Subversion veut dire
retournement dans le contraire. Par exemple, parler de subversion du langage
veut dire pointer du doigt les pratiques par lesquelles le langage est falsifié,
détourné de sa vocation à porter la vérité dans la communication pour répandre
le mensonge et la confusion. Parler de subversion de la morale,
c’est de la même manière pointer les
processus par lesquels la morale est retournée de fond en comble, de sorte que
son autorité est utilisée pour justifier le vice et la corruption. Et nous
pourrions continuer sur la lancée en évoquant la subversion de l’économie, du
pouvoir, de l’éducation, de la santé, de la vérité, de la religion etc.
D’ailleurs, ce que l’Inde désigne comme l’âge de l’ignorance, le Kali Yuga,
l’Age de fer, est précisément marqué par la subversion de toutes les expressions
de la vie humaine. On dit qu’alors le dharma se perd, qu’il y a une perte
des valeurs support de Vie. Inversement, le Sat Yuga, l’âge de
l’illumination, ou l’Age d’or est celui de la restauration du dharma, de
la plénitude des valeurs de la Vie.
Mais que dire du
droit ? Si on admet que le droit a pour fonction le maintien de l’ordre
social, son contraire se situe dans la promotion du désordre, de la violence et
du chaos. La subversion du droit achevée serait un état qui engendrerait la
violence civile. C’est insensé. On voit mal comment le droit pourrait produire
du chaos. Cependant, il faut quand même y réfléchir un moment. En effet, si le
droit devient un moyen de contrôle exercé sur le peuple par la caste dominante
par le biais des institutions, il peut servir le désordre, la violence et
l’oppression. Mais le droit n’a de
sens que parce qu’il porte l’exigence de justice, il ne peut pas être
uniquement la légitimation d’une police et c’est justement le fait d’user du
droit pour exercer un pouvoir sur le peuple qui constitue une subversion.
Nous voyons donc que
dans ce domaine encore il est tout à fait possible de parler de subversion.
Essayons d’être plus clair et plus précis.
En quel sens peut-on parler de subversion
du droit ?
*
*
*
Nous voyons que le
problème nous ramène invariablement à la relation entre le droit et la
force, relation qui a été amplement analysée par les auteurs classiques et
nous ne sortirons pas dans le cadre de cette analyse. Toute la question revient
à préciser les subtilités qui entourent la définition même du droit. En effet,
celui qui définit le droit jouit d’un pouvoir immense, car il définit la
norme et, par rapport à la norme du droit, tout ce qui est déviant est
« tordu ». Ce faisant, la pensée qui nous vient alors immédiatement à l’esprit
est que ce qui est tordu doit être redressé.
Même si nous
laissions provisoirement de côté le machiavélisme politique, il reste que nous
ne pouvons jamais éliminer le facteur psychologique de « il les croit juste »,
le facteur de la croyance et penser que la raison seule suffirait. Ce
n’est pas vrai. Tout ce que font les êtres humains est déterminé par leurs
croyances
qui en amont appuient leurs actes. La doxa est persuadée que ce qui
préside à l’élaboration de la loi, c’est le
bien commun, sa
première pensée est donc aussi que l’État veut forcément notre bien. Cependant,
elle n’y croit pas spontanément, comme s’il s’agissait d’une intuition, mais
parce qu’on lui a dit, par une culture et elle s’y repose ensuite
sans plus jamais poser de question. L’État veut notre bien et forcément les lois
qu’il promulgue sont pour notre bien. Terminé. Inutile de discuter.
Pascal dit encore dans les
Pensées que le doute sur la loi devrait être corrigé en disant au Peuple que
les lois sont supérieures, ainsi on doit y obéir comme on obéit à un
supérieur, non pas parce qu’il est juste, mais parce qu’il est supérieur ! Mais
attention, là encore le terme « supérieur » ne saurait exister sans la
croyance
dans la supériorité qui doit le précéder. Résultat étrange, d’un bout à
l’autre de la chaîne de nos relations juridiques, il n’y a jamais qu’une
fiction. C’est
la réalité. Mais elle est très inquiétante. Le pouvoir politique doit s’ingénier
à soustraire à la pensée commune l’idée que la loi pourrait relever de
l’arbitraire humain, …ce qui est effectivement le cas, pour lui laisser
croire qu’elle comporte une nécessité intrinsèque. Magique.
Surhumaine. Une sorte de majesté que sais-je ? Une nécessité
scientifique équivalente à celle des lois de la Nature. Ou bien, ce qui peut
encore davantage remporter l’adhésion, une nécessité religieuse. On
pourrait dire aux masses que les lois viennent… directement de Dieu. Tant qu’à
faire, quitte à chercher une légitimité, autant viser au plus haut. D’où
l’importance des crédos et cette prétention à vouloir légitimer la loi à partir
des textes sacrés. Un tour de passe-passe commun dans l’histoire. On peut tordre
en tous sens les textes sacrés et leur faire dire ce que l’on veut quand on veut
persuader que les décisions arbitraires humaines en sont l’émanation ! Pascal
très finement nous fait comprendre qu’en vérité,
la loi humaine n’est ni celle de la Nature, ni celle de Dieu. Ce n’est que par l’artifice de la croyance
qu’elle peut s’imposer. D’où l’uniforme et le cérémonial de la justice, il faut
en imposer pour que la fiction s’imprègne dans les esprits par l’imagination.
L’État réassure une fiction qui ne peut que rester une fiction et jamais
s’élever au rang d’une loi naturelle ou de la loi divine. Contrairement à ce que
les révolutionnaires ont voulu faire croire, la loi humaine n’est pas n’est pas
moins contingente que la coutume, elle l’est tout autant.
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© Philosophie et spiritualité, 2023, Serge Carfantan,
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