Textes philosophiques

Heidegger  Le on et l'existence quotidienne   (autre traduction)


 Le monde ambiant implique d'emblée la disposition et la préoccupation d'un monde "ambiant" public. En usant des transports en commun, ou des services d'information (des journaux par exemple), chacun est semblable à tout autre. Cet être commun (Mitsein) dissout complètement l'être là (Dasein) qui est mien dans le mode d'être d'autrui, en telle sorte que les autres n'en disparaissent que d'avantage en ce qu'ils ont de distincts et d'expressément particulier. Cette situation d'indifférence et d'indistinction permet au "On" de développer sa dictature caractéristique. Nous nous amusons, nous nous distrayons comme "On" s'amuse ; nous lisons, nous voyons, nous jugeons de la littérature, de l'art, comme "on" voit, comme "on" juge ; et même nous nous écartons des grandes foules comme "on" s'en écarte ; nous trouvons "scandaleux" ce que "on" trouve scandaleux. Le "on" qui n'est personne de déterminé et qui est tout le monde, bien qu'il ne soit pas la somme de tous, prescrit à la réalité quotidienne son mode d'être. L'être en commun cherche à imposer tout ce qui est conforme à la moyenne. Le "on" demeure toujours dans la moyenne de ce qui est convenable, de ce qui est reçu et de ce qui ne l'est pas, de ce qui mérite l'assentiment et de ce qui ne le mérite pas. Le souci de la moyenne recèle une nouvelle tendance de l'être là, nous l'appelons le "nivellement" de toutes les possibilités d'être. Cependant, comme il suggère en toute occasion le jugement à énoncer et la décision à prendre, il retire à l'être là toute responsabilité concrète. Le "on" ne court aucun risque à permettre qu'en toute circonstance on ait recours à lui. On peut toujours dire "on" l'a voulu, mais on dira aussi bien que "personne" n'a rien voulu. La majeure partie de ce qui s'accomplit dans l'existence quotidienne s'accomplit sans le fait de personne, le "on" est donc celui qui, dans le quotidien "décharge" l'être là. En le déchargeant ainsi, le "on" complait à la tendance qui pousse l'être là à la facilité et à la frivolité. Cette complaisance lui permet de conserver, voire d'accroître un empire obstiné. Chacun est l'autre et personne n'est soi-même. »   

Être et Temps, Gallimard, p. 169-171.

Indications de lecture:

On comparera cette traduction avec celle-ci. Ces thèses ne sont en rien originales, on les trouve dans le Journal intime d'Amiel qui lui aussi a remarquablement théorisé le "on".


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