Textes philosophiquesMichel Henry le souffrir du sentiment"L'identité avec soi du sentiment le lie à son contenu, en sorte qu'il lui est soumis et le supporte, et, en l'absence de tout rapport, ne se rapporte à lui qu'à l'intérieur d'un « souffrir » et comme ce « souffrir » qui le détermine ultimement et constitue en lui l'essence de l'affectivité. Un tel « souffrir », le « se souffrir soi-même » du sentiment dans sa passivité ontologique originaire à l'égard de soi, est ce qu'il faut penser si l'essence de l'affectivité doit être expliquée. En lui, dans le souffrir considéré en tant que tel, prend naissance et se forme l'épaisseur du sentiment, son être réel, irréductible décidément à la tautologie vide de l'identité que la philosophie, lorsqu'elle s'efforce de la penser, non comme la condition dernière à laquelle « il faut bien s'arrêter », mais comme effective, dans l'effectivité de la phénoménalité, se représente comme une pure transparence, comme la translucidité de la conscience. Car la translucidité, si l'on veut, la transparence du sentiment n'est pas celle d'une vitre, laissant voir autre chose, toute chose, et par elle-même, en elle-même, rien, le néant. A travers sa propre transparence le sentiment plonge dans la réalité de son effectivité. Ainsi s'opère, dans l'immanence du sentiment, son dépassement, le dépassement du sentir vers ce qu'il sent, de telle manière que, se dépassant ainsi, le sentir ne se dépasse vers rien, ne se dépasse pas lui-même, est l'être-saisi du sentiment par sa propre réalité. L'absence du dépassement est dans le sentiment ce qui le dépasse, son identité avec soi... L'interprétation de l'essence de l'ipséité comme affectivité reçoit sa signification ontologique dernière et devient possible avec l'interprétation de l'affectivité comme trouvant son essence dans le « souffrir ». Avec la passivité originelle de l'être à l'égard de soi telle qu'elle se réalise dans le souffrir s'accomplit, comme dépassement de l'immanence, identique à celle-ci, le dépassement du Soi vers ce qu'il est, l'obtention par lui de son être propre et, identiquement, le dépassement dans l'identité du sentiment vers son propre contenu, son surgissement en lui-même dans la profusion de sa richesse intérieure, le devenir de son être effectif et sa consistance... Parce qu'elle s'annonce dans le souffrir et nous aide à le penser, l'impuissance du sentiment n'a rien à voir avec ce qu'on entend d'ordinaire par « un sentiment d'impuissance ». Ce dernier se produit toujours en présence de quelque chose, l'impuissance qu'il exprime et qui le qualifie concerne en réalité sa relation à un objet, c'est par exemple l'impuissance de modifier celui-ci, de le supprimer, l'impossibilité d'échapper à une certaine situation dont les conditions sont données indépendamment du sujet qui éprouve ce sentiment, s'imposent à lui. L'Essence de la Manifestation, P.U.F. tome 2, p. 590, 591. Indications de lecture:Voir la leçon sur le sens de la souffrance, partie D.
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