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Textes philosophiquesEmmanuel Levinas le sommeil et le lieuEn quoi consiste, en effet, le sommeil ? Dormir, c’est suspendre l’activité psychique et physique. Mais à l’être abstrait, planant dans l’air, manque une condition essentielle de cette suspension : le lieu. L’appel du sommeil se fait dans l’acte de se coucher. Se coucher, c’est précisément borner l’existence au lieu, à la position. Le lieu n’est pas un « quelque part » indifférent, mais une base, une condition […]. En nous couchant, en nous blottissant dans un coin pour dormir, nous nous abandonnons à un lieu — il devient notre refuge en tant que base. Toute notre œuvre d’être ne consiste alors qu’à reposer […]. C’est à partir du repos, à partir de la position, à partir de cette relation unique avec le lieu, que vient la conscience. La position ne s’ajoute pas à la conscience comme un acte qu’elle décide, c’est à partir de la position, d’une immobilité, qu’elle vient à elle-même. Elle est un engagement dans l’être qui consiste à se tenir précisément dans le non-engagement du sommeil. Elle « a » une base, elle « a » un lieu. Le seul avoir qui ne soit pas encombrant, mais qui est la condition : la conscience, est ici. Que la conscience, ni une pensée, ni un sentiment, ni une volition, mais la position de la conscience. Il ne s’agit pas du contact avec la terre : s’appuyer sur la terre est plus que la sensation du contact, plus qu’une connaissance de la base. Ce qui est ici « objet » de la connaissance ne fait pas vis-à-vis au sujet, mais le supporte et le supporte au point que c’est par le fait de s’appuyer sur la base que le sujet se pose comme sujet. […] L’ici de la conscience — le lieu de son sommeil et de son évasion en soi — diffère radicalement du Da impliqué dans le Dasein heideggerien. Celui-ci implique déjà le monde. L’ici dont nous partons, l’ici de la position précède toute compréhension, tout horizon et tout temps. Il est le fait même que la conscience est origine, qu’elle part d’elle-même, qu’elle est existant. Dans sa vie même de conscience, elle vient toujours de sa position, c’est-à-dire de la « relation » préalable avec la base, avec le lieu que dans le sommeil, elle épouse exclusivement. En se posant sur une base, le sujet encombré par l’être se ramasse, se dresse et devient le maître de tout ce qui l’encombre ; son ici lui donne un point de départ. Le sujet prend sur lui. Les contenus de la conscience sont des états […]. Le lieu, avant d’être un espace géométrique, avant d’être l’ambiance concrète du monde heideggerien, est une base. Par là, le corps est l’avènement même de la conscience. En aucune façon, il n’est chose. Non seulement parce qu’une âme l’habite, mais parce que son être est de l’ordre de l’événement et non pas du substantif. Il ne se pose pas, il est la position. Il ne se situe pas dans un espace donné au préalable — il est l’irruption dans l’être anonyme du fait même de la localisation. De l’existence à l’existant, Vrin, Paris 1993.Indications de lecture:Voir le cours L'existence consciente, voir l'index analytique.
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