Textes philosophiques

Platon    la justice dans la Cité, la justice dans l'âme


   Il faut donc nous souvenir que, lorsque chacune des parties qui sont en nous remplira sa fonction, alors nous serons justes et remplirons notre devoir.
- Oui, dit-il, il faut nous en souvenir.
- N’appartient-il pas à la raison de commander, puisqu’elle est sage et qu'elle est chargée de veiller sur l'âme tout entière, et à la colère de lui obéir et de la seconder ?
Si [...]
    Et ces deux parties, ainsi élevées et vraiment instruites et entraînées à faire leur devoir, gouverneront celle du désir, qui tient la plus grande place dans notre âme et qui est naturellement insatiable de richesses ; elles veilleront sur elle, de peur qu'en se gorgeant de ce qu'on appelle les plaisirs corporels, elle ne grandisse et ne prenne de la force, et refuse de continuer sa tâche, pour essayer d'asservir et de gouverner, quoiqu'elle en soit naturellement indigne. - Assurément, dit-il.
- Et, repris-je, à l'égard aussi des ennemis du dehors, est-ce que ces deux parties ne sont pas les plus propres à veiller au salut de l'âme tout entière et du corps, l'une en délibérant, l'autre en faisant la guerre, en obéissant au chef et en exécutant par son courage les décisions de la première ?
- Tu as raison.
- C'est, je pense, cette dernière qui vaut à l'individu le nom de courageux, quand la colère qui est en lui le maintient à travers les peines et les plaisirs soumis aux préceptes de la raison sur ce qui est ou n'est pas à craindre.
- C'est juste, dit-il.
- Et il est sage par cette petite partie qui a commandé en lui et donné ces préceptes dont je viens de parler, et qui possède d'autre part la science de ce qui est utile à chaque partie et à la communauté qu'elles forment à elles trois.
- C'est bien cela.
- Et n'est-il tempérant par l'amitié et l'harmonie de ces mêmes parties, quand celle qui commande et celles qui obéissent sont d'accord pour reconnaître que c'est à la raison de commander, et qu'elles ne lui disputent point l'autorité ?
- A coup sûr, dit-il, la tempérance n'est pas autre chose que cela, soit dans l'État, soit dans l'individu.
- Enfin il sera juste par la raison et de la manière que nous avons plusieurs fois exposée [...]
- En fait la justice [...] ne s'applique pas aux actions extérieures de l'homme, mais à l'action intérieure, celle qui le concerne véritablement lui-même et les principes qui le composent. Elle fait que l'homme juste ne permet pas qu'aucune partie de lui-même fasse rien qui lui soit étranger, ni que les trois principes de son âme empiètent sur leurs fonctions respectives, qu'il établit au contraire un ordre véritable dans son intérieur, qu'il se commande lui-même, qu'il se discipline, qu'il devient ami de lui-même, qu'il harmonise les trois parties de son âme absolument comme les trois termes de l'échelle musicale, le plus élevé, le plus bas, le moyen, et tous les tons intermédiaires qui peuvent exister, qu'il lie ensemble tous ces éléments et devient un de multiple qu'il était, qu'il est tempérant et plein d'harmonie, et que dès lors dans tout ce qu'il entreprend, soit qu'il travaille à s'enrichir, soit qu'il
soigne son corps, soit qu'il s'occupe de politique, soit qu'il traite avec des particuliers, il juge toujours et nomme juste et belle l'action qui maintient et contribue à réaliser cet état d'âme, et qu'il tient pour sagesse la science qui inspire cette action; qu'au contraire il appelle injuste l'action qui détruit cet état, et ignorance l'opinion qui inspire cette action.
- Socrate, dit-il, rien n'est plus vrai que ce que tu dis (...]
- Après cela, dis-je, il nous reste à examiner l'injustice.
- Évidemment.
- N'est-elle pas nécessairement un désaccord de ces trois parties, une ingérence indiscrète, un empiètement des unes sur les fonctions des autres, et la révolte de certaine partie contre le tout, avec la prétention de commander dans l'âme, en dépit de toute convenance, la nature l'ayant faite pour obéir à la partie née pour commander ? C'est en cela, je crois, c'est dans le désordre et la confusion de ces parties que consistent à nos yeux l'injustice, l'intempérance, la lâcheté, l'ignorance, en un mot, tous les vices.

République

Indications de lecture:

     cf. Le pouvoir et le droit. La traduction par colère serait mieux rendue, comme Joseph Moreau le montrait, par "ardeur généreuse". En grec, les trois aspects sont le nous, raison, intelligence, le tumos ardeur généreuse et l'epitumia, les appétits et besoins.

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