Textes philosophiques

Castoriadis    L'intellectuel est un citoyen


    Un citoyen n’est pas (pas forcément) un « militant de parti », mais quelqu’un qui revendique activement sa participation à la vie publique et aux affaires communes au même titre que tous les autres.

           Ici apparaît de toute évidence une antinomie, qui n’a pas de solution théorique, que seule la phronesis, la sagesse, peut permettre de surmonter. L’intellectuel doit se vouloir citoyen comme les autres, il se veut aussi le porte-voix, en droit de l’universalité et de l’objectivité. Il ne peut se tenir dans cet espace qu’en reconnaissant les limites de ce que sa supposée objectivité et universalité lui permettent ; il doit reconnaître,  et pas seulement du bout des lèvres, que ce qu’il essaie de faire entendre, c’est encore une doxa, une opinion, non pas une épistémè, une science. Il lui faut surtout reconnaître que l’histoire est le domaine où se déploie la créativité de tous, hommes et femmes, savants et analphabètes, d’une humanité dans laquelle lui-même n’est qu’un atome. Et cela encore ne doit pas devenir prétexte pour qu’il avalise sans critique les décisions de la majorité, pour qu’il s’incline devant la force parce qu’elle serait celle du nombre. Etre démocrate et pouvoir, si l’on en juge ainsi, dire au peuple : vous vous trompez, voilà ce qu’on doit exiger de lui. Socrate a pu le faire, lors du procès des Arginuses : le cas apparaît, après-coup, évident, et Socrate pouvait s’appuyer sur une règle de droit formelle. Les choses sont souvent beaucoup plus obscures. Là encore, seule la sagesse, la phronesis,  et le goût peuvent permettre de séparer la reconnaissance de la créativité du peuple et l’aveugle adoration de la « force des faits ».

 Le Monde morcelé, p. 136.

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