Textes philosophiquesShri Aurobindo Antigone contre Kant"On disait jadis et on sentait que les lois du Bien, les règles de la conduite parfaite étaient les lois des dieux, éternelles et immémoriales, et que l’homme était conscient de ces lois, sommé de leur obéir. L’âge de la raison a repoussé avec mépris cette explication succincte, telle une superstition ou une imagination poétique que la nature et l’histoire du monde contredisaient. Mais derrière cette superstition ou imagination ancienne, il y a pourtant une vérité que le démenti rationnel laisse échapper et que ne rétablissent pas complètement les confirmations rationnelles, fût-ce l'impératif catégorique de Kant ou quelque autre. Si la conscience morale de l’homme est une création de la nature humaine en évolution et si ses conceptions des lois éthiques sont changeantes et dépendent du stade de son évolution, il y a, cependant, à leur base et sous tous leurs changements, quelque chose de constant qui est à la source même de la nature humaine et de la nature du monde. Et si, chez l’homme et dans le monde, la Nature est infra-éthique à ses débuts, autant qu'infrarationnelle, de même qu’elle est supra-éthique à son sommet, autant que supra rationnelle, il y a, cependant, dans l'infra-éthique, quelque chose qui devient l’éthique sur le plan de l’existence humaine, et le supra-éthique est lui-même l’aboutissement de l’éthique et ne peut être atteint par quiconque n’a pas foulé la longue route de l’éthique. Tout en bas se cache un bien secret en tontes choses, que l’être humain essaye de saisir et de délivrer partiellement par son instinct éthique et ses idées éthiques; tout en haut se cache le Bien éternel qui dépasse nos conceptions éthiques partielles et fragmentaires. Nos impulsions et nos activité éthiques; comme tout le reste, commencent au niveau infrarationnel et sortent du subconscient. Elles apparaissent sous forme d’instinct du bien, instinct d’obéissance à une loi reconnue, instinct de don de soi dans le travail, instinct de sacrifice et d’abnégation, instinct d’amour, instinct de subordination et de solidarité avec autrui. Au début, l’homme obéit à la loi sans s’enquérir du pourquoi ni du comment; il ne cherche pas à lui donner la sanction de la raison. Sa première pensée est qu’il s’agit d’une loi créée par des puissances supérieures à lui-même et à son espèce, et il dit, avec le poètee d’antan, qu’il ne sait pas d’où elles viennent nais seulement qu’elles existent et qu’elles durent, et qu’elles ne peuvent être impunément violées. Ce que cherchent les instincts et les impulsions, la raison travaille à nous le faire comprendre pour que la volonté puisse se servir intelligemment des impulsions éthiques et transformer les instincts en idées éthiques. Elle corrige les interprétations humaines grossières..." Le Cycle humain, Buchet-Chastel, p. 229-230. Indications de lecture:La critique se poursuit dans la suite du texte. cf. Philosophie de la Morale, ch. II.
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