Textes philosophiques

Ralph Waldo Emerson    beauté de la Nature


     Il- est un besoin plus noble que satisfait la nature, à savoir l'amour de la beauté.

 

     Les anciens appelaient le monde "cosmos" beauté. La constitution de toutes choses est telle, ou tel le pouvoir plastique de l'oeil humain, que les formes primaires, le ciel, la montagne, l'arbre, l'animal, nous procurent du plaisir en et pour elles-mêmes; un plaisir naissant de la ligne, de la couleur, du mouvement et de l'ordre. Ceci semble dû en partie à l'oeil lui-même. L'oeil est le plus grand des artistes. Par l'action conjuguée de sa structure et des lois de la lumière se produit la perspective, qui intègre chaque masse d'objets, de quelque caractère que ce soit, en une sphère colorée et nuancée, si bien que là où les objets particuliers sont pauvres et indifférents, le paysage qu'ils composent est rond et symétrique. Et de même que l'oeil est le meilleur des agenceurs, la lumière est le premier des peintres. Il n'existe pas d'objet si répugnant qu'une lumière intense ne puisse rendre beau. L'excitation qu'elle provoque sur le sens de la vue et une sorte d'infinité qui est en elle, comme l'espace et le temps, rend gaie toute matière. Même un cadavre possède sa propre beauté. Mais à côté de cette grâce générale répandue sur toute la nature, presque toutes les formes individuelles sont agréables à l'oeil, comme le montrent nos imitations de quelques-unes d'entre elles : le gland, la vigne, la pomme de pin, l'épi de blé, l'oeuf, les ailes et la forme de nombre d'oiseaux, la griffe du lion, le serpent, le papillon, les coquillages, la flamme, les nuages, les bourgeons, les feuilles et les formes de beaucoup d'arbres, tel que le palmier par exemple...

     La nature nous comble par son charme adorable et sans aucun mélange de bénéfice physique. Je contemple le spectacle du matin depuis le sommet de la colline qui jouxte ma maison, de la pointe du jour jusqu'au lever du soleil, empli d'une émotion qu'un ange pourrait partager. De longues barres minces de nuages flottent comme des poissons dans un océan de lumière cramoisie. Depuis la terre, comme d'un rivage, je plonge mes regards dans cette mer silencieuse. Il me semble participer à ses transformations rapides; l'envoûtant sortilège atteint ma poussière et je me dilate et m'unis au vent du matin. Comme la nature sait nous rendre pareils aux dieux avec quelques éléments communs ! Donnez-moi la santé et le jour et je rendrai la pompe des empereurs ridicule. L'aube est mon Assyrie; le coucher du soleil et le lever de la lune ma Paphos et les royaumes inouïs de la féerie; le vaste midi sera mon Angleterre des sens et de l'entendement, et la nuit mon Allemagne de la philosophie mystique et des rêves.

     La Nature, Allia édition, p. 19-20.

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