Textes philosophiques

Schopenhauer    la raison moralisante et la vertu


    "Une morale non fondée en raison, celle qui consiste à « faire la morale aux gens », ne peut avoir d'action, parce qu'elle ne donne pas de motifs. D'autre part, une morale qui en donne ne peut agir qu'en se servant de l'égoïsme; or, ce qui sort d'une pareille source n'a aucune valeur morale. D'où il suit qu'on ne peut attendre de la morale, ni en général de la connaissance abstraite, la formation d'aucune vertu authentique; elle ne peut naître que de l'intuition, qui reconnaît en un étranger le même être qui réside en nous.

     En effet, la vertu résulte assurément de la connaissance; seulement ce n'est pas de la connaissance abstraite, de celle qui se communique par des mots. Sans quoi, la vertu pourrait s'enseigner; et ici par exemple, comme nous exprimons en forme abstraite l'essence de la vertu et la connaissance qui lui sert de base, tout lecteur qui nous comprend se trouverait par le fait même amélioré moralement. Il n'en est rien; au contraire, il est aussi impossible de faire un homme de bien avec de simples considérations morales ou par la pure prédication, qu'il l'a été aux auteurs de Poétiques, depuis Aristote, de faire un seul poète. Pour créer ce qui fait l'essence propre et intime de la vertu, le concept est impuissant, de même qu'il l'est dans l'art; s'il peut -rendre quelques services, c'est en sous-ordre, comme instrument propre à déduire et à conserver les connaissances et résolutions formées sans son aide. Velle non discitur. En fait de vertu, de bonté des intentions, les dogmes abstraits sont sans influence; faux, ils ne la détruisent pas; vrais, ils ne la secourent guère. Et après tout, il serait bien fâcheux que l'affaire essentielle de la vie humaine, d'où dépend la valeur morale, et désormais fixée pour l'éternité, de l'homme, pût tenir à des dogmes, à des articles de foi, à des doctrines philosophiques, que le hasard peut nous faire rencontrer ou ignorer. Si les dogmes ont un rôle à l'égard de la morale, c'est que l'homme de bien, après avoir tiré sa vertu d'une connaissance différente et dont nous parlerons bientôt, y trouve un schème, une formule pour rendre compte à sa raison de ses actions pures d'égoïsme, auxquelles elle ne comprendrait rien sans cela; l'explication n'est guère en somme qu'une fiction, mais la raison est accoutumée à s'en contenter.

 Le Monde comme volonté et comme représentation,   P.U.F. p.463-464.

Indications de lecture:

Voir el commentaire Michel Henry dans La génalogie de la psychanalyse. Cf. Philosophie de la Morale.

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