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Textes philosophiquesKierkegaard la grandeur de l'homme est de se choisirAvoir connu l’amour donne à la nature humaine une harmonie qui ne s’efface jamais complètement ; je dirai maintenant que l’acte de choisir confère une solennité, une calme dignité qui ne se perd jamais tout à fait. Bien des gens attachent un prix extraordinaire à la faveur d’avoir vu face à face tel ou tel remarquable personnage historique. Ils n’oublient jamais cette impression ; elle donne à leur âme une image idéale qui ennoblit leur caractère ; pourtant, cet instant, si important soit-il, n’est rien comparé à l’instant du choix. Quand donc le calme s’est épandu sur toutes les choses à l’entour, solennel comme la nuit étoilé, quand l’âme devient seule dans tout l’univers, elle voit apparaître devant elle, non pas un grand homme, mais la puissance éternelle elle-même ; alors le ciel semble s’ouvrir, et le moi se choisit ou plutôt se reçoit. Alors l’âme a vu e bien suprême que ne saurait contempler le regard d’aucun mortel et qu’elle ne peut jamais oublier ; alors la personnalité reçoit l’accolade qui la sacre chevalier de l’éternité. L’homme ne devient pas autre qu’il n’était auparavant, il devient lui-même ; sa conscience se rassemble, et il est lui-même. Un héritier, même des trésors de l’univers, ne les possède pas avant sa majorité ; pareillement, la personnalité même la plus riche n’est rien avant de s’être choisie, tandis que celle que l’on pourrait dire la plus pauvre est tout quand elle s’est choisie ; car la grandeur humaine ne consiste pas à être ceci ou cela, mais soi-même : et tout homme le peut quand il veut.
L’alternative, 1843, trad P.H. Tisseau, pris dans L’existence, textes choisis PUF 1967, p. 136.
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