Textes philosophiques

Montaigne   barbarie et culture


 

Chacun appelle barbarie, ce qui n'est pas de son usage. Comme de vrai nous n'avons autre mire de la vérité, et de la raison, que l'exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. Ils sont sauvages de même, que nous appelons sauvages les fruits, que nature de soi et de son progrès ordinaire a produits : là où à la vérité ce sont ceux que nous avons altéré par notre artifice, et détourné de l'ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages. En ceux là sont vives et vigoureuses, les vraies, et plus utiles et naturelles, vertus et propriétés ; lesquelles nous avons abâtardies en ceux-ci, les accommodant au plaisir de notre goût corrompu. Et si pourtant la saveur même et délicatesse se trouve à notre goût même excellente à l'envie des nôtres, en divers fruits de ces contrées là, sans culture : ce n'est pas raison que l'art gagne le point d'honneur sur notre grande et puissante mère nature. Nous avons tant rechargé la beauté et richesse de ses ouvrages par nos inventions, que nous l'avons du tout étouffée. Si est-ce que par tout où sa pureté reluit, elle fait une merveilleuse honte à nos vaines et frivoles entreprises. Et veniunt hederæ sponte sua melius, Surgit et in solis formosior arbutus antris,Et volucres nulla dulcius arte canunt(1). Tous nos efforts ne peuvent seulement arriver à représenter le nid du moindre oiselet, sa contexture, sa beauté, et l'utilité de son usage : non pas la tissure de la chétive araignée. Toutes choses, dit Platon, sont produites ou par la nature, ou par la fortune, ou par l'art. Les plus grandes et plus belles par l'une ou l'autre des deux premières : les moindres et imparfaites par la dernière.» (1) Vois quelles couleurs la terre splendide fait jaillir ; Comme le lierre sauvage pousse seul avec plus de force ; Vois l'arbousier dans les antres solitaires plus beau se dresser ; et l'eau vive sans nul maître courir son chemin.

Les Essais , Livre I Chapitre 31.

Indications de lecture:

 

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