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Textes philosophiquesEdgar Morin une anthropologie inconsciente d'elle-même"Quand on considère l'œuvre d'un anthropologue du début du siècle comme Lucien Lévy-Bruhl, on est frappé de voir à quel point sa pensée était naïvement arrogante. Il était assuré que les sociétés archaïques devaient être considérées comme primitives, que le primitif était irrationnel, mystique, par opposition à l'homme moderne, lui pleinement rationnel, et pouvait être effectivement comparé à l'enfant et au névrosé. Il était évident que l'homme occidental était l'adulte accompli. Aujourd'hui, nous voyons que ceci relevait non pas d'une vraie rationalité, mais d'une rationalisation occidentalo-centrique close et, dans un sens très profond, obscurantiste. Bien entendu, il y avait quelque chose de très naïf chez Lévy-Bruhl : il ne s'étonnait pas que ces "enfants" primitifs, mystiques, croyant à la magie, fussent capables de produire des outils efficaces qui leur avaient permis de survivre et de se multiplier dans un environnement hostile. Il a fallu une meilleure connaissance de ces populations, liée au phénomène de décolonisation et à l'introduction d'une mauvaise conscience, d'une autocritique au sein de la conscience occidentale, pour que l'anthropologie moderne se pose le problème de la relativité de son site d'observation. Il a fallu douter qu'être un Occidental moderne signifie être détenteur de la rationalité sociale pour arriver à se poser le problème du sujet-chercheur. Le premier renversement est bien marqué par Lévi-Strauss et, de façon très personnelle, Tristes Tropiques témoigne de ce refus de se placer au sommet de la rationalité". La Complexité humaine, éd. Flammarion, champs, p.303-304.
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