Hélène Joie
Q. Si on dit que le critère de la vérité c'est le consensus de l'opinion, alors cela revient à s'aligner sur le conformisme non?
R. Oui. Cela signifie communément qu'en réalité, nous ne posons pas
La Question
de la Vérité, mais nous nous bornons à accepter sans broncher les opinions reçues. C'est le règne et le diktat du "on dit que" qui sert de mesure. Il faut avoir le courage de mettre en cause ce qui se dit. se méfier de ce que l'on dit, de ce qui est reçu parce que personne ne semble le remettre en cause est un pas important. Nous n'avons aucune assurance que le consensus collectif de l'opinion ne fasse pas proliférer des préjugés stupides, ou une illusion collective.
Blanche Konrad
Q. Dire que la vérité, c'est ce qui est utile, c'est conforme aussi avec la mentalité de la consommation.
R. Le monde post-moderne fonctionne avec cet implicite. Si le consommateur, c'est celui qui profite, alors son mode de représentation consiste à valoriser ce qui lui est utile. Il a donc nécessairement tendance à regarder la question du vrai et du faux sous l'angle de l'utilité. Si c'est utile, c'est vrai, si cela ne sert pas mon intérêt, cela doit être faux. Cela revient à mesurer la vérité à ce qui me fait plaisir et à ne voir dans l'erreur que ce qui me contrarie dans mes désirs. Un point c'est tout. C'est la meilleure façon de se piéger soi-même dans l'illusion du désir.
Q. Est-ce que ce n'est pas dangereux de mettre en cause le consensus dans une démocratie?
R. Le consensus a une valeur là où il faut prendre une décision commune en conciliant des forces contradictoires. C'est le rôle de l'Assemblée que de débattre de l'opinion et de favoriser ce qui est considéré comme le plus souhaitable. Dans le domaine de l'action politique, on est nécessairement aux prises avec l'opinion et son extrême relativité. Mais il faut regarder le phénomène ne face. Le consensus est un compromis boiteux. Il n'a que fort peu de chance d'être une décision éclairé : de tomber sur une opinion droite comme dirait Platon. Rousseau disait à ce titre que la volonté générale veut le bien, mais ne le voit pas toujours. C'est au Législateur d'éclairer la volonté générale. Il faut savoir mettre entre parenthèses le consensus d'opinion quand cela est nécessaire. C'est une aide dans le fonctionnement de la démocratie. Un devoir même.
Q. Dire que ce qui est vrai se reconnaît par sa cohérence est insuffisant. Un raisonnement peut-être correct sans pour autant être vrai sur le fond.
R. Regarder vos propres dissertations. Il arrive parfois que vous disiez des choses très pertinentes, mais de manière telle que la pensée soit assez incohérente et manque de liaison. Il se produit aussi que l'ensemble du devoir soit cohérent, mais que les vues restent assez partielles et inexactes. On peut rester dans le vague des abstractions, spéculer, mais ne pas toucher du doigt l'expérience réelle et au fond dire des sottises. Il ne suffit pas d'être cohérent pour être vrai.
Blanche Konrad
Q. Il y a aussi le cas des sophismes. Un discours qui semble cohérent mais qui est trompeur.
R. C'est malheureusement le cas dans l'ordre du langage tourné vers le pouvoir. On ressort du magasin de meuble avec un nouveau canapé avec le sentiment d'avoir été intimement persuadé par le discours du vendeur et sa logique implacable et puis, peu après, on se rend compte que c'était un coup monté et un tissu de sophismes qui n'avait qu'une fin, vous persuader d'acheter. Il en est de même des sophismes en politique.
Alice Verland
Q. Il y a parfois de fausses évidence. Comment savoir si il y évidence?
R. Une fausse évidence est une forme de persuasion intime dans laquelle je préfère ce qui me satisfait. J'assure mon confort intellectuel en m'appropriant une idée séduisante. Les fausses évidences sont aussi de l'ordre d'une apparence qui est conforme au vrai. La véritable évidence ne relève pas du champ de l'illusion mais de l'expérience intuitive de la rencontre de la vérité qui ne laisse pas de doute possible. Cela nous ne pouvons pas le mettre en cause sans danger. Mettre en cause l'évidence reviendrait à préférer l'obscurité et la confusion, reviendrait à laisser libre cours à l'illusion. Seules les fausses illusions doivent être dénoncées.
Florence Guibellini
j'ai parcouru un peu votre site qui m'a été indiqué par un ami, et après
avoir lu un cours sur le mental mentionnant le vital, je men suis dit que
Sri Aurobindo n'était pas loin, ce qui était effectivement le cas. Par la
suite je suis donc allée lire le cours sur la vérité et j'ai été assez
étonnée de voir qu'il n'était pas mentionné, alors que son sujet de
prédilection est la conscience-de-vérité, et que ce qu'il en dit pouvait
logiquement faire suite au paragraphe sur Spinoza. Cela dit, j'imagine que
vous n'êtes pas forcément l'auteur de ce cours. Par ailleurs, j'ai un ami
philosophe (et pianiste) qui fait une interprétation de Socrate qui pourrait
certainement vous intéresser. En fait, il nous a semblé en le relisant à la
lumière de Sri Aurobindo qu'il avait une expérience très similaire, mais
qu'il a été mal compris par Platon, qui en a fait une doctrine rigide (sa
fameuse doctrine des Idées), prêtant dès lors le flanc aux critiques
d'Aristote entre autres.
R. Vous avez parfaitement raison, mais le
problème dans la rédaction de cette leçon était vraiment sa longueur
excessive, il fallait arrêter, quitte à reprendre ensuite dans une autre
leçon certains points. La conscience-de-vérité, dans les Yoga sutra
ritam bhara prajna, est le point clé effectivement.
____________________________________________________________________
Gandhi
Une erreur n'est pas une vérité parce qu'elle est partagée par beaucoup
de gens,tout comme une vérité n'est pas fausse parce qu'elle est émise par
un seul individu."
Bouddha
Ne crois rien parce qu'on t'aura montré le témoignage écrit de quelque sage
ancien. Ne crois rien sur l'autorité des maîtres ou des prêtres. Mais ce qui
s'accordera avec ton expérience et après une étude approfondie satisfera ta
raison et tendra vers ton bien, cela tu pourras l'accepter comme vrai et y
conformer ta vie. "
______________________________________________________________________________
J.
P. Castel
Je reviens vers vous avec une question qui me paraît élémentaire, mais
pour laquelle je ne trouve pas de bibliographie.
Il s’agit de la distinction entre « vérité d’autorité », au sens où un
propos est tenu pour vrai du fait de l’autorité que l’auditeur ou le
lecteur reconnaît au locuteur, et « vérité par la raison » qui suppose
un critère de vérité, comme la non-contradiction et la conformité avec
la réalité, ainsi qu’une procédure de validation, par exemple la
vérification par la communauté des personnes qualifiées, critères et
procédure qui sont extérieurs au locuteur afin d’éviter l’autoréférence.
« Vérité d’autorité » et « vérité par la raison » s’opposent précisément
sur l’autoréférence : la première est autoréférentielle, la seconde ne
l’est pas.
Cette distinction me semble similaire à celle décrite par Marcel
Détienne entre l’alètheia prè-parménidienne, celle des Maîtres
de vérité, et l’alètheia post-parménidienne.
Cette distinction entre deux types de vérité, leur caractérisation par
l’autoréférence, et ce rapprochement avec l’histoire du sens d’alètheia
décrite par Marcel Détienne sont-ils pertinents, voire élémentaires ? Le
mot autoréference n’est je crois pas utilisé par Marcel Détienne, mais
il me semble implicite dans son titre Les Maîtres de
vérité ? Pourquoi n’ai-je pas pu trouver de biblio sur la question ?
Merci si vous pouvez m’en indiquer.
R.
Je suis un peu gêné pour vous répondre parce que je n'utilise pas du
tout le terme auto-référence dans le sens où vous le prenez. Je
m'explique : -sur le plan psychologique, la vie est autoréférente, elle
ne se quitte pas elle-même comme Soi. On peut distinguer avec Rousseau
l'amour de soi (autoréférent) et l'amour propre qui est réalité
excentré, car lié au regard et au jugement d'un autre. -su le plan
biologique, le vivant est auto-référent, il fonctionne comme une
totalité auto-référente etc. L'auto-référence est omniprésente
dans la Nature. En fait elle est dans la nature même de la conscience de
soi, elle renvoie à la non-dualité. Je ne prend donc jamais
l'auto-référence au sens purement logique car cela engendre des
confusions. l'argument d'autorité est très simple à comprendre, il
est d'un usage banal comme critère de la vérité. On le rencontre aussi
bien dans le sens commun (untel est un type sérieux, donc ce qu'il dit
est vrai) que dans les sciences (Selon Einstein, selon Bohr etc.) en
philosophie (selon Kant, Descartes etc.) L'université forme cette
perversion intellectuelle: il faut donner des noms pour appuyer une
affirmation! Dans les religions monothéistes le texte sacré littéral !
etc.
Cela sous-entend que
l'autorité est en soi véridique et ne saurait se tromper (pourtant en
politique Einstein a sorti des bêtises et il y a des âneries dans les
propos de généticiens célèbres, les religions racontent des histoires
pour enfants... Il y a des erreurs graves et des sottises chez
Nietzsche... ) etc. Il faut arrêter de prendre pour argent comptant tout
ce que disent les célébrités et toutes les autorités. Nous devrions être
capables par contre de défendre par une solide argumentation une thèse
en évitant tout argument d'autorité.
Pour bien comprendre la falsification
énorme de l’argument d'autorité, rien ne vaut la lecture de Krishnamurti
qui refuse radicalement toute autorité et démolit systématiquement toute
tentative d'aller citer qui ce que ce soit. Il est le meilleur antidote
et sa lecture montre à quel point il est difficile de penser sans appui
(imaginez une dissertation impeccable dans le raisonnement, mais ne
citant aucun auteur!). De là suit clairement que l'argumentation
rationnelle doit se tenir par elle-même et par ses propres raisons.
Avec la participation d'Hélène Joie, de Blanche Konrad, Alice Verland,
J. Pierre Castel.
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