René Descartes

Textes philosophiques

Descartes le bon sens, chose du monde la mieux partagée

" Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée; car chacun pense en être si bien pourvu que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices aussi bien que des plus grandes vertus; et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup davantage, s'ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent et qui s'en éloignent.

Pour moi, je n'ai jamais présumé que mon esprit fût en rien plus parfait que ceux du commun; même j'ai souvent souhaité d'avoir la pensée aussi prompte, ou l'imagination aussi nette et distincte, ou la mémoire aussi ample ou aussi présente, que quelques autres. Et je ne sache point de qualités que celles-ci qui servent à la perfection de l'esprit; car pour la raison, ou le sens, d'autant qu'elle est la seule chose qui nous rend hommes et nous distingue des bêtes, je veux croire qu'elle est tout entière en un chacun; et suivre en ceci l'opinion commune des philosophes, qui disent qu'il n'y a du plus et du moins qu'entre les accidents, et non point entre les formes ou natures des individus d'une même espèce. »

Discours de la Méthode (1637), début de la 1ère partie, pp. 91-92, ed du Livre de poche, 1997.

Indications de lecture :

Ce texte de Descartes porte sur l’origine des différentes opinions parmi les hommes et de l’origine de l’erreur, étant donné que la raison est identique en chacun. Selon Descartes, cette différence d’opinion vient de l’application ou non d’une méthode.

Pour démontrer cette thèse, Descartes procède par élimination : il écarte les autres types d’explication possible. Le 1^er type qui est éliminé est que cette divergence provienne de la raison elle-même. Cette idée est immédiatement rejetée, car la raison est identique en tous.

Descartes montre que l’erreur n’est pas due à une limite de nos capacités intellectuelles. Descartes a une grande foi en la puissance de notre raison. Lorsque nous nous trompons, nous ne pouvons pas nous excuser en invoquant notre imperfection. Ne pas se tromper dépend uniquement de la méthode ; cela dépend donc uniquement de notre volonté. Il ne tient qu’à nous de mettre en œuvre une méthode de raisonnement qui nous assurera d’éviter l’erreur.

En effet, il suffit de combattre la précipitation. Certes, cela ne garantit pas que je puisse accéder à la vérité, mais tant que je doute de la valeur de mes affirmation je ne me trompe pas. Pour éviter l’erreur, je n’ai pas besoin de connaître la vérité, puisqu’il s’agit avant tout d’une question de volonté. Descartes rapproche ici l’erreur de la faute : c’est une question d’action, de volonté. Se tromper, c’est avant tout mal juger, or le jugement est un acte, c’est la mise en œuvre de la méthode. Ainsi se tromper, c’est mal juger, c’est-à-dire faire un acte maladroit. L’erreur est donc une maladresse réparable.

La vérité est donc accessible à tous, en tant que nous sommes des hommes disposant tous de la raison, c’est-à-dire de la faculté de bien juger. Il nous suffit juste d’user de notre bon sens avec méthode, ce qui, à la différence du bon sens, ne nous est pas donné, mais doit être acquis.

texte préparé par Stéphanie Combabessou

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