Textes philosophiques

Diderot    Éloge de la religion naturelle


    La vérité de la religion naturelle est à la vérité des autres  religions comme le témoignage que je me rends à  moi-même, est au témoignage que je reçois d'autrui ; ce que  je sens, à ce qu'on me dit ; ce que je trouve écrit en  moi-même du doigt de Dieu, et ce que les hommes vains,  superstitieux et menteurs ont gravé sur la feuille ou sur le  marbre ; ce que je porte en moi-même et rencontre le même  partout, et ce qui est hors de moi, et change avec les  climats ; ce qui n'a point été sincèrement contredit, ne l'est  point et ne le sera jamais, et ce qui, loin d'être admis, et de  l'avoir été, ou n'a point été connu, ou a cessé de l'être, ou ne  l'est point, ou bien est rejeté comme faux ; ce que ni le  temps ni les hommes n'ont point aboli et n'aboliront jamais,  et ce qui passe comme l'ombre ; ce qui rapproche l'homme  civilisé et le barbare, le chrétien, l'infidèle et le païen,  l'adorateur de Jéhova, de Jupiter et de Dieu, le philosophe et  le peuple, le savant et l'ignorant, le vieillard et l'enfant, le  sage même et l'insensé, et ce qui éloigne le père du fils,  arme l'homme contre l'homme, expose le savant et le sage à  la haine et à la persécution de l'ignorant et de l'enthousiaste,  et arrose de temps en temps la terre du sang d'eux tous ; ce  qui est tenu pour saint, auguste et sacré par tous les peuples  de la terre, et ce qui est maudit par tous les peuples de la  terre, un seul excepté ; ce qui a fait élever vers le ciel, de  toutes les régions du monde, l'hymne, la louange et le  cantique, et ce qui a enfanté l'anathème, l'impiété, les  exécrations et le blasphème ; ce qui me peint l'univers  comme une seule et unique immense famille dont Dieu est  le premier père, et ce qui me représente les hommes divisés  par poignées, et possédés par une foule de démons farouches  et malfaisants, qui leur mettent le poignard dans la main  droite, et la torche dans la main gauche, et qui les animent  aux meurtres, aux ravages et à la destruction. Les siècles à  venir continueront d'embellir l'un de ces tableaux des plus  belles couleurs ; l'autre continuera de s'obscurcir par les  ombres les plus noires. Tandis que les cultes humains  continueront de se déshonorer dans l'esprit des hommes par  leurs extravagances et leurs crimes, la religion naturelle se  couronnera d'un nouvel éclat, et peut-être fixera-t-elle  enfin les regards de tous les hommes, et les ramènera-t-elle  à ses pieds ; c'est alors qu'ils ne formeront qu'une société ;  qu'ils banniront d'entre eux ces lois bizarres qui semblent  n'avoir été imaginées que pour les rendre méchants et  coupables ; qu'ils n'écouteront plus que la voix de la nature,  et qu'ils recommenceront enfin d'être simples et vertueux. ô  mortels ! Comment avez-vous fait pour vous rendre aussi  malheureux que vous l'êtes ? Que je vous plains et que je   vous aime ! La commisération et la tendresse m'ont entraîné,  je le sens bien ; et je vous ai promis un bonheur auquel vous  avez renoncé et qui vous a fuis pour jamais.    

De la suffisance de la religion naturelle


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