Textes philosophiques

Shri Aurobindo       quand la souffrance est transformée en joie


      La souffrance n'est pas toujours une simple souffrance, elle peut être transformée en une source de joie; c'est là un fait avéré dans la vie ne nombreux martyrs et saints. Nombreux sont en vérité ceux qui non seulement ont passivement supporté la souffrance, mais l'ont accueillie et recherchée avec bonheur et délice. Si on la définit comme un genre pervers de plaisir et que l'on désire la stigmatiser du nom de masochisme, le problème ne se trouve pas résolu pour autant, nous cherchons à le cacher derrière un grand mot; tout au plus est-ce une opinion. Ce qui se conforme à notre tempérament (ou à nos préjugés), nous le disons naturel et ce que nous n'aimons pas nous semble pervers.

     Un autre peut avoir un tempérament différent et, en conséquence, un vocabulaire différent. Un ascète recourant à toutes sortes de rigueurs pour se mortifier, un patriote s'immolant sans pitié sur l'autel de la patrie, un satyâgrahîr jeûnant à en mourir ne font pas que souffrir : ils se réjouissent de souffrir. Et s'il en est ainsi, c'est qu'il existe à leurs yeux quelque chose de plus grand que cette obsession d'éviter la douleur et la souffrance, que cette ronde ordinaire d'une vie faite de la trame et de la lisse du plaisir et de la déception. Il existe une plus grande béatitude qui transcende ces normes vitales communes, les dualités de la vie ordinaire. Dans le cas de l'ascète, du martyr, du patriote, la béatitude réside en un idéal moral, religieux ou social. Tout ce que l'on peut admettre ici est que la souffrance volontairement recherchée ne cesse pas d'être la souffrance, n'est pas elle-même changée en béatitude ou ressentie comme telle, mais qu'elle est réprimée ou dominée par l'autre sentiment et l'autre conscience.

     Cela est vrai, mais représente encore un stade intermédiaire. Car il en est un autre où la souffrance est non seulement réprimée, mais sublimée, complètement transmuée : il n'existe alors rien d'autre qu'un délice pur et entier. C'est là la condition de l'âme, l'état où l'on demeure en permanence dans l'Esprit. Ainsi revenons-nous à la question de savoir pourquoi ou comment, étant toute félicité, l'âme dans la vie devient l'exact opposé de sa nature essentielle, un objet misérable, et pourquoi l'esprit s'abaisse ou condescend à endosser la forme de la matière : problème aussi vieux que le monde, problème éternel qui a été posé, envisagé et résolu de diverses façons, au fil des millénaires.

     Voici, brièvement, comment nous voyons la question. L'âme accepte une vie mortelle de douleur et de souffrance, accueille une apparente négation de sa nature essentielle pour deux raisons : 1) croître et augmenter en conscience grâce à de telles expériences - la douleur et la souffrance étant une variété du combustible qui entretient le Feu qu'est notre âme, et 2) transfuser son inaliénable pureté dans la Matière et, par sa pression et son influence secrètes, transformer graduellement la vie terrestre en un mouvement de sa propre condition divine, ou état d'inviolable Béatitude. En fait, qu'ils soient bons, mauvais ou indifférents, selon ce qu'en jugent les points de vue et critères extérieurs, les contacts et expériences avec les formes et forces de la Vie et de la Matière servent tous de combustible à la flamme de la conscience de l'âme. Et en réponse à la nature et au degré de la croissance et du développement désirés, l'âme choisit son combustible, son mode extérieur de vie et son entourage".

Shri Aurobindo à Nolini Kanta Gupta, Editions Christian de Bartillat, p.197 sq.

Indications de lecture:

Cf. Leçon Le sens de la souffrance. Satyagraha, formulation de Gandhi, vivre dans la vérité.

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