Textes philosophiquesBergson la mémoire immenseLa durée est le progrès continu du passé qui ronge l'avenir et qui gonfle en avançant... L'amoncellement du passé sur le passé se poursuit sans trêve. Tout entier, sans doute, il nous suit à tout instant: ce que nous avons senti, pensé, voulu depuis notre première enfance est là, penché sur le présent qui va s'y joindre, pressant contre la porte de la conscience qui voudrait le laisser dehors... Que sommes-nous, en effet, qu'est-ce que notre caractère, sinon la condensation de l'histoire que nous avons vécue depuis notre naissance, avant notre naissance même, puisque nous apportons avec nous des dispositions prénatales? Sans doute nous ne pensons qu'avec une petite partie de notre passé; mais c'est avec notre passé tout entier, y compris notre courbure d'âme originelle, que nous désirons, voulons, agissons. Notre passé se manifeste donc intégralement à nous par sa poussée et sous forme de tendances, quoiqu'une faible part seulement en devienne représentation. De cette survivance du passé résulte l'impossibilité, pour une conscience, de traverser deux fois le même état. Les circonstances ont beau être les mêmes, ce n'est plus sur la même personne qu'elles agissent, puisqu'elles la prennent à un nouveau moment de son histoire. Notre personnalité, qui se bâtit à chaque instant avec de l'expérience accumulée, change sans cesse. en changeant, elle empêche un état, fût-il identique à lui-même en surface, de se répéter jamais en profondeur. C'est pourquoi la durée est irréversible." L'Evolution Créatrice, P.U.F. p. 4-6. Indications de lecture :Voir la première leçon sur la mémoire.
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