Textes philosophiquesJacques Ellul Technique et puissance"C'est bien en effet la conviction fondamentale de tous que la technique peut accomplir tout notre désir de puissance, et qu'elle est, en elle-même, omnipotente. Illusion, dit Castoriadis, sûrement, mais précisément d'autant plus intéressante qu'elle est illusoire: c'est la croyance absolue du monde "moderne", qui implique le renoncement absolu de l'homme à la maîtriser: il lui délègue sa puissance! Mais ce qui reste exact, c'est que nous avons atteint grâce à elle une puissance jamais égalée. Or plus grandit la puissance, plus la maîtrise est difficile. Une voiture de 200 CV est légèrement plus difficile à conduire qu'une 2 CV. Et ce qui est exact au niveau d'un appareil est mille fois plus exact quand il s'agit d'un système complexe qui grandit en même temps en puissance, en complexité, en complication et en apparence de rationalité : même si cette rationalité n'est qu'apparente, l'homme renonce à prendre la raison en tant que puissance critique, précisément parce que toute la raison lui paraît concentrée dans la technique et les techniques. « À partir de la représentation du monde comme objet ou image s'établit la prédominance de la Science et de la technique dont une configuration essentielle est le règne du quantitatif : tout en principe peut être représenté avec exactitude, c'est-à-dire calculée. Mais à partir d'un certain degré de puissance on entre dans l'Incalculable". Le Bluff technologique, Hachette, pluriel, p. 295.
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