Textes philosophiquesGünther Anders Contradiction du nihilisme"Le désespoir provoqué par la nullité du monde a toujours culminé dans un désespoir second provoqué par l'impossibilité d'anéantir cette nullité. Quant à ce désespoir second, il a lui-même culminé, en fin de compte, dans l'autodérision, c'est-à-dire dans la dérision du nihiliste à l'égard de sa propre impuissance... Cela signifie que cet Erostrate est en proie à l'auto-contradiction, qu'il doit renoncer à la démesure de son projet - et donc à son idéal- s'il ne veut pas renoncer au plaisir de l'anéantissement. Pourquoi? Parce que, comme n'importe quel autre vengeur, il poursuit d'abord - qu'il le sache ou non- l'objectif secret de confirmer à lui-même son existence; parce que, se sentant lui-même anéanti, il a besoin de pourvoir dire: j'anéantis, donc je suis; et enfin parce que, pour se faire confirmer cette confirmation, il dépend d'un tiers. La contradiction s'énonce donc ainsi: pour anéantir le monde d'une façon qui lui apporte satisfaction, il a besoin du monde qu'il anéantit. C'est pourquoi la soif d'anéantissement réel ou idéal du nihiliste a dû en réalité et doit par principe se résigner à concevoir l'anéantissement comme une sorte de scène, une pièce de théâtre, interprétée par le terroriste devant des témoins oculaires de ses actes violents; ou à se convaincre que ses victimes, même mortes, continuent à vivre et sont, bien que leur sang ait coulé, toujours là. il a besoin de continuer à voir cette horreur, il a besoin de continuer à entendre ces cris. il ne peut pas les anéantir avec ses victimes. Ils sont indissociables de son idéal. Il doit nécessairement les conserver comme les traces de l'apocalypse. Ce faisant, il gâche bien sûr sa joie et la rend incomplète. En résumé, si son rêve d'anéantissement était complet, il n'aurait plus de public. il ne pourrait pas se faire confirmer la réussite de son anéantissement". L'Obsolescence de l'Homme, Ivrea, tome I, 2002 (édition allemande 1956).p. 353. Indications de lecture:
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