Textes philosophiques

Arnaud Desjardin      La théorie indienne de l'inconscient


    Cette prise de conscience est possible pour celui qui a la détermination et l'acuité de regard nécessaires, à condition de comprendre que vos actions s'insèrent toujours dans un ensemble, l'ensemble de votre situation mentale et de la situation extérieure dans laquelle vous vous trouvez. Cette situation concrète, ici et maintenant, est votre meilleure garantie ou garde-fou contre les ordres souterrains de l'inconscient. L'inconscient, lui, ne connaît que sa propre loi et son propre monde. Il est à la source de la vision déformée par laquelle on ne vit pas dans le monde mais dans son monde. Seulement le monde, lui, est là. Et, si la buddhi est suffisante, instant après instant, pour nous aider à revenir de notre monde au monde, il est possible de cerner de manière indubitable ce fonctionnement purement réactionnel qui ne mérite en aucun cas de s'appeler « agir ». En se mesurant avec la réalité relative, il est possible de voir comment des mécanismes tout-puissants qui ne tiennent pas compte de cette réalité veulent s'imposer à vous. Et il existe une possibilité effective de chitta shuddhi (purification de cette mémoire inconsciente faite des vasanas et des samskaras) accomplie dans l'existence simplement par la décision de faire ou, pour reprendre le vocabulaire de Swâmiji, d'agir au lieu de réagir. C'est une lutte qui peut, pendant des années, vous paraître presque totalement vouée à l'échec. Et pourtant il y a une issue. Le but, éveil ou libération, est la fin de quelque chose. Une façon d'être - par conséquent une façon de voir l'existence et une façon de concevoir l'action - disparaît et l'action fait place à ce que les hindous et les bouddhistes appellent en anglais spontaneity . Mais nous n'en sommes pas là immédiatement et le chemin nous montre d'abord notre incapacité à faire. Les actions ne sont que des réactions, et Swâmiji insistait: «Dont mistake reaction for action » : « ne prenez pas une réaction pour une action». Par la connaissance de soi, vous découvrez peu à peu, et c'est déjà très important, que vous n'agissez pas. C'est une découverte, parce que les hommes vivent dans l'illusion d'agir : des mécanismes tout-puissants sont à l'oeuvre en vous, je dis bien tout-puissants, sur lesquels vous n'avez d'abord aucun pouvoir, qui ne tiennent pas compte de la réalité relative du monde phénoménal, et qui vous condamnent à vivre dans votre monde. Ces mécanismes suivent implacablement et stupidement leur propre loi. Certains destins ont été ravagés par ce genre de réactions et, vus du dehors, ils paraissent n'avoir été qu'une suite d'erreurs qu'un observateur peu psychologue jugerait évitables. L'observateur plus informé de la psychologie comprendra que ces erreurs obéissaient à des lois mais elles n'en sont pas moins douloureuses. Un premier aspect de la vision du réel, au moins à un certain niveau, c'est celui de ce divorce poignant, tragique, entre la plupart des existences et la réalité relative. Il consiste à voir, autour de soi, les autres, mus par leurs propres mécanismes, aller de réactions en réactions au long d'une existence faite de souffrances, menée dans ce qu'on appelle en Inde « avidya », la non-vision, donc qui ne pourra pas conduire à la grande vision, a l'éveil, au dépassement de l'ego.

 A la Recherche du Soi , volume 4 : "Tu es cela", Ed. de La Table Ronde, Paris 1979 . (p 152)

 


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