Questions et réponses pendant le cours
La raison et le sensible


Alice Verland
La vraie couleur de la fleur est différente suivant celui qui perçoit la fleur.

R. Il faut aller encore plus loin. L'idée de "vraie couleur" qui existerait indépendamment du sujet est une absurdité. La vraie couleur ne veut dire que la couleur que je perçois mieux en m'approchant, alors que peut-être de loin je n'avais pas bien vu. Elle suppose un observateur. L'abeille ne voit pas les mêmes couleurs, elle est sensible de manière différente de moi. Ce qui me semble "objectif" dans ma vision n'a qu'un sens : valide pour tous les autres hommes qui ont le même appareil sensoriel que moi et voient donc les mêmes choses (et ont aussi la même culture). Consensus d'expériences subjectives qui fait ce que l'on appelle une expérience objective.

Alice Verland
Le scientifique qui voit la table comme quelque chose de complètement vide suppose aussi une sorte d'expérience sensible. 

R. La question est de savoir comment je peux accorder l'expérience sensible qui est la mienne et le concept de vide de la matière. Dans l'état de veille, le monde sensible qui est le mien est un rapport à des choses que je pose tout naturellement comme réelle et extérieure à moi. Dans l'état de veille, la table est froide, dure, résistante. Si le physicien suppose qu'à une niveau subtil, la matière est faite de vide, qu'elle n'est qu'un fonction d'onde, il faut encore que cette spéculation se rattache à une expérience possible. Effectivement, il y a des expérimentations, à travers les dispositifs de la physique nucléaire, qui permettent de confirmer l'hypothèse d'une matière qui ne serait que champ d'énergie vide. Auquel cas, je suis obligé de dire qu'au niveau macroscopique qui est le mien dans l'état de veille, je vois la table dure, froide, solide, mais qu'au niveau le plus fin de la matière, il n'y a qu'un champ unifié d'énergie. Celui-ci entre dans l'observable  dans l'expérimentation, mais de manière indirecte. 

Alice Verland
C'est assez curieux que le point de vue objectif viennent à parler de la Vacuité!

R. Comme si l'approche objective de la connaissance en théorie quantique venait à rejoindre l'approche subjective de la connaissance dans le Vedânta  et le bouddhisme. ! Cette convergence est tout à fait remarquable. La Vacuité de l'Absolu selon de Vedânta est une intelligence dynamique qui porte le potentiel infini de la Manifestation. La théorie quantique dit que le vide quantique est une intelligence qui met tous les événements physiques en corrélation qui est la source de la manifestation de toutes les particules !

Alice Verland
 Ce que je ne comprends pas, c'est comment on peut concilier ce que nous venons de voir avec le cours sur l'allégorie de la caverne.

R. Il y a en effet un paradoxe. dans l'allégorie de la caverne, Platon interprète le monde sensible en terme d'illusions et lui oppose le monde intelligible, comme étant le monde vrai. Seulement à y regarder de plus prêt, La Question de la Vérité est chez Platon très complexe. Ce qui illusoire, c'est la représentation fondée sur l'opinion. Le monde sensible est un monde marqué par le temps, un monde où tout ce qui vient s'en va, c'est un monde impermanent par nature. Et pourtant, dans l'ici et le maintenant, dans l'intemporel du présent, dans la donation de la présence, la Manifestation vraie et réelle se produit aussi. Au sein du je suis est donné cette extraordinaire efflorescence de couleurs, de sensation, d'expériences qui sont cette Vie se donnant à elle-même maintenant et se donnant à elle-même au sein de la subjectivité du vécu. Et dans ma conscience que je tisse une représentation rationnelle de la réalité. Pour que celle-ci soit valide au-delà de mes sensations fuyantes, j'ai coutume de m'appuyer sur les témoignages convergents de tous ceux qui sont comme moi placés dans l'état de veille pour proclamer tel ou tel fait vrai et réel, telle théorie juste, telle opinion fausse. Le monde sensible n'est pas exactement faux ou illusoire. Il est ce qu'il est, réel dans son apparition même pour la conscience qui en fait l'expérience. Le faux et l'illusoire sont dans la représentation mentale qui vient se surimposer à la Manifestation pour en donner un vue partielle ou caricaturale.

Alice Verland
En clair, on ne vit pas dans le monde pur des idées.

R. Je vie là même où je suis vivant dans l'espace, le temps et la causalité, dans ce monde que je structure consciemment. Je ne suis pas une pure pensée. Par le corps je plonge dans le monde sensible, le monde de la Nature, le monde des hommes et de l'Histoire. Je suppose qu'un ange qui n'aurait pas ce privilège d'un corps de chair n'en dirait pas autant. Un être humain vit dans un monde humain et assume son humanité dans ce monde sensible. Ce qui n'exclut pas qu'il puisse de l'intérieur participer au divin. ce qui n'exclut pas non plus qu'il participe de l'extérieur au monde de la matière, ce monde que l'esprit situe naturellement là où il voit sa propre limite. Cette croisée des chemins est la situation humaine par excellence. 

Alice Verland
Berkeley veut-il dire que nous sommes un pur esprit?

R. Oui, mais pas dans un sens restrictif. Être un esprit ne veut pas dire être un pur intellect qui ne ferait que des mathématiques, indifférent à une sorte d'illusion qui serait le monde des sens. Au fond, il y a deux visions symétriques que nous rejetons : 1) que la conscience serait un pur "raison" intellectuelle et objective vivant dans un monde fabriqué de toutes pièce par les mathématiques et 2) que la conscience ne serait que cet "objet" matériel qu'est le corps physique et rien d'autre, un simple "chose". L'existence spirituelle enveloppe tout le champ de la subjectivité vécue et de l'incarnation, comme le pouvoir de l'intellect d'élaborer des constructions mentales. Tout ce que je sens, tout ce que je pense, tout ce que je conçois renvoie en dernière analyse à  la conscience, n'existe que par elle et pour elle. 

Loélia Perin
n'est il pas narcissique de considérer que rien n'existe sans être perçu ? Du point de vu de l'être humain, cela me semble logique et tres pertinent, mais peut on réellement affirmer que seule la perception et la conscience de l'être humain détermine ce qui existe ou non ? Si tout être vivant meure demain, cela voudra-t-il dire que plus rien n'à d'existence ou de réalité, parce qu'il n'y à plus personne pour en être conscient ?

Avec la participation d'Alice Verland, Loelia Perin.


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