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Textes philosophiquesEdgar Morin le progrès de l'incertitude scientifique"La connaissance scientifique est une connaissance certaine, dans le sens où elles se fondent sur des données vérifiées et qu'elle est apte à fournir des prédictions concrètes. Toutefois le progrès des certitudes ne va nullement dans le sens d'une grande certitude. Certes, on a longtemps cru que l'univers était une machine déterministe impeccable qui serait totalement connaissable, et certains croient encore qu'une équation maîtresse nous livrerait son secret. Or, en fait, l'enrichissement de notre connaissance de l'univers débouche sur le mystère de son origine, de son être, de son avenir. La nature du tissu profond de notre réalité physique se dérobe dans le mouvement même où on l'entr'aperçoit. Notre logique piétine ou s'affole devant l'infiniment petit et l'infiniment grand, le vide physique et les très hautes énergies. Les extraordinaires découvertes de l'organisations à la fois moléculaire et informationnelle de la machine vivante nous conduisent non à la connaissance finale de la vie, mais aux portes du problème de l'auto-organisation. On peut même dire que, de Galilée à Einstein, de Laplace à Hubble, de Newton à Bohr, nous avons perdu le trône d'assurance qui mettait notre esprit au centre de l'univers: nous avons appris que nous sommes, nous autres citoyens de la planète Terre, les banlieusards d'un Soleil de banlieue lui-même exilé à la périphérie d'une galaxie périphérique d'un univers mille fois plus mystérieux que nul ne l'aurait imaginé il y a encore un siècle. Le progrès des certitudes scientifiques produit donc un progrès de l'incertitude. Mais c'est une "bonne" incertitude qui nous délivre d'une illusion naïve et nous éveille d'un rêve légendaire: c'est une ignorance qui se connaît comme ignorance. et ainsi, aussi bien les ignorances que les connaissances issues du progrès scientifique apportent un éclairage irremplaçable aux problèmes fondamentaux que l'on dit philosophiques". Science avec conscience, ed. Fayard, p.37.
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