Qu’elle soit rêverie romantique, création artistique,
photographie, look ravageur pour magazine de mode ou design sophistiqué, toute
image est d’abord une
création mentale avant même de
s’imposer sur un support physique. Donc pas une simple reproduction, un
souvenir, encore moins un concept clair et distinct pour l’intellect, comme en
mathématique. Non, une image est un jeu avec les formes mentales. Nous tombons
dedans toutes les nuits dans l’état de rêve, alors les images s’animent dans une
remarquable et très élastique complexité, car l’imaginaire ouvre sur la toile
d’un monde. Toutefois, le monde onirique ne se déploie en rêve que sur un mode
hallucinatoire, sur le fond de notre
inconscience.
Remarque qui devrait attitrer notre attention.
Est-ce à dire que le saisissement de l’esprit par des images induit une sorte de
stupeur
qui le laisse comme interdit ? En même temps, n’est-ce pas le propre des images
de tirer l’esprit vers l’émotionnel en inhibant du même coup l’exercice de la
rationalité ?
Notre époque
a pourtant des vues très différentes sur le rapport à l’image. A écouter les
théoriciens de la communication, ils ont l’air de penser que l’on manipule les
images, comme on manipule des concepts ou que le rapport à l’image est pensé.
Mais ce n’est vrai que dans la théorie, pas dans les faits.
Dans un monde dominé par les
images, n’y a-t-il pas un risque de perte du sens critique ?
Le risque c’est que nous soyons manipulés par les
images au dépend de l’exercice de discernement de l’intellect. Le risque est
réel, mais est-il bien mesuré ?
* *
*
"Il faut se faire une raison :
nous vivons à l’âge de l’audiovisuel. La plupart des gens, les jeunes surtout,
lisent peu, retiennent mal, oublient de qu’ils ont appris à l’école et se
souviennent à peine de ce qu’on leur dit à la télé. Le mot recule davantage
chaque jour derrière l’image, et pas n’importe laquelle. L’image qui bouge e qui
parle, non comme dans les livres, comme dans la vie, celle-là, oui, on la
regarde. Les autres on les efface en appuyant sur un bouton ». Ce texte a été
écrit en 1978 ! Depuis lors, on ne peut pas dire que le monde ait changé, il
suit exactement la même logique, la même chose dans un processus implacable et dans une amplification
spectaculaire.
1) Commençons par
préciser une distinction. Ce dont nous allons traiter ici est
l’image effective
telle qu’elle peuple notre univers quotidien, il ne s’agit pas vraiment
d’une
image
mentale que notre esprit aurait élaboré, comme par exemple
l’imaginaire que se crée un enfant. Les images photographiques, les vidéos, les
affiches, les films du cinéma etc. sont des
objets
concrets que l’on saisit par la vue. Celles que
l’on
peut manipuler avec un logiciel, que l’on peut regarder dans un magazine ou
accrocher sur un mur comme un poster. Il y a différence entre les images que se
crée l’enfant en écoutant une histoire est les images
que l’on crée pour lui par le biais
de moyens techniques, car ce n’est pas son imaginaire, mais un imaginaire social
qui a été fabriqué dans sa direction par des moyens techniques.
De ce point de vue,
pour citer Jacques Ellul, il « n’existe aucune mesure entre les images des
sociétés antérieures et les nôtre ». Sculptures, peintures et images chez les
Grecs n’étaient pas un point d’arrêt obligé du regard et au Moyen-Age,
« L’immense majorité des hommes est exclue du jeu des
images, et ceux qui les possèdent n’en ont qu’une petite quantité, toujours les
mêmes ». Les tableaux et les sculptures des cathédrales rassemblaient
l’attention des chrétiens sur un récit qui exemplifiait la foi, toujours le
même. Il serait complètement absurde de projeter notre relation postmoderne aux
images dans le passé. Dans les sociétés traditionnelles, « le spectateur n’est
pas submergé, écartelé par ces images, qui au contraire concentrent son
attention…On ne pouvait absolument pas parler d’une civilisation de l’image,
aujourd’hui certainement ». La vue n’était pas obnubilée par des images, « la
vue s’adressait au spectacle naturel : l’homme n’avait d’autre image que celle
de la Nature, c’était le contact principal avec la réalité qui l’entourait ».
« Le seul spectacle de l’homme traditionnel était celui de la Nature, qui
précisément n’était pas un spectacle parce que cette Nature était la fois source
de la vie possible, et menace permanence contre laquelle il fallait se prémunir
». Nous vivons dans un univers de signalisation, de photos, d’affiches,
d’illustrations, de cinéma, de publicité, de télévision, à tel point qu’il faut,
pour
comprendre le monde actuel, s’incliner sur un prérequis : nous ne savons plus
penser en dehors des images… y compris les images de la Nature. Plus fort que « beau
comme une carte postale » : on dira aujourd’hui : « beau
comme une image Photoshopée » !
2) Impossible de nier
le rôle fondamental de la télévision dans la survalorisation de l’image et la
logique dont elle est l’autodévelopement. Or dans le déferlement d’images
qu’elle propose, la télévision possède un pouvoir d’adaptation extraordinaire,
« elle est agent de socialisation, au sens… d’intégration dans le corps social,
dans une collectivité » et pour tout dire, dans un système économique.
Ceux-là
même qui consomme de fait beaucoup de télévision, sont aussi des consommateurs
type. La première
forme d’identité sociale par excellence. La télévision est, non pas sous la
férule d’un système totalitaire qui accapare des organes presse, mais de par sa
nature comme média, un « agent
d’uniformisation et de
conformisation au monde ». Elle opère précisément dans le jeu des images
dans « le renoncement à être soi de l’individu ». Elle agit comme compensation.
Mais la fulgurance des images laisse étourdi a cet effet étonnant d’exclure le
sens, « La TV joue nécessairement comme un antisurréalisme, comme un décapant du
sens ». La télévision nous met dans
un état de passivité qui laisse satisfait : « « La TV drogue souveraine.
J’existe dans ce qui m’évacue » !
écrit Ellul.
Et ce n’est pas tout.
La télévision étale des « évidences » en images pour recomposer en toile de fond
une « réalité » sociale qui est la représentation d’un monde « normal ».
L’aspect fragmentaire des images, leur défilé constant, qui fait que le
consommateur est happé par les images, élude toute vision en profondeur,
et cependant, en en même
temps, la télévision recrée une cohérence.
A travers la télévision, « la société se fait voir comme un lieu
de rencontre d’images… la cohésion de ces images ne vient alors que d’une
interprétation de la société ». Il ne
faut donc surtout pas croire que l’image n’est que la projection devant soi d’un
fragment de réalité. « Elle n’est pas seulement une séquence que je suis
contraint de suivre. Elle est vraiment une
construction de la réalité ».
Ce n’est pas très facile, car cela exige une distance critique, mais avec
un peu d’attention, nous pouvons très bien remonter en amont des images, dans
les présupposés du discours qui les porte, dans les
croyances de base qui le soutiennent.
C’est vrai pour n’importe quel programme qui passe sur les chaînes et c’est
particulièrement flagrant dans les spots publicitaires, mais c’est la même chose
ailleurs. La conséquence suit : « par toutes ces voies, la télévision mais plus
généralement la multiplicité des images, participe fortement au contrôle
social ».
3) Passons maintenant
au domaine de la pédagogie. Personne ne conteste l’usage de l’illustration dans
un livre de classe. Nul doute qu’un enfant saisit mieux ce dont on lui parle
avec le support d’une image. Comment pourrait-on évoquer le style de Michel-Ange
sans montrer la chapelle Sixtine ? Comme faire comprendre la vie des serfs au
Moyen-Age sans recourir à des images d’autrefois qui offriront une impression
authentique ? Et ce qui est vrai pour l’histoire l’est aussi pour la physique,
la chimie et la biologie.
Cependant, fait notable, l’illustration a envahi tous les domaines, y compris ceux qui ne sont pas tributaires de l’image, comme la littérature, la philosophie, le latin. Même les dictionnaires se sont remplis d’images. Ce n’est pas tant que la pédagogie ait découvert les vertus de l’images, non, la vérité est ailleurs : « les élèves ne pourraient plus matériellement étudier sur des livres denses, mal présentés, sans illustrations, imprimés en petits caractères d’il y a un demi-siècle ». Ils sont en permanence sollicités par des images, celles de la télévision, des films, des jeux vidéo. Le résultat de ce qu’il faut bien appeler un conditionnement ambiant, c’est qu’ils ne peuvent rassembler leur attention qu’accrochés à des images. C’est une loi générale : « Il est presque impossible à l’enfant, mais aussi à l’homme d’aujourd’hui de fixer son attention sur autre chose que des images ». Donc : « si l’on veut enseigner, faire connaître quelque-chose, de nos jours, il faut, sans réticence, le représenter ; l’exprimer dans une photo, un schéma, une reproduction. L’explication est accablante, elle lasse l’auditeur, la parole ne retient plus ni l’attention ni l’intérêt. La connaissance aujourd’hui s’exprime dans des images ». Et la remarque vaut pour tous les domaines de connaissance. Jusque dans les années 50 l’image était l’illustration d’un texte dominant. Le discours était premier, l’image était là juste pour rendre concret le contenu du discours. Le rapport c
-------------- L'accès à totalité de la leçon est protégé. Cliquer sur ce lien pour obtenir le dossier
Vos commentaires
Questions:
© Philosophie et spiritualité, 2018, Serge Carfantan,
Accueil.
Télécharger.
Notions.
Le site Philosophie et spiritualité
autorise les emprunts de courtes citations des textes qu'il publie, mais vous devez mentionner vos sources en donnant le nom
de l'auteur et celui du livre en dessous du titre. Rappel : la version HTML n'est
qu'un brouillon. Demandez par mail la
version définitive, vous obtiendrez le dossier complet qui a servi à la
préparation de la leçon.