Dialogues et commentaires
sur la leçon: Les formes de la relation
Maude Dartier
. L'isolement peut aussi être imposé. Le condamné est "dans les quartiers
d'isolement". R. Oui, on peut donc différencier 1) l'isolement qui est imposé de l'extérieur, 2) l'isolement qui est le fait de notre propre activité égocentrique, isolement engendré par le repli sur soi. nous avons évoqué dans le cours les processus d'auto-isolement,
à partir du texte. Il est essentiel de cerner par quel mécanisme mental nous
ne venons à couper les ponts avec autrui, par nous replier sur nous-même
pour arriver à un moment à une situation insupportable où il faudra sortir
du bunker et retrouver les autres, sortir de l'isolement
psychologique pour renouer la relation.
Camille Dutertre
Q. On peut aussi chercher la solitude, comme l'ermite.
R. C'est un cas assez particulier, car ce n'est plus un processus inconscient, mais un choix délibéré, celui de faire une sorte de retraite hors du monde de l'action, se retrouver dans le silence, ce qui nous ramène à affronter notre solitude en face. Pour celui qui traverse une période de confusion, qui se sent oppressé par une vie pleine de tensions, le besoin de solitude a un sens. Il ne faudrait pas voir seulement dans le choix du reclus une sorte de fuite du monde. Tout le monde n'a pas forcément vocation à fonder une famille. La vie monastique a son sens. Elle suppose bien un écart avec le monde de l'action, ce qui ne veut pas dire quitter pour autant le monde. Personne n'est coupé du monde, nous vivons toujours dans le Monde, l'ermite comme le citadin actif.
Q. Quelle différence faire entre l'amour et la bienveillance?
R. La bienveillance est la moitié non-réciproque de l'amitié : veiller au bien de l'autre, tout en l'entourant d'affection, de telle manière à ce que le souci moral du bien soit équilibré avec l'amour que l'on porte à l'autre. C'est une situation assez unique qui se produit avec l'amitié car l'autre a vis-à-vis de moi des sentiments identiques. L'amour est le don de soi qui n'espère pas de retour, un épanchement du coeur sans que la mesure du devoir moral n'entre en compte. L'amour n'a que faire du devoir. Il donne et trouve sa joie dans le seul fait de donner. L'amour enveloppe en réalité le souci du bien de l'autre, mais de manière indistincte, en sorte qu'il n'es plus question d'équilibrer sagement respect et amour, comme dans la bienveillance. La bienveillance a un coté mesuré et distant. Elle garde en elle la distance du souci moral. N'êtes vous pas sensible à cette nuance "épouver de la bienveillance pour quelqu'un", "éprouver de l'amour pour quelqu'un"?
Yohann Lichlin
Q. Dire que la plupart du temps, nous n'éprouvons que de l'attachement pour les autres, c'est dire au fond que l'on n'aime personne non?
R. Le texte que nous avons étudié est assez sévère. Il procède à une discrimination assez fine qui nous reconduit à cette question de savoir si nous avons vraiment conscience de ce que l'amour représente dans toute sa profondeur d'abandon, de don de soi qui n'espère, n'attend pas de retour. Dans la mesure où nous trafiquons bien souvent avec les sentiments, où nous plaçons de l'affection en quelqu'un pour que cela rapporte (s'il se détourne de moi je le hais), il y a bien peu d'amour. Il y a pourtant des moments où nous aimons de tout notre coeur, de toute notre âme, où le flot du sentiment s'écoule sans rupture dans le don de soi. Aimer, c'est donner son amour de manière inconditionnelle et c'est quelque chose que nous avons tous connu.
Jessica Tisserand
Q. Dans le Banquet de Platon l'amour est présenté de manière plus positive.
R. Oui. Platon suppose que l'amour est là dès l'élan du désir qui porte l'amant vers l'aimé. Il marque alors une suite de degrés par lequel l'amour se sublime et prend conscience de lui-même pour s'achever dans l'amour absolu rencontré en toutes choses. Il est exact que notre texte de cours n'insiste pas sur cela, la présence de l'amour au fond de tout désir, de tout attachement, de toute poursuite du plaisir. Il repère surtout ce qui finit par recouvrir l'amour au point de le dissimuler entièrement et de le dénaturer. C'est l'analyse par élimination successive qui donne d'abord ce sentiment.
Magali Toursel
Q. Je trouve assez choquante la critique de la religion au sujet de l'amour dans le texte de K.
R. C'est vrai qu'il est question d'une exploitation religieuse de la souffrance, de la responsabilité du christianisme d'avoir idéalisé la douleur. Mais ce qui est en cause c'est peut-être surtout la contradiction entre un message religieux qui entend enseigner l'amour et qui devient comme religion organisé un instrument d'oppression. C'est justement ce qu'un esprit religieux sincère reconnaîtra immédiatement. Il y a l'éloge de l'amour dans le message des Évangiles et il y a aussi l'idéologie de la Sainte Inquisition, les guerres de religions. Je me demande si le Christ là Haut est vraiment content de ce que l'on a pu faire de son message d'amour ! Il a peut-être lui aussi une dent contre la religion !!
Caroline Bias
Q. Peut-il y avoir de l'amour sans jalousie? On ne va tout de même pas laisser faire l'autre sans rien dire!
R. Aimer, ce n'est pas chercher à emprisonner l'autre, lui interdire sa liberté, si c'est le cas, c'est un attachement qui devient vite étouffant. Cependant, dans la la relation amoureuse, il y a un moment où un jour on finit par passer contrat et se marier. A ce moment on fait serment de fidélité. Tant que l'amour est là, la fidélité est spontanée. Quand l'amour se retire, la fidélité ne tient plus que par devoir et elle devient un problème parce qu'on n'aime plus vraiment. Votre réaction est très juste de ce point de vue. Mais cela ne change rien sur le fond : quand on aime vraiment, on n'enferme pas l'autre. aimer c'est se réjouir de la présence de l'autre, la nourrir d'affection. ce n'est pas l'entourer de barbelés! N'avez-vous pas remarqué, quand vous êtes aimé à quel point vous vous sentez libre? Libre et enveloppé d'amour.
Magagli Toursel
Q. Est-ce que cela veut dire que l'attachement n'est jamais durable?
R. Exactement. L'attachement apparaît et disparaît. Il ne peut pas être durable. Par contre, si vous comprenez bien ce qu'est l'amour, si l'amour n'est pas le désir, n'est pas la passion, ni l'attachement, mais ce don de soi du cœur qui ne prend rien mais offre, alors vous comprenez que l'amour vrai est durable. Parce qu'il ne participe pas du temps du désir, de la passion, de l'attachement. L'amour est un don de soi intemporel.
Blanche Konrad
Q. Est-ce que l'on peut dire que la honte vient plutôt rarement des agressions que l'on reçoit, mais de l'enchaînement logique des regards qu'on envoie et que l'on reçoit? C'est exact?
R. C'est assez curieux de voir formulée cette idée d'enchaînement logique des regards, mais d'une certaine façon, cela conviendrait sûrement à Hegel qui est à la source de ce type d'interprétation domination/servitude. La honte, c'est le fait de se sentir très gêné d'avoir fait ceci ou cela qui n'est moralement pas très joli, d'avoir montré ce qu'il fallait caché (ce dont on a honte). Pour Sartre, ce qui importe, c'est surtout le regard chosifiant et la honte est une situation privilégiée où je deviens aisément objet devant le regard de l'autre.
Hélène joie
Q. Est-ce que dire "il est sympathique" et "j'ai de la sympathie pour lui" est différent?
R. Dans cette différence de point de vue est mis en jeu la position de l'ego. La première formule est détachée, elle peut-être l'expression vraie, spontanée du sentiment. Dans la seconde, l'ego prend partie par rapport à un "autre". C'est assez subtil, car si c'était "je le trouve sympathique", ce serait un jugement. Dans ce cas, ce n'est pas cela, c'est plutôt : je garde contre mon coeur un sentiment qui m'est cher, la sympathie que j'ai pour lui.
Blanche Konrad
Q. Est-ce que l'amour se transforme toujours en attachement?
R. Quand la pensée et le désir s'en mêle, c'est inévitable. C'est assez touchant de voir comme un amour, au début est réellement tendre, délicat, prévenant. Et puis vient le souci de se sécuriser en s'appropriant l'autre, pour capter son affection, alors arrive la jalousie, les reproches, l'empire sur l'autre et le toujours que contient l'amour naissant s'envole par la fenêtre, pour une étreinte dont on cherche à prolonger l'emprise. Le désir a gagné sa place. Cela ne veut pas dire que l'amour ait disparu, il est encore présent, mais une rigidité s'est installée.
Estelle Martinez
Q. N'est-on pas obligé d'éprouver de l'attachement quand on aime? Est-ce toujours destructeur de s'attacher?
R. Qui oblige? Qu'est-ce qui oblige? Ce qui vous inquiète en fait, c'est que vous pensez que si il n'y a plus d'attachement, ce serait l'indifférence, l'irresponsabilité. L'autre risque de me quitter, je vais me retrouver seule, je vais souffrir etc. Donc, je me dis que certes l'attachement est un péril, mais mieux vaut le conserver, plutôt que cet autre péril qu'est la liberté de l'autre. Si il est solidement attaché, si je suis solidement attaché, alors au moins, il y aura une sécurité affective. L'amour qui donne dans la liberté, cela inquiète.
Alice Marvier
Q. Un simple attachement peut-il se transformer finalement en véritable amour?
R. La question posée de cette manière présuppose que dans l'attachement il n'y a pas d'amour. Ce n'est pas ainsi que le sentiment se développe. L'amour est sous-jacent à l'attachement. Il est toujours présent au fond, mais il s'est couvert d'une structure liée à l'ego et à sa volonté de s'approprier. L'attachement voile l'amour et finit par le défigurer. Voyez à quoi on aboutit dans les faits divers : "je l'au tué parce que je l'aimais trop et qu'elle voulait partir avec un autre"! C'est terrible, mais même dans ce cri, il y a au fond de l'amour, de l'amour blessé et tellement de souffrance, de maladresse et d'ignorance. Pathétique.
Lisa Quillac
Q. Peut-on s'aimer soi-même sans aimer les autres?
R. Cela s'appelle l'amour-propre non? C'est ce que nous faisons le plus souvent en vertu d'un caractère assez banal de l'ego qui est l'égocentrisme.
Victor Moreau
Q. Est-ce à dire que qu'on n'aime pas les autres revient à dire qu'on ne s'aime pas soi-même?
R. Il y a quelque chose de juste dans cette formulation. Quand on s'est accepté intégralement, on peut s'aimer soi-même et quand on peut s'aimer soi-même sans que cela soit de l'egocentrisme. Et on est capable d'accepter les autres tels qu'ils sont et de les aimer.
Géraldine Prema
Q. Qu'est-ce qui fonde l'intolérance?
R. L'incapacité d'accepter la différence pour ce qu'elle est, une diversité naturelle et l'exigence qui voudrait toujours corriger le monde, pour le mettre en adéquation avec notre représentation.
Gilles Bourichon
Il me semble que l'amour a une respiration que vous touchez du doigt à
l'évocation de la difficulté que Kant soulève à propos du respect et du
désir (contraires). N'y a t-il pas à introduire un devenir à l'amour, le
mettre en perspective et lui donner la mesure du temps au sens du rythme et
de la mesure musicaux ? R. C'est une jolie
métaphore. Bergson l'utilise dès qu'il parle de l'intériorité. Elle est très
juste. - Question: Que dites vous de la
différence entre aimer et vouloir-aimer ?
R.
L'amour n'est pas une question de volonté mais de coeur. Vouloir-aimer, cela
ne veut rien dire. L'amour est au présent, pas dans un futur.
Pierre Hassler
Je m'appelle Pierre, un adolescent de 17 ans et je voulais dire bravo à
toute la rédaction pour le travail minutieux effectué. J'aimerais également
commenter la partie de cette leçon consacrée à l'amour ; vous avancez qu'une
personne amoureuse est comparable à "une fleur qui offre son parfum sans
calcul", ensuite "libre à nous de le respirer ou de s'en détourner". On ne
peut nier l'aspect poétique de votre interprétation quant à la nature de
l'amour, cependant il me semble qu'elle ne tient pas compte de l'ambivalence
et de toutes les ambiguïtés inhérentes au genre humain. L'amour que vous
décrivez me paraît être un amour idéalisé, ne laissant guère la place aux
diverses "impuretés" et imperfections humaines. Je ne cherche pas non plus à
nier l'amour puisque étant en quelque sorte l'essence même de la vie ; nous
sommes attirés par la personne aimée à l'image des papillons le soir qui
volent imprudemment vers la flamme de la bougie sur laquelle leurs ailes
s'embrasent douloureusement... Le papillon qui se précipite vers la source
de lumière n'espère faire qu'un avec cette dernière, il se donne à la vie
comme nous nous donnons à l'amour. Ceci implique que le don de soi ne peut
être dissocier complètement d'une certaine douleur s'il n'est pas reçu par
la personne aimée et partagé. L'amour est un échange entre deux êtres
humains, pas une voie à sens unique. Je suis en désaccord avec le fait
d'attacher des boulets aux pieds de la personne aimée, il faut pouvoir
répondre à l'appel de la main tendue sans avoir peur de s'en retrouver
menotté.
Jason Kiladi
Q. Le désir de reconnaissance est-il par nature conflictuel? Le conflit met la
conscience dans une dualité et une extase telle qu'elle n'est plus qu'une
chose jetée en pâture au regard. Le désir de reconnaissance est désir d'être
reconnu pour ce que je suis. Le désir de reconnaissance structure un rapport à
soi qui est faussé dés le départ parce qu'extatique, le désir de
reconnaissance est une sortie de soi dans une représentation de
soi-même or c'est justement ce qui fait problème. Seul avec moi-même j'ai si
peu le sentiment d'exister qu'il faut que l'on me regarde, que l'on me
considère que je me sente reconnu par un autre.
R. Alors c'est un problème de valeur.
Qu'est-ce que je vaux? Il me faut le demander à un autre? Ne peut-on inverser
votre formulation et dire que si je me sens seul, au sens de l'isolement,
coupé de toute relation, c'est que je ne me sens plus vraiment exister? Vous
ne répondez pas à la question du conflit. Vous ne posez pas le problème de la
demande. C'et un terme de psychologue. LE désir de reconnaissance est
caractéristique d'un être en demande à l'égard de l'autre. La question posée
interroge sur le lien entre cet état de demande et le conflit. Est-ce que le
fait d'être en demande, ne veut pas nécessairement dire en attente de quelque
chose? Et si j'attends de l'autre qu'il réponde à ma demande de
reconnaissance... je suis souvent déçu. D'où la colère. D'où la frustration de
ne pas se sentir reconnu à sa juste valeur... Ce que j'exige
impérativement pensant que c'est tout à fait justifié. Les autres doivent
répondre à ma demande de reconnaissance. Et s'il ne le font pas, ils méritent
ma colère. Et cela commence avec les parents! Cela continue avec les profs et
avec les employeurs. Oui ou non?
Avec la participation de Maud Dartier, Camille Dutertre, Yohann Lichtlin, Jessica Tisserand. Magali Toursel, Caroline Biais. Blanche Konrad. Hélène Joie, Estelle Martinez, Alice Marvier, Lisa Quillacq, Victor Moreau. Géraldine Perna,
Gilles Bourichon. Le site
Philosophie et Spiritualité accueille ici des contributions suite à la
lecture de la leçon, il ne traite pas un sujet de dissertation.
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