Textes philosophiques

Rousseau     la condition humaine est le sujet de l'éducation


    "Dans l'ordre naturel, les hommes étant tous égaux, leur vocation commune est l'état d'homme; et quiconque est bien élevé pour celui-là ne peut mal remplir ceux qui s'y rapportent. Qu'on destine mon élève à l'épée, à l'église, au barreau, peu m'importe. Avant la vocation des parents, la nature l'appelle à la vie humaine. Vivre est le métier que je lui veux apprendre. En sortant de mes mains, il ne sera, j'en conviens, ni magistrat, ni soldat, ni prêtre; il sera premièrement homme: tout ce qu'un homme doit être, il saura l'être au besoin tout aussi bien que qui que ce soit; et la fortune aura beau le faire changer de place, il sera toujours à la sienne. Occupavi te, Fortuna, atque cepi; omnesque aditus tuos interclusi, ut ad me aspirare non posses. Notre véritable étude est celle de la condition humaine. Celui d'entre nous qui sait le mieux supporter les biens et les maux de cette vie est à mon gré le mieux élevé; d'où il suit que la véritable éducation consiste moins en préceptes qu'en exercices. Nous commençons à nous instruire en commençant à vivre; notre éducation commence avec nous; notre premier précepteur est notre nourrice. Aussi ce mot éducation avait-il chez les anciens un autre sens que nous ne lui donnons plus: il signifiait nourriture. Educit obstetrix, dit Varron; educat nutrix, instituit paedagogus, docet magister. Ainsi l'éducation, l'institution, l'instruction, sont trois choses aussi différentes dans leur objet que la gouvernante, le précepteur et le maître. Mais ces distinctions sont mal entendues; et, pour être bien conduit, l'enfant ne doit suivre qu'un seul guide. Il faut donc généraliser nos vues, et considérer dans notre élève l'homme abstrait, l'homme exposé à tous les accidents de la vie humaine. Si les hommes naissaient attachés au sol d'un pays, si la même saison durait toute l'année, si chacun tenait à sa fortune de manière à n'en pouvoir jamais changer, la pratique établie serait bonne à certains égards; l'enfant élevé pour son état, n'en sortant jamais, ne pourrait être exposé aux inconvénients d'un autre. Mais, vu la mobilité des choses humaines, vu l'esprit inquiet et remuant de ce siècle qui bouleverse tout à chaque génération, peut-on concevoir une méthode plus insensée que d'élever un enfant comme n'ayant jamais à sortir de sa chambre, comme devant être sans cesse entouré de ses gens? Si le malheureux fait un seul pas sur la terre, s'il descend d'un seul degré, il est perdu. Ce n'est pas lui apprendre à supporter la peine; c'est l'exercer à la sentir.".

Emile

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