir, se mûrir à se créer indéfiniment soi-même".
Or cette création de soi par soi, cette épreuve ininterrompue de changements qui fait advenir perpétuellement des formes du fond de nous même, qui appelle les créations imprévisibles a un nom: ce n'est rien d'autre que la liberté. Là où le destin est tracé par soi-même, la loi ou le déterminisme n'est pas imposé du dehors mais du dedans, là où aucune loi ne permet de prévoir ce qui adviendra, il y a une pure liberté. La liberté n'est pas séparable dans son essence de la liberté. Chaque fois que nous cessons de nous laisser pousser de l'extérieur à agir, chaque fois que l'acte vient du plus profond de nous-mêmes, nous revenons au dynamisme de la durée, et aussitôt, nous découvrons et nous affirmons notre liberté. Il nous appartient à chaque moment de notre vie de redevenir nous-mêmes, d'être nous-mêmes, c'est à dire d'être libre. Ce sont les naïfs qui croient que la liberté c'est « pouvoir faire n'importe quoi », que la liberté c'est l'absurdité. La liberté n'est pas un libre-arbitre, un pouvoir de faire ou de ne pas faire, ce n'est pas une sorte d'indifférence et de pouvoir de choix qui serait gratuit. La liberté n'est pas une hésitation et un choix entre des possibles, elle n'est pas située dans l'extériorité. Elle est plutôt la libération de notre préférence la plus intime, de notre plus originale préférence. La liberté est ma liberté d’affirmation ce n'est pas une liberté abstraite, celle qu'autrui aurait aussi indifféremment de mon moi propre. La liberté est une affirmation personnelle et individuelle. "Nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l'expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu'on trouve parfois entre l’œuvre et l'artiste". Mais la plupart du temps nous vivons hors de nous, dans le monde extérieur, nous ne trouvons pas cette vie qui consiste à se saisir et à se vouloir soi-même, la préférence la plus intime, de notre plus originale préférence. La liberté est ma liberté d'affirmation ce n'est pas une liberté abstraite, celle qu'autrui aurait aussi indifféremment de mon moi propre. La liberté est une affirmation personnelle et individuelle. "Nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils 1'expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu'on trouve parfois entre l’œuvre et l'artiste". Mais la plupart du temps nous vivons hors de nous, dans le monde extérieur, nous ne trouvons pas cette vie qui consiste à se saisir et à se vouloir soi même, nous sommes sous la tutelle , la dépendance, la dictature d'autrui et du monde extérieur. "Nous vivons pour le monde extérieur plutôt que pour nous-mêmes, nous sommes sous la tutelle , la dépendance, la dictature d'autrui et du monde extérieur. "Nous vivons pour le monde extérieur plutôt que pour nous; nous parlons plutôt que nous ne pensons, nous sommes agit plutôt que nous n’agissons nous-mêmes. Agir librement c’est se replacer dans la pure durée. La liberté c’est la durée qui se concentre et se tend dans l’action, c’est dons l’affirmation du Soi profond qui coïncide avec la durée.
Les déterministes supposent que l’esprit est conditionnés par ses propres états passés, ce qui signifie qu’ils admettent cette absurdité qu’il existerait des états séparés en nous qui s’entrechoqueraient les uns les autres et nous amèneraient a l’état présent. Mais cette séparation n’a jamais existé, je suis la totalité du passé du présent et aussi l’élan vers l’avenir dans un changement perpétuel. Si il n’y a pas d’atomes de conscience , il n’y a donc pas non plus de mécanisme mental: il faut remettre le mécanisme à sa véritable place, c’est à dire dans la matière et définitivement penser l’esprit comme esprit, c’est-à-dire comme durée. Il ne faut pas aller chercher la liberté dans le monde de la matière où se joue le jeu du déterminisme, il ne faut pas comprendre l’esprit comme matière, sinon on pourra jamais trouver une liberté, d’avance on l’aura rendue impossible. Le déterminisme est tout puissant quand il s’agit du monde matériel, mais il est parfaitement incapable d’appréhender la vie des consciences. Pour le dire autrement c’est un instrument que l’esprit fabriqué pour l’interprétation du monde des objets, il est inadéquat pour penser le monde des sujets. Si on pose le déterminisme comme un postulat, la liberté devient un scandale incompréhensible. Le jeu est pipé, on n’arrivera pas à la justifier. Or la liberté dira Bergson est un fait, aucun n’est plus clair. On n’a pas à demander la preuve d’un fait, il faut au contraire plier aux fait nos conceptions.
C. La relation de l’âme et du corps
Si la conscience est Liberté et durée, il reste qu’elle est aussi en relation avec un corps. Bergson rencontre le problème dans Matière et mémoire, et y revient dans l’énergie spirituelle. Il choisit de la prendre à partir du problème de la mémoire. Si les matérialistes ont raison, la conscience est un produit de l’activité cérébrale, ce qui signifie que le souvenir et la mémoire, qui sont liés à la conscience sont conditionnés par le cerveau. Les faits donnent-ils raison à cette hypothèse ? Bergson va montrer que non. Seule la mémoire habitude se prête à une explication matérialiste, il en est tout autrement du souvenir. On croyait que les souvenirs étaient localisés dans une aire cérébrale particulière, et l’expérience montre que non. Il y a des cas où l’amnésique retrouve ses souvenir oubliés, malgré la lésion cérébrale. Si vraiment ils avaient été stocké dans les cellules détruites, ils auraient été oubliés définitivement. En réalité la question de savoir où se conservent les souvenirs n’a pas grand sens, ils sont dans l’esprit, car la conscience est durée. La conscience signifie mémoire. Le cerveau est un instrument d’expression de la conscience, mais de toute façon, dès que la conscience est donnée, les souvenirs sont aussi donnés. Tout le passé se conserve et cette conservation est la conscience ou dans la conscience. Le cerveau est l’organe centralisateur de l’action, ce qui permet l’adaptation de l’être vivant à son milieu. Il est ce qui permet de resserrer le champ de conscience , il est l’organe de l’attention é la vie par ce qu’il est notre attention fixée sur la vie; et la vie, elle, regarde en avant; elle ne se retourne en arrière que dans la mesure où le passé peut l'aider à s'éclairer et à préparer l'avenir"(DS). La vie mentale déborde de beaucoup la vie cérébrale. Mais en ce cas nous pouvons aussi comprendre que , puisque la conscience n'est pas dépendante du corps, du cerveau, elle existe en quelque sorte pour elle-même: il est maintenant possible de dire que peut être elle est immortelle. Du moins cette possibilité n'a rien d'absurde. Elle est probable.
D. L’évolution créatrice, l’élan vital
Mais il faut aller plus loin et penser la durée dans un sens cosmique et non pas seulement dans notre cadre humain. Il y a dans la vie, telle que nous la retrouvons partout autour de nous, des signes de la conscience et de la durée. La vie apporte avec elle un "quelque chose'' de plus que la matière brute. La matière est pure nécessité, déterminisme, elle obéit à des lois fatales qui sont codifiées dans la physique. S’il n'y avait que le monde matériel autour, nous pourrions tout calculer tout prévoir: la matière est inertie , géométrie et nécessité. "Or, dit Bergson, "avec la vie, apparaît le mouvement imprévisible et libre. L'être vivant choisit ou tend à choisir." De là il ne reste plus qu'un pas à franchir :"la vie est précisément 1a liberté s'insérant dans la nécessité », insérant dans le tissu serré des phénomènes une part d'imprévisible, un jeu d'indétermination. Le monde matériel de la physique est bien comme l'avait vu Descartes une vaste machinerie où le déterminisme est la règle stricte. C'est aussi celui de la répétition sans nouveauté possible des mêmes causes et des mêmes effets. D'un point de vue strictement physique, on ne voit pas comment la vie a pu en sortir. Mais on peut comprendre comment la Vie reprend à son profit ce jeu du déterminisme: elle utilise l'énergie des substance matérielles ( comme des explosifs) pour libérer un mouvement. La nourriture c'est de l'énergie emmagasinée capable de se convertir en mouvement. De plus cette accumulation qui se détend dans un acte nous rapproche de l'expérience de la durée. La durée de la conscience est aussi perpétuelle accumulation du passé dans le présent et libération dans la préférence du moi . La durée créatrice se ramasse sur elle-même pour exploser en acte libre. Dès lors une extraordinaire hypothèse s'impose à nous : La conscience et la Vie ne serait-elle pas une seule et même réalité ? C'est ce que va découvrir Bergson.
Chez 1'être vivant se manifeste une possibilité d'indétermination, donc une attitude élémentaire de choix. Or qui dit choix, dit liberté de choix, capacité de l'orienter dans le sens de l'adaptation. Tous les éléments sont là en germe pour que nous puissions affirmer que la conscience est coextensive à la vie. Là où la Vie se manifeste, la conscience déjà se manifeste, tout ce qui vit pourrait être conscient. Par conséquent, tout se passe comme si, la conscience emprisonnée dans la matière la traversait soudain d'un immense élan, qui est l'élan de la vie, cet poussée devenant aussitôt la création des espèces. Un courant de conscience traverse la matière et s'épanouit dans une gerbe d'êtres vivants suivant un certain nombres de voies qui sont empruntées par la vie dans la formation des espèces.
espèces supérieures
espèces inférieures
EVOLUTION
ELAN VITAL : CONSCIENCE
La vie possède une histoire qui va des espèces les plus élémentaires du point de vue de leur complexité, vers les espèces les plus complexes, les plus évoluées du point de vue de la structure de leur système nerveux. IL y a aussi des branches qui se diversifient . Bergson compare l'élan vital à un feu d'artifice qui explose et retombe en gerbes pour se terminer dans une poussière de lumières. La retombée est très importante. La Vie réussit en créant une espèce nouvelle, mais sous l'influence de la pesanteur de la matière, il y a ensuite répétition sans net progrès. Les fougères que nous voyons sous les pins existent depuis des millions d'années, sans grand changement. L'empire de la répétition caractéristique de la matière reprend le dessus. Le geste créateur de l'élan vital se défait et retombe. La matière tend à défaire ce que la vie tend à accomplir. Toute espèce vivante représente au fond un compromis passager, un état d'équilibre. La mort, c'est ainsi, sur le plan biologique, la victoire de la matière contre l'élan de la vie. Mais dans le vivant il y a toujours victoire contre l'inertie. La conscience en entrant dans la matière a du abandonner sa légèreté, sa liberté absolue. L'existence du vivant est soumise à l'effet d'écrasement de la matière, comme il est le paradoxe de la manifestation de la liberté. Il y a une stagnation des espèces après leur création le long de l'élan vital. Mais au sommet de l'évolution la voie est restée ouverte car l’être humain dispose de la conscience de soi où l'élan vital pour la première fois dans l'histoire peut avoir pleinement conscience de lui-même. visiblement une force travaille devant nous, qui cherche à se libérer de ses entraves et aussi à se dépasser elle-même. Mais il faut tenir compte des obstacles de tout genre que cette force rencontre sur son chemin. "Visiblement une force travaille devant nous, qui cherche à se libérer de ses entraves et aussi à se dépasser elle-même L'évolution de la vie, depuis ses origines jusqu'à l'homme évoque à nos yeux l'image d'un courant de conscience qui s'engagerait dans la matière pour se frayer un passage souterrain, ferait des tentatives à droite, à gauche...Cette direction est la ligne d'évolution ; aboutit jusqu'à l'homme. La théorie de Bergson est donc nettement anti-matérialiste. La vie n'est pas une propriété de la matière. Le hasard n'explique pas l'évolution comme le pensent les néo-darwiniens. La direction constante de l'évolution exigerait un miracle renouvelé, le hasard ne peut donc pas présider à l'évolution. Ce qu'il y a de matériel dans la vie n'est pas exactement la vie , mais plutôt son négatif, une résistance à vaincre, un contrepoids à soulever qui n'explique donc pas le jaillissement créateur et la force. Expliquer la vie par la matière organique , c'est comme expliquer le tunnel par la montagne, le passage par un obstacle surmonté. Mais l'hypothèse de Bergson n'est certes pas une hypothèse scientifique, elle est métaphysique, et c'est en ce sens qu'elle permet d'éclairer les conceptions scientifiques elles-mêmes. L'évolution est par essence créatrice. Les formes que la vie crée de toutes pièces sont d'authentiques créations. C'est ce que le mécanisme se voit incapable de reconnaître car il ne propose qu'un enchaînement de causes et d'effets d'où la création est absente. Mais d'un autre côté, le finalisme, son opposé, reste aussi insuffisant, car il prétend que tout est déterminé à l'avance et doit atteindre un but précis. Dans les deux cas on supprime l'acte créateur de la durée, la part d'improvisation face à des circonstances matérielles que la vie a dû rencontrer . Le monde est donc bien dans son ensemble en devenir. La durée n'est pas un accident où une dégradation. La durée est création jusque dans la vie.
5. Intelligence et intuition
L'intelligence est pour Bergson la capacité de maîtriser le monde qui confère à l'action son efficacité. C’est elle qui nous rend maître et possesseur de la Nature", selon la formule de Descartes. Mais nous payons aussi la rançon de cette supériorité. L'intelligence, puisqu'elle dépend de la faculté d'agir, n'est en fait jamais désintéressée. Elle excelle à nous fournir des règles d'action, elle est utilitaire et pragmatique. Elle est en fait au service de la Vie, son instrument dans le long chemin de l'évolution. L'homo-sapiens, si fier de sa science est avant tout homo faber, l'animal fabricateur d'outils. La pensée de l'homme a été, et demeure, mécanicienne avant d'être spéculative, tournée vers l’action avant de 1'être vers la contemplation. L'intelligence a été donnée à l'homme comme l'instinct à l'abeille, pour assurer son adaptation à son milieu. On a reproché à Bergson cette réduction. Mais il ne faut pas oublier la théorie de l'intuition qui contrebalance cette analyse utilitaire de l'intelligence, l’intuition est en effet la contrepartie désintéressée de l'intelligence. Comme la main de l'homme s'est d'abord exercée à découper dans le monde des objets aux formes déterminées, l'intelligence dans notre vocabulaire l'intellect travaille elle aussi à découper, distinguer, c'est pourquoi sa forme propre est pat excellence l'analyse. Ainsi, pour comprendre le mouvement, l'intellect décompose sur une ligne une trajectoire, le mouvement se voir alors réduit à une série analytique de positions- Il est donc dans la nature de l'intellect de poser une discontinuité, 1à où par nature existe une continuité. L'essence du mouvement est en effet dans la continuité de son cours. L'intellect laisse échapper le mouvement lui-même. Les objets matériels sur lesquels l'intellect trouve s'exercer sont ainsi par nature dépendant de l’action. Ils sont posés comme stables, car l'action doit bien s'appuyer "sur du solide". L'intelligence se voit ainsi la servante de la matière et des besoins matériels de l'action. Elle tend par conséquent, à utiliser la matière, elle n'est pas faite pour comprendre. Elle doit d'emblée déformer ce qu'elle touche, puisqu'elle veut que transformer.
Il en résulte que l'intelligence, au sens du travail analytique de l'intellect, est en fait incapable de comprendre le pur changement mouvement pur, la vie et la conscience comme durée. Elle tend à tout analyser dans des oppositions infranchissables. Bergson n'en reste pas à cette critique qui nous rendrait incapable de comprendre vraiment la réalité (car ne possédant pas d'instrument adéquat) . Nous pouvons ne pas nous placer l'extérieur des choses pour les décomposer par l’intellect, nous pouvons entrer à l'intérieur des choses pour les comprendre par une sympathie spirituelle, et cela , c'est l'Intuition. L'intuition est la faculté de voir la chose-même en se transportant en elle. L'intuition nous livre ce qu'il y a d'unique dans les choses. Elle est la connaissance d'une individualité vivante. Au contraire, l'analyse de l'intellect tend à rendre une chose banale parce qu'elle la réduit à ce qui est déjà connu. L'intellect compose et construit de l’extérieure qu'il étudie, l'intuition par nature demeure dans le simple, elle pousse de l'intérieur la forme , le processus de changement de la chose.
En effet, pour Bergson, penser intuitivement, c'est penser selon. la durée, éprouver la durée originale de ce que nous voulons comprendre. On voit dès lors que la connaissance nous ramène à notre conscience. Il nous appartient d'élargir les bornes de notre propre conscience pour sympathiser avec tout ce qui est, c'est à dire pour tout comprendre. L'intuition ne nous enferme pas dans les limites du moi, ce n'est pas l'introspection, elle est la voie d'un élargissement de soi qui nous donne une participation intime avec l'être saisi dans son essence. Mais il ne faudrait pas confondre l'intuition avec un vague et obscur instinct. Revenir à 1'instinct, ce serait revenir à l'animalité et à l’inconscience, alors que l'intuition se meut dans la clarté de la conscience. De toute manière ce retour n'est guère possible à l'homme qui est avant tout un être complètement intellectualisé. L'intuition se comprend aussi comme poussée de création, ainsi nous comprenons un philosophe, quand nous sommes capables de retrouver l'intuition qui anime toute son oeuvre, l'intuition qui a été à l'origine de sa création elle-même. Au fond, tout grand philosophe cherche à communiquer une vision, et pour cela, il se fraye un passage au travers de la forêt des mots, en décrivant avec précision ce qui est en fait une intuition. Si bien qu'au fond, l'intuition n'est pas un état intellectuel, c'est en réalité une émotion presque esthétique de la réalité. Une oeuvre géniale jaillit d'une intuition géniale, à partir d'une unique émotion.
Mais comme le travail ordinaire de la pensée se fait dans le sens de l'intérêt de l'action, il en résulte que philosopher vraiment de manière essentielle consistera à intervertir le mouvement ordinaire du travail de la penser. Ne plus posséder, mais sentir. Il y a dans l'intuition un caractère d'ascèse, un élément de purification nécessaires à vis des habitudes ordinaires. La pensée ne s'approfondit que dans le dépouillement. Et ce travail est particulièrement important pour la philosophe car trop souvent, on se laisse prendre au piège du verbalisme, au travail d'abstraction de l'intellect. On voit donc que la philosophie de Bergson ne proclame pas comme celle de Kant que la réalité est à jamais inconnaissable. Elle est là près de nous et nous pouvons la connaître par intuition. Bergson fait la critique du relativisme désastreux de Kant. L'absolu n'est pas du tout hors de notre portée, il ne l'est que si on le situe dans un arrière monde, dans "la chose en soi" = X. Les catégories de l'esprit, les cadres de la pensée, ne sont en fait que des instruments commodes inventé pour les besoins de l'action. La science elle-même, découle du besoin qu'a l'intelligence de rester en contact avec la matière pour la transformer. Bergson en ce sens ne nie jamais la valeur de la science, mais il reste que la science ne nous permettra jamais d'atteindre la réalité, car elle ne procède pas de l’intuition pure mais de l'analyse de l'intellect. Le positivisme d'A. Comte part pourtant d'un principe très juste. Il est impossible de connaître au delà de ce que l’expérience nous révèle. Seulement, le positivisme, s'en tient à un concept arbitraire et restrictif de l'expérience. La métaphysique doit s'appuyer une expérience intérieure qui ne sera pas l'expérimentation extérieure de la science. Il manquait à la métaphysique la délimitation l'une expérience qui lui appartienne vraiment en propre. Bergson apporte a réponse: cette expérience, c'est l'intuition. Mais d'un autre côté, Bergson n'est pas tendre avec la métaphysique classique. Il lui reproche l'avoir pensée trop souvent "par systèmes", d'avoir construit d'abord me architecture logique dont la rigueur fait bien sûr impression, mais Bergson n'est pas tendre avec la métaphysique classique. Il lui reproche d’avoir pensée trop souvent "par systèmes", d'avoir construit d'abord une architecture logique dont la rigueur fait bien sur impression, mais qui ne rejoint que trop tardivement l'expérience. L'esprit systématique va des idées aux choses, alors que la méthode de la métaphysique positive doit aller des choses aux idées. Il faut sans cesse revenir aux choses-mêmes. Il faut poser tous les problèmes en terme d’expérience. La pensée de Bergson ouvre le chemin de l'expérience intégrale. A côté d'une science matérialiste est possible une métaphysique positive spiritualiste qui élargira les limites de la connaissance qui ouvrira l'avenir du destin de l'homme.
La dernière oeuvre de Bergson propose cette ambition dans une analyse de la société humaine, de l'aspiration de l'homme vers Dieu. La que société se présente comme un système d'impératifs moraux nécessaires. L’harmonie générale du tout qu'elle représente. l'obligation morale est d'abord ressentie comme extérieure, comme opposée à l'individu, avant de pouvoir être vraiment intériorisée. D'où a distinction entre la société close, où les membres se sentent séparés les uns des autres, et celle de la société ouverte où les hommes se sentent unis dans un tout. D'où les analyses de Bergson sur la différence entre la morale close ou morale d’obligation extérieure à laquelle je doit me plier "parce qu'il faut" et celle de la morale d'aspiration, une morale ouverte, qui ne place plus le devoir dans une soumission mais dans un élan d'affirmation de la vie. Bergson prend ainsi l'exemple des héros de la morale Socrate, Epictète comme typiques de la morale ouverte. De même, sur la question de la religion, il distingue une religion statique qui n'est que la morne répétition mécanique de rites dont on a perdu d’esprit, et la religion dynamique vivante dans son esprit dont la flamme est rallumée mais les mystiques.
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