Textes philosophiques
Bergson le Devenir universel et l'existence
C'est
justement cette
continuité indivisible de changement qui
constitue la durée vraie. Je ne puis entrer ici dans l'examen approfondi
d'une question que j'ai traitée ailleurs. Je me bornerai donc à dire, pour
répondre à ceux qui voient dans cette durée « réelle » je ne sais quoi d'ineffable
et de mystérieux, qu'elle est la chose la plus claire du monde :
la durée réelle est ce que l'on a toujours appelé le temps, mais le
temps perçu comme indivisible. Que le temps implique la
succession, je n'en disconviens pas. Mais que la succession se présente
d'abord à notre conscience comme la distinction d'un « avant » et d'un «
après » juxtaposés, c'est ce que je ne saurais accorder. Quand nous écoutons
une mélodie, nous avons la plus pure impression de succession que nous
puissions avoir — une impression aussi éloignée que possible de celle de la
simultanéité — et pourtant c'est la
continuité même de la mélodie et
l'impossibilité de la décomposer qui font sur nous cette impression.
Si nous la découpons en notes distinctes, en autant d'«
avant », et d'« après » qu'il nous plaît, c'est que nous y mêlons des images
spatiales et que nous imprégnons la succession de simultanéité : dans
l'espace, et dans l'espace seulement, il y a distinction nette de parties
extérieures les unes aux autres. Je reconnais d'ailleurs que c'est dans le
temps spatialisé que nous nous plaçons d'ordinaire. Nous
n'avons aucun intérêt à écouter le bourdonnement ininterrompu de la vie
profonde. Et pourtant la durée réelle est là. C'est grâce à elle
que prennent place dans un seul et même temps les changements plus ou moins
longs auxquels nous assistons en nous et dans le monde extérieur.
Ainsi, qu'il s'agisse du dedans ou du dehors de nous ou des choses, la
réalité est la mobilité même. C'est ce que j'exprimais en disant
qu'il y a du changement, mais qu'il n'y a pas de choses qui changent.
Devant le spectacle de cette mobilité universelle,
quelques-uns d'entre nous seront pris de vertige,
Ils sont habitués a la terre ferme : ils ne peuvent se faire au roulis et au
tangage. Il leur faut des points « fixes » auxquels attacher la pensée et
l'existence. Ils estiment que si tout passe, rien n'existe : et que si la
réalité est mobilité elle n'est déjà plus au moment où on la pense, elle
échappe à la pensée. Le monde matériel, disent-ils, va se dissoudre, et
l'esprit se noyer dans le flux torrentueux des choses — Qu'ils se rassurent
! Le changement, s'ils consentent à le regarder directement, sans voile
interposé, leur apparaîtra bien vite comme ce qu'il peut y avoir au monde de
plus substantiel et de plus durable. Sa solidité est infiniment supérieure à
celle d'une fixité qui n'est qu'un arrangement éphémère entre des mobilités.
La pensée et le mouvant, Paris, PUF, 1959, p 166.
Indications de lecture :
Cf. Les
Leçons du Temps, ch. II.
A,
B,
C,
D,
E,
F,
G,
H, I,
J,
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