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Textes philosophiquesEdgar Morin science et philosophie"Le paradigme maître de la pensée occidentale a opéré la disjonction entre science et philosophie, fait et valeur, sujet et objet. cette disjonction, ... a conduit à la simplification et la mutilation. La distinction, elle, était et demeure absolument nécessaire: effectivement, la science ne peut se déduire de la réflexion philosophique, la philosophie ne peut s'induire de la connaissance scientifique, celle-ci ne saurait dépendre du commandement moral... On peut, on doit définir la philosophie et la science es fonction de deux pôles opposés de la pensée: la réflexion et la spéculation pour la philosophie, l'observation et l'expérience pour la science. Mais il serait fou de croire qu'il n'y a pas de réflexion ni de spéculation dans l'activité scientifique ni de spéculation dans l'activité scientifique, ni que la philosophie dédaigne par principe l'observation et l'expérimentation. Les caractères dominants en l'une sont dominés en l'autre et vice versa. c'est pourquoi, il n'y a pas de "frontière naturelle" entre l'une et l'autre. du reste, le siècle d'or de l'épanouissement de l'une et de la naissance de l'autre fut le siècle des philosophes-savants (Galilée, Descartes, Pascal, Leibniz). En fait, comme l'a bien marqué Popper, si disjointes soient-elles aujourd'hui, science et philosophie relèvent de la même tradition critique, dont la perpétuation est indispensable à la vie de l'une comme de l'autre. Même après la disjonction entre science et philosophie, la communication ne fut jamais totalement coupée, seulement rétrécie. il y eut toujours une réflexion philosophique sur la science, renouvelée à chaque génération de façon originale... Il y eut toujours quelque part chez les philosophes le souhait que la philosophie devienne "savoir du savoir scientifique, sa conscience de soi". Mieux encore, les sciences les plus dures ont suscité de l'intérieur une véritable efflorescence philosophique. Paul Scheurer parle d'un retour de la pensée spéculative dans les sciences exactes... En fait, les grandes questions scientifiques sont devenues philosophiques et les grandes questions philosophiques sont devenues scientifiques... Si le regard philosophique procure le recul nécessaire pour considérer la science, le regard scientifique procure le recul nécessaire pour considérer la philosophie. Aussi leur dialogue binoculaire pourrait procurer le nouveau recul qui nous est nécessaire pour considérer la connaissance. Dès lors, science et philosophie pourraient nous apparaître comme deux visages différents et complémentaires du même: la pensée." La complexité humaine, ed. Flammarion, champs, p.262-265.
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