Questions et réponses pendant le cours
Raison  et folie


Lisa Quillac
L'homme pourrait-il être fou à son état naturel? La folie peut-elle être innée?

R. Dans votre question, il y a deux problèmes : dans quelle mesure la folie est-elle naturelle? Et la folie a-t-elle un fondement biologique de caractère héréditaire de sorte que le fou naisse fou. Sur le premier point, il serait possible de dire que l'on ne naît pas fou mais qu'on le devient, en prenant le terme sous la forme d'une déviance. Sur le second point, il existe certaines pathologies qui sont liées à des anomalies héréditaires. Par exemple, celle liée aux troubles du mongolien. Il me semble que le plus important, c'est de mettre l'accent sur l'origine traumatique d'un trouble qui installe un comportement inadapté. Dans la mesure où un trouble est lié à un noeud psychique d'une expérience mal assumée, il doit être possible d'aider et de soigner.

Lisa Guerrero
Peut-on vraiment soigner la folie? Par quels moyens?

R. Oui, il est possible de soigner et il existe des thérapies. Il est vrai que placer une personne sous anti-dépresseurs, sous anxiolytiques ou prozac ne résout pas un problème, mais lui permet seulement d'avoir une vie plus facile, de moins être sous l'emprise d'affects. Il semble que la double approche est nécessaire, à la fois soulager la souffrance avec une aide médicamenteuse et agir en permettrant au sujet de dénouer en lui ce qui reste crispé et se manifeste par un trouble. Nous sommes à une époque où beaucoup de thérapies sont proposées, avec un succès relatif certes, mais nous avons une compréhension plus précise et une approche tout de même plus complète. Il reste qu'avec les troubles mentaux nous sommes devant une difficulté considérable, car rien ne saurait être fait sans la participation active et volontaire du sujet, ce qui n'est pas une mince affaire. Il est quasiment impossible d'aider une personne qui ne veut pas s'en sortir.

Victor Moreau
Peut-on être conscient de notre folie? Celui qui est fou se sent-il "normal"?

R. Pour être conscient que quelque chose ne va pas, il est important d'avoir une compréhension approfondie de l'esprit, du jeu des émotions, du travail du mental, sinon on est pris au piège par ses constructions. Sans cette connaissance psychologique, on prend pour "normal" un état qui est en fait un déséquilibre et les processus inconscient font que la personne ne se rend tout simplement pas compte de son trouble, ou elle tend à se se cacher. On peut considérer que vivre dans une peur constante est "normal", tout simplement en vertu de l'habitude et de l'opinion selon laquelle c'est le cas de tout le monde. Il reste pourtant que c'est un déséquilibre et il faudra bien en prendre lucidement conscience.

Marie Fischer
Doit-on enfermer les "fous" dans des chambres capitonnées? Est-ce que ce genre d'endroit n'aggrave pas plutôt leur cas? Faut-il également enfermer les gens qui ne se conforme pas au sens commun dans des hôpitaux, sorte de prison, voir de ghettos? Est-ce pour protéger le monde extérieur? Les hommes dit "normaux" des hommes dit "fous"?

R. La critique est sévère. Mais elle a une pertinence. Aujourd'hui, l'utilisation abusive de l'internement est tout de même bien plus faible que cela n'a été le cas par le passé. Sauf en régime totalitaire. Cette procédure est extrême et elle vise surtout à protéger une personne du mal qu'elle pourrait se faire à elle-même et aux autres. Elle est seulement requise pour des cas de démence avérée. D'après ce que nous avons vu en cours, le principe de l'enfermement est de toute manière contradictoire. La personne qui souffre d'un trouble s'enferme déjà assez comme cela. Lui permettre de déplacer son attention vers l'extérieur, de rencontrer des personnes, de voir autre chose est très sain. Le simple fait de la promener dans un parc avec des arbres est certainement plus sain que de l'enfermer. C'est bien ce que dit Ronald Laing. Mais il y a une limite de tolérance sociale dans le comportement et une limite morale dans la violence. Votre argument a une force. C'est en fait celui de Michel Foucault. Il est important qu'une société accepte la présence des malades mentaux et il est bon que le malade ne soit pas mis à l'écart.

Lisa Guerrero
La folie se manifeste-t-elle malgré l'individu ou est-ce l'individu qui la développe?

R. Ce qui advient malgré le contrôle que le moi exerce sur lui-même, c'est l'empire des forces inconscientes qui finit par retourner la conscience comme un gant. Il serait naïf de ne pas en tenir compte et de croire que le fou se joue une petite comédie qu'il pourrait cesser, alors qu'il subit bien quelque chose. Cependant, l'inverse est tout aussi excessif, rien ne se produit en moi sans que j'y prenne part en quelque façon. Autour de l'histoire personnelle, des noeuds psychiques du passé, les puissances liées au refoulement viennent se manifester et prennent un caractère systématique. Il me semble que la première chose à dire à celui qui souffre ainsi, c'est qu'il est intérieurement plus fort que son trouble, parce que fondamentalement le trouble se situe dans la pensée et que je ne suis pas la pensée. Si je peux cesser de m'identifier au flux des pensées, il est tout à fait possible qu'un changement radical se produise.

Claire Balerdi
 Est-on fou quand la pensée tourne autour d'une seule chose "suis-je fou"? Est-ce une folie que d'avoir peur d'être fou, à en devenir fou?

R. Ce qui cause le trouble, c'est la peur et ce qu'elle engendre. Si je me laisse prendre par la peur et que je tricote des pensées en me laissant emporter par l'émotion, cela va aller mal!! Le fait de rester fixé dessus est caractéristique. Mieux vaut planter là tout de suite une pensée qui s'affole ainsi et la laisser suivre son cours sans partir avec.

Lisa Guerrero
Q. Si le fou arrive toujours à trouver ses propres justifications, peut-on dire qu'il ne doute jamais, qu'il est constamment sûr de lui? Est-ce là la source même de sa folie?

R. Il est intéressant de noter que ce que vous dites là s'applique à la fois à la pensée obsessionnelle et au fanatisme. Il y a dans cette pseudo-assurance tirée d'une sorte de pensée hallucinée un piège en effet. Il est important que l'esprit puisse déposer ses certitudes et accepter de vivre dans l'inconnu. Je ne dirais pas exactement le doute, car il y a aussi une pathologie morbide du doute. Mais c'est vrai que celui qui est capable de suspendre ses constructions mentales a certainement l'esprit plus clair que celui qui s'auto-confirme en permanence dans une fixation (jalousie, complot, menace etc.).

Raphaëlle Delaunay
 Descartes a dit "je pense, donc je suis", mais vous dites que je ne suis pas mes pensées. Quel est alors le vrai caractère de la pensée? Son rôle.

R. Cette méprise sur le sens profond de l'intuition de Descartes est analysée dans le cours ci-dessus. Je suis est plus fondamental que je pense. Ce que nous disons est en effet scandaleux ! Pas cartésien. Mais c'est exactement ce que dit Rousseau ! Le sentiment pur de l'existence sans pensées. La véritable nature du Sujet est en-deçà du phénomène de projection des pensées. Nous disons dans le cours le Témoin. Le je suis est présence à soi et cette Présence ne doit rien au défilé des pensées. Cela n'enlève pas à la pensée son importance, c'est une façon de la remettre à sa juste place. La pensée a sa place quand il s'agit de raisonner, de planifier, d'organiser. Elle a sa place comme expression de l'intelligence. Je dis bien expression, pour sous-entendre que l'Intelligence est plus fondamentale que la pensée.

Aurélie Escola
S'il est question de ne pas écouter ses pensées, puisqu'elles sont sensées ne pas être nous, n'est-il pas alors aussi question de renier son identité reflétée dans ces mêmes pensées?

R. La pensée m'appartient. Elle n'est pas ce que je suis. Et c'était justement une très bonne chose de laisser cette identité façonnée par la pensée? Pour m'autoriser le droit d'être différent ! Il n'y a rien à renier de toutes façons, si je ne suis pas les pensées !!

Victor Moreau
 Le fou qui prétend être fou... l'est-il? Enfin, est qu'un fou peut-être persuadé, à cause des médecins, des autres patients, qu'il est fou, et même le reconnaître en restant toujours fou?

R. A force de se persuader que je suis vraiment bon à rien... je finis par le devenir ! Je finis par m'en convaincre. C'est un jeu mental.  Ce que nous disons, c'est qu'il nous semble important de dire à la personne qui est dans le trouble mental : fondamentalement, vous n'être pas folle du tout. La folie est dans la pensée, mais la pensée n'est pas vous. Vous êtes piégée par vos pensées et du coup, sous l'empire de la folie qui y règne. Si vous pouvez comprendre lucidement les mécanismes de votre propre pensée, vous allez cesser de vous y identifier. Vous allez passer au travers. Si je prends conscience radicalement du désordre qui règne dans mon esprit, je m'en dégage immédiatement.

Marie Fischer
 La folie tourne-t-elle uniquement autour d'une seule chose? N'est-ce pas faire une fixation sur tout et n'importe quoi et se retrouver dévoré par les raisonnement que l'on obtient? Un fou, n'est-il pas, parfois, quelqu'un qui a tout compris, mais qui ne peut le supporter? C'est du moins ce que certains pensent d'eux-mêmes.

R. Cela fait deux questions complexes. Il me semble que, très concrètement, il y a dans les troubles mentaux très souvent une fixation liée à des noeuds psychiques de l'expérience passée. J'ai vécu un drame de l'abandon et je ne l'ai pas accepté. Alors ma pensée y revient, y revient. Il y a une blessure intérieure qui n'est pas guérie en moi.

Pour ce qui est de la seconde question, je pense que croire que le fou "a tout compris" est une formule excessive. Il n'est pas exclus pourtant qu'une personne ait une vision pénétrante d'un aspect dramatique de notre existence. Mettons les contradictions dans lesquels nous vivons. Et qu'elle en ait été profondément choquée au point de ne pas parvenir à l'intégrer. Mais c'est une prise de conscience partielle. Ce n'est pas une lucidité continue.

Alice Marvier
 Pourquoi la folie, aujourd'hui, constitue-t-elle une mode? A l'inverse du XVIIIème siècle, on en parle sans cesse. Pour se rassurer? Mais les gens qui pètent les plombs sont de plus en plus nombreux. Malgré une sensibilisation excessive, personne ne veut comprendre et on finit par rejeter un cas concret. Cela sert alors à quoi de faire de beaux débats?

R. Parler de la folie en général, en faire une mode, n'a rien à voir avec la comprendre en nous, de manière intime. C'est de l'ordre d'une opinion vague. Le "on" prétend connaître la folie, comme il prétend connaître la mort. En réalité, comme dirait Heidegger, il se dérobe devant cela même qu'il prétend reconnaître. Il est par contre beaucoup plus subtil et intéressant de considérer l'affolement de notre pensée et de regarder de très près comment elle se produit. Cela nous permettra d'accorder bien plus d'attention à ceux qui en souffre, parce qu'ils n'y comprennent rien. Il est important de jeter sur ce monde fou qui nous entoure une regard sage et aimant.

Thomas van der Straten Waillet
Vous parlez des fous et de la raison. Bien. Mais qu'en est-il des dits "déficients mentaux". Je me base içi sur le cas de ma fille Lorena de 18 printemps, déficiente sévère au niveau intellectuel et heureusement moindre au niveau affectif, sans diagnostic.

 L'Homme de la philosophie est toujours normal, et la réalité aussi (à part les phénomènes de l'illusion etc...). Mais ma fille est réelle et est dans notre monde tout en le connaissant comme seulement elle-même le connaît. (quoique...)  Il n'y a pas de rapport avec la raison dans ce cas-ci. Il ne faut pas le chercher.   Il y a un "être" qui est le nôtre (normalité) et paradoxalement le sien (anormalité). Et ils convivent parfaitement, tout en étant absolument insaisissables et incompréhensible l'un pour l'autre.

      Certains prétendent qu'il s'agira d'une autre "manière" d'être, ou de "vivre dans un autre monde"(??)....Je prétends, moi, qu'elle est comme elle peut être, tout comme chacun de nous. Et que la réalité est avant tout (Xavier Zubiri). Je ne me rappelle malheureusement pas de la citation exacte, mais "nous sommes dans la réalité comme le coeur est dans le corps"... Cependant, c'est un thème qui pourrait être passionnant, et qui me manque dans votre texte. J'aimerais beaucoup pouvoir lire un jour (qui sait si je n'essaie pas de l'écrire moi-même plus tard) un essai sur ce sujet. Nous poser sérieusement la question de l'être depuis la différence. (Je n'utilise pas le mot "être" sinon comme infinitif dans tout le texte, c'est aussi un sujet intéressant d'ailleurs)

 

Avec la participation de Lisa Quillacq, Claire Balerdi, Lisa Guerrero, Raphaële Delaunay, Aurélie Escola, Victor Moreau, Marie Fischer, Alice Marvier. Thomas van der Straten Waillet.


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