Questions et réponses sur la leçon
La contemplation esthétique


Rappel : les dossiers envoyés en pièces jointes sont plus complets que la leçon.


André Boucher
À mon avis, vous êtes en majeure partie à coté de la track, comme on dit chez nous (au Québec). Le plaisir n'est PAS une question de sens, c'est une expérience au niveau du cerveau. Le sens du toucher, comme celui du goût, de la vue, de l'ouie ou de l'odorat, n'est qu'une connexion
nerveuse vers notre cerveau. C'est là que tout se produit. N'avez-vous jamais entendu parler de la beauté d'un concept? D'une formule mathématique? Se faire divinement toucher par une personne qu'on aime peut être une expérience tout aussi exaltante que d'entendre une pièce de Bach. Goûter un plat qu'on a fait avec amour révèle les mêmes sensations et sentir l'odeur du parfum d'une femme qu'on a tant aimé transporte l'esprit en dehors du temps. Tout est une question de connotation émotive ou non pour ce qui est de l'amplification ou même du plaisir ressenti par rapport à un stimulus peu importe lequel. Je n'ai pas de formation musicale et pourtant je suis tout en émoi lorsque j'entend la 4è symphonie de Shostakovitch. Il y a des toiles modernes qui m'atteignent droit au coeur parce que l'ensemble des couleurs et des formes éveille en moi des émotions puissantes. Je n'ai jamais tenu un pinceau dans ma main! On ne connaît pas tout de la symbolique émotive des sons et des couleurs; ce n'est pas une justification pour faire comme s'il n'y en avait pas! Je crois que la neuropsychologie pourrait nous en apprendre beaucoup sur ce genre de sujet.

Aurore Foissac.
 Dans le texte de Kant sur le jugement esthétique, le botaniste est trop informé pour apprécier. Il perd la magie.

R. C'est un peu ce que veut dire Kant. Trop de savoir fait l'érudit et l'érudit remplace l'expérience esthétique par la réflexion intellectuelle. Kant s'en tient à montrer surtout que le jugement scientifique n'est pas un jugement esthétique et qu'il ne suffit d'en savoir beaucoup sur la rose pour la trouver belle. La beauté de la rose, comme le dit joliment Heidegger, est sans pourquoi.

Blanche Konrad.
C'est comme en art pictural. L'artiste, par son savoir, ou l'amateur d'art par ses connaissance en histoire de l'art, n'arrivent plus à regarder l'œuvre de manière neutre. Ils analysent. En analysant en permanence, ils cherchent à découvrir une norme. En fait, ils essayent de découvrir le "beau intérieur", qui touche aussi une certaine sensibilité.

R. On tient deux discours contradictoires sur les mérites de l'appréciation esthétique. D'un côté on dit, l'art est langage universel  compréhensible par tous, même sans préparation culturelle. C'est ce que l'on dit par exemple de la musique. Cela veut dire que la sensibilité esthétique de chacun peut-être touchée. D'un autre côté, on dit que l'art contemporain est difficile d'accès, théorique et que la théorie est nécessaire pour le comprendre. Mais dans ce cas, il va falloir inculquer la théorie à l'ignorant pour lui donner des clé, pour lui apprendre à apprécier. Mais alors, nous ne pouvons plus dire que l'art est universel parce qu'il parle à la sensibilité, parce qu'il parle à l'intellect avant tout. Ces deux discours sont contradictoires. 

Hélène Joie.
Sachant que c'est la réflexion qui prime, la théorie, pourquoi parler encore de beauté?

R. Oui, c'est bien la question. Comme beauté est un mot qui est à tort associé avec un idéal classique, beauté est un terme démodé. La beauté, c'est le passé de l'art. La beauté, c'est dépassé. Aujourd'hui le lieu commun en matière de jugement esthétique se résume ainsi  : "ras-le-bol des vénus languissante, des modèles féminins grassouillets de la peinture classique !! Vivre l'abstraction, l'expression libre, à mort l'art figuratif ! le figuratif, c'est moche". Remarquez, s'aligner sur cette opinion n'est pas très original, c'est le conformisme post-moderne dans les art plastiques. 

Coralie Larché.
Ce qui pose problème, c'est la définition de l'art.

R. La rigidité de la définition de l'art. Son caractère normatif. Dès que l'on fixe une norme, on trouve toujours un exemple d'art qui n'entre pas dans la norme.

Emilie Sièze.
L'évolution de l'art ne nuit-elle pas à sa compréhension? Les gens veulent du beau comme au temps de Léonard de Vinci. Ils ne comprennent plus l'art et l'œuvre d'art.

R. Ce qui veut dire que l'art est quelque chose qui ne parle qu'à ceux qui comprennent, son initiés, connaissent la théorie et donc ont la satisfaction de reconnaître ce qu'on leur a expliqué dans un livre dans le musée. Sinon, on n'y comprend rien. Il faut donner un sens à la production artistique pour se la représenter comme artistique et l'apprécier, ce qui veut dire comprendre l'originalité, le culot de tel ou tel artiste, par rapport à d'autres artistes. Comprendre la tentative expérimentale, la performance technique de A ou de B. Sans l'analyse théorique ce serait très difficile. La théorie est un préalable incontournable. 

Emilie Sièze.
On passe à côté de beaucoup de chose à partir du moment où on décide de ne retenir que le "beau" d'une oeuvre. Sachant que c'est la théorie qui prime aujourd'hui, le propre de l'art peut-il d'être beau? 

R. Si le jugement esthétique porte sur la théorie impliquée dans le projet d'un artiste, c'est sûr que de ne chercher que le beau sera assez décevant !

Nolwen Le Serrec.
L'art contemporain est petit pas pour l'homme, un grand pas pour l'humanité, et l'art actuel un pas de géant ! Il y a toujours du beau dans l'art contemporain. -

François Filior
     En premier lieu, je tiens à vous remercier pour votre site, qui apporte une aide précieuse dans "la quête de soi-même".Je vous écris pour vous poser une question ; cela concerne la distinction entre émotion et sentiment, et l'idée d'émotion esthétique : l'émotion esthétique ne peut elle pas relever aussi bien de l'émotion que du sentiment, selon la façon dont l'oeuvre a été produite ? De ce point de vue, on pourrait alors envisager un lien avec le fait que certaines oeuvres soient controversées (mode émotif) tandis que d'autres sont unanimement appréciées (mode sentimental). Si l'on file cette idée, on remarque d'ailleurs que la sensibilité à un beau paysage (coucher de soleil, désert, etc) relève plutôt du sentiment, et qu'une oeuvre faisant l'unanimité relève bien souvent du sacré (au sens large, c'est à dire de l'hommage à Dieu, ou un dieu, ou à la nature, etc...)

     R. La distinction entre émotion et sentiment ne passe pas d'abord par l'esthétique. Ce que j'appelle l'émotionnel, est le réactionnel accumulé dans le passé, qui reste très individualisé. Son impureté tient à la projection du mental dans l'objet. Le sentiment lui unit, il prend avec lui la passion d'un autre, il est purement passif et il vous traverse. Pour ce qui est de l'art, il peut provoquer les deux. il y a des oeuvres qui vous rappelle quelque chose dans votre histoire inconsciente et pour cette raison vous troublent. En musique, certaines oeuvre poussent très loin l'expression pure du sentiment, dégagé d'un émotionnel grossier ou sentimental. Je pense à Bach par exemple. Elles vous élèvent au-dessus de la conscience personnelle.

Jacques Deshaies
Bonjour,
Merci beaucoup pour l'inspiration. Artiste peintre.  Son Blog.

Joseph Essa
... Quant à la contemplation esthétique, s'il ne faut pas connaître l'oeuvre pour l'apprécier, alors l'artiste n'aime pas son oeuvre ? Le poète, qui a fait bien plus que décortiquer ses vers, n'aimerait donc pas son poème ?

R. Ne mélangeons pas le point de vue du spectateur et celui du créateur. Ce que le cours montre, c'est que la culture intellectuelle n'est pas vraiment une condition préalable pour apprécier une oeuvre. L'art a son propre langage, il est par nature populaire, s'adressant précisément à tous et pas seulement à une élite intellectuelle, parce qu'il s'adresse d'abord à la sensibilité. Sur le second point le rapport qu'à l'artiste avec  une oeuvre dont il accouche, comme dirait Platon, parfois avec difficulté, est tout de même assez différent de celui de l'esthète qui contemple l'oeuvre, mais se met aussi à l'analyser sous toutes les coutures. Bien sûr l'artiste a un rapport affectif avec ce qu'il crée, il peut aimer sa création comme son enfant. Un enfant de l'esprit selon Platon. Mais c'est amour n'a rien à voir avec l'analyse, c'est d'avoir réussi à pousser au coeur de la matière une expression et d'être arrivé à un beau résultat.

Chloé P.
Je viens de lire la leçon philosophique “la contemplation esthétique” avec le plus grand intérêt. Il m’a semblait y ai retrouvé une idée chère à Eckart Tolle : l’intellect est davantage un moyen qu’un fin en soi. C’est un instrument se montrant certes très utile mais cela reste un instrument dont il faut savoir se détacher pour voir la réalité “sans filtre”, de manière sensible et poétique. Il en s’agit pas d’accumuler des connaissances pour accumuler des connaissances mais de les utiliser à bon escient pour développer notre sensibilité.
       Voir les choses sous cet angle modifie le regard que j’ai sur la philo en général. La philo appartenant au domaine de la réflexion, de l’intellect pur ne serait également qu’un moyen pour développer notre sensibilité à l’égard du monde nous entourant ? Ou peut-on philosopher pour philosopher (démarche désintéressée) ? Étant étudiante en philo, j’ai pendant longtemps accordé une valeur suprême à la philosophie que je voyais surplomber toutes les sciences, ne se limitant à aucun objet, aucune méthodes.. Mais je la trouve maintenant bien pauvre à l’opposé de l’art (j’hésite du coup à me réorienter en école d’art). Philosopher sur le monde n’encourage t-il pas un penchant déjà bien trop présent dans notre société à s’identifier à son intellect, à voir le monde à travers lui ? Apprendre à voir le monde de manière philosophique en revient-il pas à s’enfermer toujours plus dans le mental et à se couper de sa sensibilité ?
       J’ai vraiment du mal à appréhender la place que doit avoir le mental dans notre vie. Doit-on s’en servir de la manière la plus restreinte possible, ou peut-on concilier une vie épanouie, équilibrée et artistique avec une activité intellectuelle importante ?Je sais que c’est possible et que les intellectuels et les philosophes ne sont pas des êtres désincarnés uniquement dans le mental (Montaigne était un fervent pratiquant de l’instant présent, Platon un sportif ..) mais je trouve ça contradictoire avec l’idée qu’il faut se désidentifier du mental.
       Désolée pour toutes ces questions, vous n’êtes bien sur pas forcé d’y répondre mais peut être pourriez vous me rediriger vers une leçon que vous avez déjà faite qui traite des mêmes thèmes.
Cordialement .

R. Vous mettez des contradictions là où il n'y en a peut être pas et en même temps, vous forcez le trait. Tout à fait d'accord avec le raprochement avec Eckhart Tolle. C'est l'idée majeure de la leçon.
     S'agissant de la place de la philosophie deux points importants: 1) Il est indispensable de clarifier l'énorme confusion qui règne dans le domaine de l'opinion. L'outil pour le discernement, c'est l'intellect. Très tutile dans ce sens et c'est un aspect important du rôle de la philosophie. Cela fait un bien fou de mettre au clair ses idées dans la pagaille ambiante. 2) l'aspect plus élevé que l'intellect, c'est l'intelligence et l'intelligence est intuitive (voir les leçons sur cette distinction entre intellect et intelligence). L'intelligence aime la vérité, elle se réjouit dans la vérité. Et bien évidemment c'est en philosophie que cet épanouissement est complet.
     Je suis désolé, mais dans l'état actuel des choses l'art n'est pas à la hauteur de sa vocation, il est devenu très cérébral!  Excessivement cérébral ! L'enseignement de l'art idem, de sorte que les crtiques que vous adressez à la philosophie, vous pourriez les pointer aussi sur l'avangardisme dans l'art!
      Il faut tout renouveler de l'intérieur, à la fois la philosophie à qui il faut redonner la sensibilité et la douceur intuitive et à la créativité artistique. Rien n'empêche de marier les deux dans sa propre vie. Philosophie plus peinture à côté ou + musique, + danse etc. Très bon pour l'équilibre. Etrangement l'activité vous renvoie constamment au spirituel. Quand vous êtes sur un court de tennis, il n'est pas question de tourner en rond dans le mental, mais d'être très présent, idem quand vous avez en main un instrument de musique! N'empêche qu'il est aussi important de ne pas laisser l'intelligence en rade.

 

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Avec la participation de Aurore Foissac, Blanche Konrad, Hélène Joie, Coralie Larché, Emilie Sièze, Nolwen Le Serrec, François Filior, Jacques Deshaies, Joseph Essa.


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