Textes philosophiquesAlain Cugnot le savoir-faire et l'artiste«Tout objet technique nécessite pour être fabriqué un savoir-faire. Celui-ci est d’abord étranger à l’apprenti, qui par la répétition des gestes l’intériorise sous la forme d’habitus. En apprenant à faire un mur, l’apprenti maçon intériorise ce qu’il mettra en oeuvre en tant qu’artisan. Dire qu’il connaît le métier veut dire qu’il peut monter un mur selon les règles de l’art. Devant l’oeuvre, en revanche, l’artiste n’est pas tout à fait dans la même situation. Qu’il le sache ou non, il ne produit pas un objet qu’il sait faire, mais justement ce qu’il ne sait pas faire, ce qui n’appartient pas à son habitus. Plus précisément, il apprend, pour une prochaine fois qui n’aura jamais lieu, à faire l’oeuvre qu’il n’a pas encore créée par les gestes qui lui donnent naissance. Il est en train d’apprendre à faire une oeuvre qu’il ne connaît pas autrement que par cet apprentissage. (...) Ce serait à peine métaphoriser que de dire que c’est l’oeuvre qui a l’initiative. Mais ce serait une métaphore. En réalité, chaque geste de l’artiste anticipe une oeuvre qui vient vers lui parce qu’il la suscite. C’est cette anticipation effectuée qui se donne à voir dans l’exposition, dans la manifestation de l’oeuvre. (...) C’est pourquoi la jouissance esthétique consiste à plonger dans la transparence de l’origine, puisque c’est exactement ce que montre l’oeuvre: aucune autre raison d’être qu’elle-même, aucune autre justification que d’être soi. Coïncidant avec son origine, se rendant absolument transparente à elle-même, l’oeuvre figure la chair, l’auto-affection s’éprouvant dans la présentation du monde, C’est pourquoi l’oeuvre peut être figurative. C’est l’énigme (souvent commentée) de Cézanne: “l’homme absent, mais tout entier dans le paysage”.» Alain Cugnot La puissance du mal p 232-234
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