Textes philosophiques

Hegel   la pensée et le langage


    C’est dans le mot que nous pensons. Le mot en tant que sonore disparaît dans le temps ; il se montre donc dans le temps comme négativité abstraite, cad seulement anéantissante. Mais la négativité vraie, concrète, du signe linguistique est l’intelligence, parce que, moyennant celle-ci, le signe est, de quelque chose d’extérieur, changé en quelque chose d’intérieur, et conservé dans cette forme modifiée. Ainsi les mots deviennent un être-là vivifié par la pensée. Cet être-là est absolument nécessaire à nos pensées.

     Nous n'avons conscience de nos pensées, nous n'avons des pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité, et que par suite nous les marquons de la forme externe, mais d'une forme qui contient aussi le caractère de l'activité interne la plus haute. C'est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l'externe et l'interne sont si intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c'est une tentative insensée. Mesmer en fit l'essai, et, de son propre aveu, il en faillit perdre la raison. Et il est également absurde de considérer comme un désavantage et comme un défaut de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot. On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu'il y a de plus haut c'est l'ineffable. Mais c'est là une opinion superficielle et sans fondement : car en réalité l'ineffable c'est la pensée obscure, la pensée à l'état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu'elle trouve le mot. Ainsi, le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. Sans doute on peut se perdre dans un flux de mots sans saisir la chose. Mais la faute en est à la pensée imparfaite, indéterminée et vide, elle n'en est pas au mot. Si la vraie pensée est la chose même, le mot l'est aussi lorsqu'il est employé par la vraie pensée. Par conséquent, l'intelligence, en se remplissant de mots, se remplit aussi de la nature des choses.

     Mais cet accueil a en même temps ce sens que l’intelligence fait d’elle-même, par là, un être tenant de la chose, de telle sorte que la subjectivité – en sa différence d’avec la chose – devient quelque chose de tout-à-fait vide, un réservoir, privé d’esprit, des mots, donc une mémoire mécanique (…) Plus je deviens familier avec la signification du mot – plus celui-ci, donc, est réuni à mon intériorité – plus l’objectivité et, par conséquent, la déterminité de sa signification disparaissent – plus la mémoire elle-même et, avec elle, en même temps le mot, deviennent quelque chose de délaissé par l’esprit.»"

Encyclopédie, III, Philosophie et l'esprit, § 462, 1895.

Nous ne pouvons connaître nos pensées que lorsque nous les exprimions, ne serait-ce que dans notre tête (on a remarqué que, penser à une chose, stimule non seulement les zones du cerveau attribuées à la réflexion mais aussi à l'articulation). L'extériorisation de nos pensées est nécessaire, elle porte la marque de notre suprême intériorité (nos pensées). La parole donne de la clarté à nos pensées, et si l'on n'y a pas réfléchi, si l'on ne l'a pas exprimée en mots, en langage, notre pensée reste floue et incomplète. Ainsi, l'inexprimable n'est pas une qualité, bien au contraire, il est la marque d'une pensée défectueuse.

 Encyclopédie des sciences philosophiques

Indications de lecture :

Pour une discussion de ce point de vue, voir Recherches sur le Langage, ch. II. Une critique sévère est formulée dans le chapitre sur le non-verbal. Cf. Dominique Laplanne.La pensée d'outre-mot.

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